Défaut de pouvoir du JME de statuer, au cours de la procédure de conversion en divorce, sur la demande de révision de la pension alimentaire fixée en conséquence de la séparation de corps

l résulte de l’article 1084 du code de procédure civile, auquel renvoie l’article 1129 du même code, que lorsqu’il y a lieu de statuer, après le prononcé de la séparation de corps, sur la modification de la pension alimentaire due au titre du devoir de secours, la demande est présentée par l’un des époux, dans les formes et conditions prévues aux articles 1137 et suivants du code de procédure civile.

Il s’ensuit qu’il n’entre pas dans les attributions du juge de la mise en état, saisi au cours d’une instance en conversion de la séparation de corps en divorce, de statuer sur une demande de modification de la pension alimentaire due au titre du devoir de secours dont l’un des époux est débiteur à l’égard de l’autre en exécution du jugement ayant prononcé leur séparation de corps. Excède donc ses pouvoirs la cour d’appel qui statue en application de l’article 1118 du code de procédure civile sur une telle demande, alors qu’elle tend à la modification d’une mesure accessoire à la séparation de corps et non à la modification d’une mesure provisoire prise pour la durée de l’instance en conversion de la séparation de corps en divorce.

Dans le contexte de la conversion de la séparation de corps en divorce, la première chambre civile de la Cour de cassation apporte, dans l’arrêt du 12 juin 2025, d’importantes précisions sur l’articulation des attributions du juge aux affaires familiales et celles du juge de la mise en état.

L’affaire débute par un arrêt du 24 juin 1999 prononçant la séparation de corps de deux époux et condamnant l’un d’eux au paiement mensuel d’une pension alimentaire au titre du devoir de secours. En 2020, l’époux débiteur assigne sa conjointe en conversion de la séparation de corps en divorce et saisit le juge de la mise en état aux fins de voir diminuer la pension alimentaire. Par une ordonnance du 23 décembre 2021, le juge de la mise en état rejette la demande de révision de la pension alimentaire en retenant que la situation de l’épouse n’avait pas connu d’amélioration notable. L’époux interjette appel de cette décision et, après sa confirmation par la cour d’appel dans un arrêt du 6 avril 2023, forme un pourvoi en cassation.

Du reste, il n’y a pas lieu d’examiner le moyen développé au soutien du pourvoi, puisqu’en application des dispositions de l’article 620, alinéa 2, du code de procédure civile, la Cour de cassation lui substitue un moyen de pur droit relevé d’office.

À ce titre, sur le fondement des articles 303, alinéa 1er, du code civil, 1084, alinéa 1er, 1118 et 1129 du code de procédure civile et des principes qui régissent l’excès de pouvoir, la Cour de cassation affirme que la demande de révision de la pension alimentaire due au titre du devoir de secours formée après la séparation de corps relève du seul pouvoir du juge aux affaires familiales, de sorte que le juge de la mise en état ne peut en connaître. Elle déduit du défaut de pouvoir juridictionnel du premier juge ayant statué sur la demande de révision de la pension alimentaire un excès de pouvoir, répété par la cour d’appel statuant dans les mêmes limites que le juge de la mise en état. L’annulation de l’arrêt est donc prononcée.

En outre, la première chambre civile statue au fond dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Elle déclare la demande de l’époux tendant à voir diminuer la pension alimentaire, soumise au juge de la mise en état, irrecevable et annule l’ordonnance du juge de la mise en état.

Bien qu’il ne paraisse pas utile de s’attarder sur la question de la recevabilité du pourvoi, elle mérite toutefois d’être rapidement abordée. L’on sait que sont susceptibles de pourvoi en cassation les jugements rendus en dernier ressort (C. pr. civ., art. 605) qui tranchent tout le principal ou une partie, lorsqu’ils ordonnent une mesure provisoire ou d’instruction (C. pr. civ., art. 606), ainsi que ceux qui statuent sur un incident mettant fin à l’instance (C. pr. civ., art. 607). A contrario, les décisions qui statuent sur l’appel interjeté à l’encontre des décisions du juge de la mise en état ne tranchant pas le principal et ne mettant pas fin à l’instance ne sont donc pas susceptibles d’un pourvoi en cassation indépendamment de la décision sur le fond (v. not., Civ. 2e, 17 janv. 1990, n° 88-18.614 B). Mais l’on sait également que le pourvoi en cassation est « restauré » à l’encontre des décisions insusceptibles de pourvoi immédiat en cas d’excès de pouvoir du juge (Civ. 1re, 23 févr. 2011, n° 09-72.059 B, AJDA 2011. 420 ; ibid. 738 , note G. J. Guglielmi ; D. 2011. 1386 , note E. Dreyer ; AJFP 2011. 140 , obs. J.-C. Fortier ). En l’espèce, la première chambre civile retient l’existence d’un excès de pouvoir des premiers juges et de la cour d’appel, ce dont il résulte que le pourvoi est immédiatement recevable. À cet égard, l’arrêt ne présente pas d’originalité particulière.

