Défendre un accusé de viol post #MeToo, la voix des avocats doit-elle évoluer ?

Critiques de certaines défenses au procès des viols Mazan, tribune d’avocats contre « le sexisme » au procès Depardieu, livres contre la « maltraitance » du système judiciaire, assignations pour victimisation secondaire… Si la parole des avocats au procès est libre, si la rugosité des débats en fait partie, ses propres acteurs pointent aujourd’hui des dérives avec une vigueur et une visibilité inédites. Le mouvement #MeToo a-t-il rendu obsolète et inaudible certaines défenses ? Exacerbé une scission entre deux visions de la profession ? Enquête sur l’impact d’une évolution sociétale dans l’enceinte judiciaire.

L’immunité de la robe, un principe encadré

« Vous n’auriez pas des penchants exhibitionnistes que vous n’assumeriez pas ? », lançait Me Philippe Kaboré au début du procès des viols de Mazan, à Gisèle Pélicot tandis que Me El Bouroumi « hurl[ait] » sur celle-ci ou que Me Isabelle Crépin-Dehaene suspectait « un jeu sexuel » entre époux. L’avocate a refusé de répondre à nos questions pour évoquer sa stratégie de défense, de même que Me De Palma, qui avait eu cette sortie : « il y a viol et viol » en sortie d’audience. « On se serait cru au siècle dernier, aux assises d’Aix-en-Provence en 1978 », écrivait le journaliste du Monde, Henri Seckel, dans son article « L’accusatrice accusée » du 19 septembre 2024. Ce titre était aussi celui d’une précédente chronique, le 30 janvier 2019, sur le procès du viol du 36 quai des Orfèvres où une touriste canadienne accusait des policiers de l’avoir violée. L’avocate de la partie civile y dénonçait « le procès de la victime », dont l’attitude, la tenue vestimentaire ou la prise d’antidépresseurs avait été épinglées par la défense. Dernier exemple, au procès Depardieu, accusé de viols et d’agressions sexuelles, son avocat Me Jérémie Assous à propos de Charlotte Arnould, une des parties civiles : « cette malheureuse, cette mythomane », « menteuse Arnould ». Et à propos de ses consœurs de la partie adverse : « Allez pleurer », « C’est quoi ce rire d’hystérique ? », « Votre voix, c’est dur ». Ces mots ont provoqué une tribune dans Le Monde, le 28 mars, « Le sexisme contre les avocates ne doit plus avoir sa place en audience », signée par 200 avocats « viscéralement attachés aux droits de la défense ». Dans une contre-tribune, du 9 avril, Me Assous invoquait, lui, « le principe du contradictoire », assénant : « aussi désagréable que cela puisse être pour les plaignantes, un procès n’est pas une cérémonie expiatoire ». L’occasion de faire un point sur lesdits droits de la défense et sa contrepartie, la déontologie des avocats.

L’article 41 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse garantit aux avocats une immunité de parole qui protège les débats judiciaires, discours et écrits, sauf s’ils prononcent « des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires ». L’article 3 du code de déontologie de la profession exige de l’avocat « les principes d’honneur, de loyauté, d’égalité et de non-discrimination, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie ». En pratique, comment concilier les deux ? La pénaliste Laure Heinich, qui défend autant d’auteurs que de victimes de violences sexistes et sexuelles, avertit : « ces exemples très médiatiques ne sont pas le reflet de la défense que nous observons dans les tribunaux ». Et précise que « dans 90 % des cas, quand un avocat tente de culpabiliser une victime, le président l’arrête et la peine augmente ». En d’autres termes, ces excès à l’audience semblent, au mieux inefficaces, au pire contreproductifs. L’avocate convient que le principe du contradictoire implique « une certaine violence pour la victime », tout en rappelant que « le procès pénal n’est pas celui de la partie civile » : « On peut s’en prendre au manque de preuves sans s’en prendre à la plaignante ». Dans la préface du livre de l’avocate Carine Durrieu Diebolt, Violences sexuelles. Quand la justice maltraite, à paraître le 8 mai aux éditions Syllepse, la magistrate Magali Lafourcade résume l’enjeu de la défense en ces termes : « La justice pénale devrait être portée par deux aiguillons : son efficacité repose sur la recherche de la manifestation de la vérité ; son honneur sur le traitement humain de toutes les parties au procès ». Dans sa plaidoirie devant la Cour criminelle du Vaucluse, Me Antoine Camus, l’un des avocats de Gisèle Pélicot, a fait valoir que : « Certaines stratégies de défense n’ont plus leur place dans une enceinte judiciaire en France, au XXIe siècle. Si la défense est libre, elle dit aussi ce que nous sommes. »

Une évolution générationnelle et féministe ?

