Défaillance de la condition suspensive et point de départ de l’action en restitution
Dans un arrêt rendu le 11 juillet 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler que le point de départ d’une action en exécution d’une obligation ne peut se situer qu’à la date où le créancier a connu ou aurait dû connaître que celle-ci était exigible et non à la date du refus d’exécution de son débiteur.
La formulation de l’article 2224 du code civil sur le point de départ de la prescription extinctive de droit commun a pu créer une jurisprudence pléthorique ces dernières années et ce dans de très nombreuses branches du droit (en droit de la contrefaçon, Civ. 1re, 15 nov. 2023, n° 22-23.266 F-B, Dalloz actualité, 21 nov. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 156
, note J. Douillard
; ibid. 392, obs. A. Bensamoun, S. Dormont, J. Groffe-Charrier, J. Lapousterle, P. Léger et P. Sirinelli
; Dalloz IP/IT 2023. 612, obs. C. Lamy
; Légipresse 2023. 597 et les obs.
; en droit commercial, Com. 4 oct. 2023, n° 22-18.358 F-D, Dalloz actualité, 17 oct. 2023, obs. C. Hélaine ; Civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 21-25.587 F-B, Dalloz actualité, 25 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. O. Salati
; Com. 14 juin 2023, n° 21-14.841 F-B, Dalloz actualité, 20 juin 2023, obs. C. Hélaine ; 29 mars 2023, n° 21-23.104 F-B, Dalloz actualité, 7 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2023. 370, obs. H. Barbier
; v. égal., sur l’art. 2225 c. civ., Civ. 1re, 14 juin 2023, n° 22-17.520 FS-B, Dalloz actualité, 19 juin 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1180
; RTD civ. 2024. 210, obs. N. Cayrol
; sur les clauses de forclusion, Com. 11 oct. 2023, n° 22-10.521 F-B, Dalloz actualité, 26 oct. 2023, obs. C. Hélaine).
En juillet 2024, plusieurs décisions promises à une forte publication sont venues encore compléter ce tableau avec deux arrêts de chambre mixte (Cass., ch. mixte, 19 juill. 2024, n° 22-18.729 et n° 20-23.527 B+R, Dalloz actualité, 9 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; AJDA 2024. 1517
; D. 2024. 1420
) et une solution rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation. C’est cette décision publiée au Bulletin que nous étudions aujourd’hui. Cette dernière s’intéresse plus précisément à la défaillance de la condition suspensive dans le cadre d’une promesse unilatérale de vente. À titre préliminaire, notons que la décision pourra être utilement rapprochée sous l’angle des obligations conditionnelles d’un autre arrêt en matière de droit du cautionnement (Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 19-17.200 F-B, Dalloz actualité, 19 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68
; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; AJDI 2022. 290
).
Reprenons les faits pour mieux comprendre l’origine du pourvoi. Plusieurs indivisaires consentent, par acte authentique du 8 septembre 2015, à une personne physique une promesse unilatérale de vente pour un prix de 995 000 €. Une condition suspensive est prévue dans l’avant-contrat ainsi formé afin d’inclure l’obtention par la bénéficiaire d’un prêt au plus tard le 7 novembre 2015. Une indemnité d’immobilisation de 10 % est également incluse. La somme de 99 500 € est donc séquestrée chez le notaire. La bénéficiaire n’obtient pas son prêt de sorte qu’elle sollicite, par actes introductifs des 16 et 17 novembre 2020, la restitution de son indemnité d’immobilisation. Les dates interpellent au premier regard car la prescription extinctive quinquennale peut déjà être consommée selon le moment auquel le plaideur se place. Sans grande surprise, c’est bien sur ce point que s’est cristallisé un incident pendant la mise en état du dossier dès la première instance (pt n° 4). Deux des indivisaires ont, en effet, saisi le juge de la mise en état d’une fin de non-recevoir pour voir juger l’action diligentée prescrite.