Au vrai, c’est surtout le raisonnement qui a conduit la première chambre civile à reconnaître un excès de pouvoir qui suscite un intérêt particulier. Avant d’envisager le défaut de pouvoir du juge de la mise en état et ses conséquences, il convient de revenir sur la façon dont la première chambre civile résout la délicate question de l’articulation entre les pouvoirs du juge aux affaires familiales et du juge de la mise en état au cours de l’instance en conversion. Pour ce faire, elle s’appuie sur la distinction entre les mesures provisoires dans l’attente du divorce et les mesures accessoires à la séparation de corps.

La distinction entre les mesures provisoires dans l’attente du divorce et les mesures accessoires à la séparation de corps

Dans cet arrêt, la Cour de cassation affirme qu’« il n’entre pas dans les attributions du juge de la mise en état de statuer [sur la demande de révision de la pension alimentaire formée après la séparation de corps] au cours d’une instance en conversion de la séparation de corps en divorce », celle-ci tendant « à la modification d’une mesure accessoire au prononcé de la séparation de corps, et non à la modification d’une mesure provisoire prise pour la durée de l’instance en conversion de la séparation de corps en divorce », laquelle doit, en vertu de l’article 1137 du code de procédure civile, être soumise au juge aux affaires familiales. Si la solution paraît, à première vue, complexe, quelques explications permettront de l’éclairer.

Avant tout, il convient de préciser un point. Dans le cadre de la procédure écrite ordinaire en matière familiale, dont relève la demande de conversion de la séparation de corps en divorce (C. pr. civ., art. 1131), les fonctions de juge de la mise en état sont exercées par le juge aux affaires familiales (C. pr. civ., art. 1074, al. 2, applicable à l’espèce, devenu art. 1073, al. 1er). Le même organe intervient donc à deux titres différents relativement au même litige. Pour autant, il est essentiel de veiller à respecter les limites des attributions du juge de la mise en état en le saisissant par des conclusions qui lui sont spécialement adressées, même si, dans les faits, les parties s’adressent à la même personne. En effet, lorsque le juge de la mise en état prescrit ou modifie des mesures provisoires, il rend un jugement avant dire droit dépourvu d’autorité de chose jugée au principal (C. pr. civ., art. 482), tandis que la conversion et les conséquences du divorce sont jugées par un jugement sur le principal, revêtu à ce titre de l’autorité de chose jugée au principal (C. pr. civ., art. 480). Par conséquent, si le juge aux affaires familiales accomplit les fonctions de juge de la mise en état, il exerce, à cette occasion, une activité juridictionnelle différente de celle qu’il connaît lorsqu’il tranche le principal.

Par ailleurs, pour respecter les attributions du juge de la mise en état, il est nécessaire d’en saisir les limites. À cet égard, les mesures provisoires ordonnées par des jugements avant dire droit pour le temps de l’instance ne doivent pas être confondues avec les mesures accessoires prescrites par le jugement définitif à la fin de l’instance et qui sont susceptibles d’être révisées en raison de leur nature (C. Chainais, L. Mayer, F. Ferrand et S. Guinchard, Procédure civile. Droit commun et spécial du procès civil, MARD, 37e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, n° 1267). En l’espèce, la pension alimentaire, qui permet de façon générale d’exécuter le devoir de secours malgré l’absence de communauté de vie (F. Terré, C. Goldie-Genicon, D. Fenouillet, Droit civil. La famille, 9e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, n° 167) relevait, selon la première chambre civile, de la seconde catégorie. Si nous souscrivons à la qualification retenue par la Haute juridiction, il faut, dans l’objectif de convaincre de sa pertinence, distinguer la pension alimentaire provisoire de la pension alimentaire accessoire à la séparation de corps.