Lorsqu’elle défend l’un des 51 accusés au procès des viols de Mazan, Guilaine Michel a deux ans de barre : « Je suis devenue avocate après #MeToo ». Le mouvement initié fin 2017 a-t-il eu un impact sur sa pratique ? « C’est possible, admet-elle. Mais cela n’a jamais limité ma défense mais je l’ai intégré ». En se mettant à la place des parties civiles pour mesurer l’impact de ses mots, en refusant l’inversion de la culpabilité, « souvent un réflexe des auteurs » qui ont tendance à vouloir se défausser sur la victime. « Je leur explique qu’ils risquent de s’enfoncer, qu’accuser l’autre ne va pas les rendre moins coupables ». Elle est persuadée « que cette image de responsabilité rend service à (s)on client ». À Avignon, si la défense a travaillé en commun et affiché une image d’unité, plusieurs stratégies s’affrontaient. « C’était assez clivant entre nous », commente la jeune pénaliste qui rejoignait plus souvent le positionnement des consœurs de sa génération : « remettre en cause le témoignage de Mme Pélicot était pour nous toutes inaudible et inefficace », dit-elle, pointant néanmoins « une iconisation des victimes de viols à l’extérieur du procès et un risque de surprotection par les magistrats ». Une « difficulté » qui contraint d’autant plus la défense à rester mesurée. Plaider, c’est aussi s’adapter à son auditoire. Dans un article du Monde du 10 décembre 2024, intitulé « Trois avocates et un vrai moment de défense » Pascale Robert Diard souligne comment l’une d’elles exhorte le juge à « refuser de transformer un tribunal en tribune d’une cause, celle des femmes ». La journaliste loue d’elles trois « une justesse sans débordement, une simplicité de forme, une fermeté. Et, surtout, une volonté, tendue, d’extirper celui que chacune défendait, de la masse d’hommes ». Au nom d’un « principe absolu : celui de l’individualisation des peines ».

Signataire de la tribune des 200 avocats, Seydi Bâ, trente ans dont trois ans et demi de barre, défenseur d’une plaignante dans le dossier à venir French Bukkake, explique sa démarche : « ce n’est pas qu’une affaire de femmes. Des hommes aussi peuvent être choqués par ces propos misogynes (ceux de Me Assous, ndlr). C’est notre affaire à tous ». Une affaire de génération ? Pas seulement pour ce dernier qui dit s’être opposé à de jeunes confrères sur ce choix médiatique. « Ils considéraient que l’avocat est libre dans sa défense. Ce qui est vrai. Mais l’immunité de la robe ne peut protéger du regard de la société, qui évolue ». Lui a choisi de se distancer des codes d’une défense d’antan, « gaillarde », « poussant la victime dans ses retranchements pour la faire craquer », comme si « s’effondrer était la preuve qu’elle ment ». Et d’ajouter : « on peut être sans concession sans être violent ».

Éric Dupond-Moretti, surnommé Acquittator, incarnait cet avocat féroce et tonitruant, bousculant parties civiles et témoins, comme lors du procès pour viols de l’ex-élu LR Georges Tron, fin 2017. Ceux de sa génération se souviennent d’un avocat « qui régnait par la terreur, était craint des magistrats, coupait la parole, créait des incidents permanents ». « Il avait le talent pour ça », affirme Laure Heinich, reconnaissant que cette méthode « ne marcherait sans doute plus aujourd’hui ». À 51 ans, l’avocate constate que cette moindre tolérance des avocats et magistrats à la violence dans l’audience est intervenue « en parallèle d’une féminisation de ces professions ». En 1978, Gisèle Halimi faisait figure d’exception en ne plaidant que devant des hommes et en incarnant cette figure emblématique de la défense des femmes. Au tournant des années 2000, lorsque Me Heinich a commencé dans le métier, « la défense des parties civiles n’était pas du tout investie par les pénalistes. Nous avons été élevés à celle des auteurs ». Lorsqu’elle a commencé à enseigner à l’EFB, un peu avant #MeToo, la responsable du parcours de droit pénal n’avait « pas eu l’idée de faire un cours sur les victimes au procès ». On lui en a fait la remarque, et elle l’a depuis intégré dans ses modules de formation, comme une évidence. De fait, ce champ-là s’est professionnalisé au point que certains – certaines – sont devenus des avocates de « causes », à l’image d’Anne Bouillon, qui ne défend plus que des victimes de violences sexistes et sexuelles. Elle a d’ailleurs saisi l’occasion du procès Depardieu pour écrire une tribune dans Libération, le 29 mars dernier, « Une autre défense était possible », où elle constate que nombre d’avocats « développent des stratégies de défense redoutablement efficaces de technicité et de contre-argumentation, sans jamais céder à une trop facile et attendue attaque des plaignantes (sur leur moralité, leur santé mentale, leurs mœurs ou leurs traumas…) ».