En cause d’appel, les demandes sont déclarées irrecevables. Les juges du fond estiment que lorsque la condition suspensive n’est pas réalisée, les sommes versées à titre d’immobilisation sont immédiatement exigibles sans qu’il existe un report du point de départ de la prescription extinctive. Ainsi, l’action était prescrite à la date des deux assignations introductives selon la cour d’appel saisie du dossier. La bénéficiaire de la promesse, créancière de l’obligation de restitution, se pourvoit en cassation en reprochant à ce raisonnement de violer l’article 2224 du code civil.
Nous allons examiner pourquoi le rejet du pourvoi était, sans doute, la seule solution envisageable selon la ligne directrice dessinée par la Cour de cassation ces dernières années.
Droit spécial, droit commun
L’originalité de l’arrêt du 11 juillet 2024 repose sur la combinaison de l’article L. 313-41 du code de la consommation et de l’article 2224 du code civil. Peu de décisions publiées au Bulletin ont, en effet, l’occasion de pouvoir étudier cet encroisement précis. Le premier texte vise à permettre de rendre « immédiatement et intégralement remboursable sans retenue ni indemnité à quelque titre que ce soit » toute somme qui a été versée à l’autre partie à l’avance lorsque la condition suspensive du crédit immobilier n’est pas réalisée. La disposition applicable au litige est l’ancien article L. 312-16, alinéa 2, du code de la consommation puisque les faits sont antérieurs au 1er juillet 2016. Nul doute que cette règle trouve parfaite application en l’espèce car nous sommes bien en présence d’un crédit immobilier régi par ledit code.
La demanderesse au pourvoi souhaitait voir reporter le point de départ de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil au moment où elle a pu avoir connaissance du refus opposé par les promettants de rembourser l’indemnité d’immobilisation (pt n° 5, moyen en ses différentes branches). Ce raisonnement érige le moment de connaissance du refus d’exécution comme point de départ d’une action en restitution. Sous cette apparence classique se dissimule donc une véritable question intéressant le régime général de l’obligation. Si la troisième chambre civile donnait du crédit à cette thèse, la position pourrait avoir des répercussions sur un très grand nombre d’actions en paiement qui ne se prescriraient plus à partir de leur date d’exigibilité mais plutôt à partir du premier refus d’exécution opposé par le débiteur.
La solution apportée à cette difficulté s’inscrit dans une certaine orthodoxie.
Le triomphe logique de la seule date de connaissance d’exigibilité de la créance
Dans un attendu limpide, quoiqu’assez rare dans les décisions de ce style, la troisième chambre civile énonce que « le point de départ de la prescription de l’action en exécution d’une obligation se situe au jour où le créancier a su ou aurait dû savoir que celle-ci était devenue exigible et non à la date à laquelle il a eu connaissance du refus du débiteur de l’exécuter » (pt n° 6, nous soulignons). Cette précision permet de couper court, très nettement, à toute argumentation qui voudrait ériger le refus du débiteur comme point de départ de la prescription quinquennale de droit commun.
Cette orientation paraît parfaitement conforme tant au droit commun qu’au droit spécial. Quant à ce dernier, l’article L. 312-16, alinéa 2, du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, prévoyait déjà le caractère immédiat de l’exigibilité de l’action en remboursement dès la non-réalisation de la condition suspensive. Par conséquent, c’est bien à cette date précise que la bénéficiaire de la promesse connaissait son droit, ou du moins aurait dû le connaître au sens de l’article 2224 du code civil.
Dès lors, si la condition suspensive du prêt était fixée au 7 novembre 2015, l’absence d’obtention du crédit impliquait que l’action en remboursement de l’indemnité d’immobilisation contenue dans les actes introductifs d’instance des 16 et 17 novembre 2020 était prescrite puisque cinq années s’étaient entièrement écoulées conformément au droit commun. Aucune raison ne commande, en droit positif, de modifier un tel point de départ, du moins en l’état des données rapportées par l’arrêt.
Voici une nouvelle décision venant s’ajouter à la fresque déjà existante en matière de point de départ de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil. Suivant une voie classique mais sage, elle s’inscrit dans la stricte orthodoxie d’autres solutions commentées dans ces colonnes ces dernières années.
Civ. 3e, 11 juill. 2024, FS-B, n° 22-22.058
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