D’une part, le versement de la pension alimentaire peut être ordonné à titre provisoire par le juge de la mise en état au cours de l’instance en divorce (C. civ., art. 255, 6°). Dans cette hypothèse, la mesure provisoire produit effet jusqu’au jour où le jugement de divorce passe en force de chose jugée (C. civ., art. 254). Dans ce contexte, la pension alimentaire constitue une mesure provisoire susceptible d’être modifiée par le juge de la mise en état avant le dessaisissement de la juridiction en cas de survenance d’un fait nouveau (C. pr. civ., art. 1118).

D’autre part, le versement d’une pension alimentaire peut également être décidé par le juge aux affaires familiales lorsqu’il prononce la séparation de corps, ce qui était le cas en l’espèce. Pour rappel, la séparation de corps ne met pas fin au mariage. Si ses conséquences obéissent en principe à celles du divorce (C. civ., art. 304), la séparation de corps laisse subsister le devoir de secours (C. civ., art. 303, al. 1er), qui prend ainsi la forme d’une pension alimentaire versée par l’époux débiteur à son conjoint en raison de l’état de besoin de celui-ci. Après le prononcé de la séparation de corps, la conversion en divorce n’a rien d’obligatoire. Tant que dure le mariage, dure le devoir de secours et celui-ci donne lieu au maintien de la pension alimentaire aussi longtemps que persiste l’état de nécessité de l’époux. Si la situation de celui-ci évolue, il appartient à son conjoint débiteur de solliciter du juge aux affaires familiales une révision de la pension alimentaire précédemment fixée (C. pr. civ., art. 1084 et 1129). Dans cette perspective, si la pension alimentaire fixée en conséquence de la séparation de corps tend à assurer la subsistance de l’époux, ce n’est pas dans l’attente du divorce, qui peut donc ne jamais survenir. Dès lors, la pension alimentaire ordonnée en l’espèce n’était pas une mesure « provisoire » mais bien, comme l’affirme la première chambre civile, une mesure « accessoire » à la séparation de corps.

En revanche, si le divorce peut ne jamais être prononcé entre les époux, une demande de conversion peut, à l’inverse, être présentée, comme c’était le cas en l’espèce. Selon l’article 306 du code civil, la conversion demandée par l’un des époux est de droit lorsque la séparation de corps a duré deux ans – trois ans en vertu des dispositions de l’article 306 du code civil dans sa rédaction applicable à l’espèce, antérieure à la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce. Dans cette hypothèse, il ne faut pas négliger les incidences pratiques de l’arrêt pour les plaideurs, puisqu’ils sont ainsi contraints de former une seconde assignation tendant à voir diminuer la pension alimentaire alors que le juge aux affaires familiales est déjà saisi aux fins de statuer sur la conversion de la séparation de corps en divorce… lequel met précisément un terme à ladite pension ! Dans ce contexte, si le juge aux affaires familiales est saisi d’une demande de modification de la pension alimentaire, c’est donc nécessairement dans l’attente du prononcé du divorce sur conversion. D’ailleurs, le conseiller rapporteur relève dans son rapport que s’observe en pratique un « traitement unitaire » des demandes de conversion et de révision de la pension alimentaire par le juge aux affaires familiales, agissant, pour statuer sur la seconde demande, comme juge de la mise en état.

Cependant, s’il n’est pas question de remettre en cause l’intérêt pratique de ce traitement unitaire, celui-ci conduit à méconnaître la distinction entre mesures provisoires et mesures accessoires à la séparation de corps lorsque la modification de la pension alimentaire est confiée au juge de la mise en état. Ce qui importe, ce n’est pas le moment où la modification de la mesure est sollicitée – en l’espèce, durant l’instance en conversion –, mais celui où la mesure est prescrite – ici, à l’issue de l’instance en séparation de corps, ce qui en fait une mesure accessoire. En conséquence, le juge de la mise en état statuant sur une telle demande au cours de l’instance de conversion de la séparation de corps en divorce, alors qu’il ne peut modifier que les mesures provisoires, passe outre son défaut de pouvoir juridictionnel de statuer sur une demande relative à une mesure accessoire à la séparation de corps.

L’affirmation du défaut de pouvoir juridictionnel du JME de statuer sur une demande relative à une mesure accessoire à la séparation de corps

Dans l’arrêt sous commentaire, la Haute juridiction affirme que « le juge de la mise en état [est] dépourvu du pouvoir juridictionnel de statuer sur la demande (…) tendant à voir diminuer (…) le montant de la pension alimentaire ». Si l’on comprend, avec ce qui précède, le fondement du défaut du pouvoir juridictionnel du juge de la mise en état, c’est également la décision de la Haute juridiction de se placer, sans aucune ambiguïté, sur le terrain du pouvoir – et non de la compétence – qui mérite d’être soulignée.

Du reste, un arrêt récent a déjà permis de mettre en évidence la distinction entre la sanction de l’incompétence et celle du défaut de pouvoir juridictionnel, ainsi que les difficultés qui l’affectent (Civ. 3e, 28 mai 2025, n° 23-20.769 FS-B, Dalloz actualité, 25 mai 2025, obs. O. Faugère ; D. 2025. 997 ).

Si l’hésitation est ici permise, c’est notamment en raison de la rédaction de l’article 789 du code de procédure civile gouvernant la « compétence » du juge de la mise en état pour statuer sur certaines questions et qui pourrait laisser penser que la méconnaissance des limites de ses attributions s’analyserait en termes de compétence. Pourtant, dans une telle situation, il est bien question de pouvoir juridictionnel et non de compétence (v. not., F. Mélin, Procédure écrite et procédures spécifiques devant le tribunal judiciaire, in S. Guinchard et alii, Droit et pratique de la procédure civile, 11e éd., Dalloz Action, 2024/2025, n° 441.363), bien que la jurisprudence utilise les deux notions sans distinction (v. not., Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006 P, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021. 1139 ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ).

En effet, il ne peut exister de concurrence entre le juge aux affaires familiales et le juge de la mise en état, étant rappelé que les questions de compétence concernent deux ou plusieurs juridictions différentes partageant le même pouvoir de juger. Or, si le juge aux affaires familiales constitue une véritable juridiction (C. Chainais, L. Mayer, F. Ferrand et S. Guinchard, op. cit., n° 1588), ce n’est pas le cas du juge de la mise en état, classiquement considéré comme une émanation du tribunal judiciaire (v. not., Rép. civ., Mise en état, par Y. Strickler, n° 27). De plus, tous deux ne partagent pas le même pouvoir juridictionnel. Comme il a été vu supra, en matière de séparation de corps ou de divorce, le juge aux affaires familiales tranche le fond du litige – c’est-à-dire le principe de la séparation de corps ou du divorce ainsi que leurs conséquences. Quant au juge de la mise en état, il ne peut pas statuer sur le fond, sous réserve des questions de fond dont dépend le règlement de certaines exceptions d’incompétence et fins de non-recevoir. En l’espèce, le juge de la mise en état avait, à tort, statué sur une demande relevant du fond, celle-ci étant liée aux conséquences de la séparation de corps. En conséquence, il avait méconnu les limites de ses pouvoirs.

Pour finir, il faut relever que l’affirmation d’un défaut de pouvoir juridictionnel du juge de la mise en état de statuer sur la demande de diminution de la pension alimentaire fixée en conséquence de la séparation de corps emportait inévitablement deux conséquences en l’espèce. En premier lieu, l’opportunité de l’annulation de la décision attaquée, mais également de l’ordonnance du juge de la mise en état, ne fait aucun doute. Le rejet de la demande par le juge de la mise en état, confirmé par la cour d’appel statuant dans les mêmes limites, suppose un examen au fond de la demande que ni le juge, ni la cour n’avaient le pouvoir de mener. Ils ont donc commis un excès de pouvoir, qu’il est possible de qualifier d’excès de pouvoir « positif », caractérisé lorsque le juge fait usage de prérogatives que la loi ne lui attribue pas (sur cette qualification, v. not., Rép. pr. civ., Appel : droit d’appel, par F. Ferrand, n° 329). Soulignons également qu’en statuant sur la demande, le juge de la mise en état et la cour d’appel ont manqué de relever d’office une fin de non-recevoir d’ordre public tirée du défaut de pouvoir juridictionnel qu’ils sont pourtant tenus de relever d’office (C. pr. civ., art. 125, al. 1er). En second lieu, la demande, présentée à un juge dépourvu de pouvoir juridictionnel pour en connaître, devait être déclarée irrecevable.

 

Civ. 1re, 12 juin 2025, F-B, n° 23-18.832

par Odélia Faugère, Docteur en droit, qualifiée aux fonctions de maître de conférences, ATER à l'Université Côte d'Azur

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