La police de l’audience et le rôle des ordres questionné

« Mutisme absolu du tribunal dans son ensemble », « absence de réaction de l’ordre des avocats », déplore la tribune des 200 avocats, à propos du même procès Depardieu. Claude Vincent, avocate d’une des parties civiles, confirme avoir obtenu la présence d’un ancien membre du conseil de l’ordre de Paris le premier jour d’audience, déjà tendu. « Nous n’avons pas obtenu leur soutien », regrette l’avocate qui a resollicité leur intervention par la suite, en vain. « Ils m’ont répondu qu’ils n’interviendraient qu’en cas d’incident. Or, c’est tout ce que nous voulions éviter pour ne pas risquer un nouveau renvoi, dans l’intérêt de nos clientes ». Selon ses informations, il aurait alors fallu attendre « fin 2026 ». Coprésidente de la commission féministe du Syndicat des avocats de France, elle considère qu’il y a « encore beaucoup de défense misogyne dans les tribunaux et plus de latitude offerte par les avocats et avocates de la défense que celles et ceux des parties civiles ». La vice-bâtonnière de Paris, Vanessa Boursado, assure : « Nous sommes particulièrement vigilants au respect des règles ». Et rappelle qu’il existe une police de l’audience et que toute partie peut saisir le bâtonnier, avec de possibles sanctions « si des manquements graves sont établis ». Selon elle, « la défense n’a pas à être constructive ou à plaire. Elle est libre de ses moyens, de sa stratégie, dans le strict respect des règles déontologiques de notre profession ». La vice-présidente de la commission règles et usages du Conseil national des barreaux (CNB) et vice-bâtonnière à Nancy, Frédérique Morel, affirme que « la déontologie se règle dans le bureau du bâtonnier » et que « la misogynie n’est pas une infraction pénale ». Pourtant, l’outrage sexiste l’est (C. pr. pén., art. 611-1). Quant à l’obligation de délicatesse, elle s’estime « au cas par cas ». « Interroger une victime n’est pas indélicat. L’insulter, lui hurler dessus, peut l’être, mais les choses sont rarement binaires », précise-t-elle. « Il existe des défenses de rupture, d’autres plus douces, poursuit-elle. Le seul guide doit être l’intérêt du client car il en portera les conséquences ». Le président de la Conférence des bâtonniers, Jean-Raphaël Fernandez, met lui en garde contre « la politique de l’instrumentalisation : le procès n’est pas celui des avocats des parties ». Néanmoins, il évoque des discussions, encore informelles, sur la défense des avocats mais aussi sur la manière de mieux les protéger des attaques et menaces venant de l’extérieur, réseaux sociaux inclus. « On n’est ni sourds ni aveugles aux évolutions, et on regarde si nos règles sont toujours en adéquation avec ce qu’on est en droit d’attendre aujourd’hui ». Il rappelle qu’à la différence du serment d’avocat, « inchangé depuis Badinter », en 1982, le règlement intérieur de la profession « est en perpétuelle évolution ». « Nos règles ne sont pas immuables », suggère le Marseillais.

Côté magistrature, l’ex-présidente du Syndicat de la magistrature, Kim Reuflet, constate que les avocats et les magistrats se renvoient dos à dos la responsabilité de la tenue de l’audience. En tant que présidente d’audience, elle observe que les avocats goûtent peu les interruptions des magistrats les rappelant à l’ordre, et qu’ils dénoncent, « parfois à raison, certains excès ». « C’est une réflexion collective à mener sur la façon de mieux réguler les audiences. Le procès ne peut pas rester un sanctuaire où on tolère des propos sexistes et outranciers », se positionne-t-elle, complétant « à mon avis ce n’est pas en sanctionnant les avocats et magistrats que la situation va s’améliorer ». Aujourd’hui, la police de l’audience reste un devoir de vigilance aux limites « assez floues », selon la magistrate. « Nos propres biais entrent en jeu, et sont le reflet d’une tolérance plus générale de la société aux propos sexistes ». Elle pointe un manque dans la formation initiale : « il n’y a pas de réflexion spécifique sur la question du procès pénal en matière de violences sexistes et sexuelles ». Pourtant, le syndicat avait mené une étude publiée fin 2024 auprès de la profession qui avait démontré l’existence de comportements et biais sexistes chez les magistrats, et il avait proposé d’améliorer la formation. « Nous n’avions eu aucun retour des institutions », rapporte Kim Reuflet. Côté avocats, c’est le Défenseur des droits qui s’était saisi de cette question dans un rapport de 2018, pointant des « discriminations fréquentes » au sein de la profession, en particulier sexistes, mais « rares » étaient les avocats ayant engagé un recours perçu comme « inutile, difficile à documenter par manque de preuves ou exposant à de possibles représailles ». Le Défenseur des droits concluait à une nécessaire sensibilisation des acteurs concernés et à une mobilisation des ordres.

Avancées en matière de viol et victimisation secondaire

Dans son livre « Il faut faire confiance à la justice ». #MeToo. Une mise au point indispensable, paru en mars 2025 aux éditions La meute, la pénaliste Élodie Tuaillon-Hibon, qui ne défend que des victimes de violences sexistes et sexuelles, dénonce des enquêtes « où on se donne souvent peu de mal pour rechercher les indices, tant on est obsédé par la preuve matérielle alors que celle-ci demeure assez rare dans ce type d’affaires ». Elle pointe un « manque de formation » et une « méconnaissance de ce qu’est un viol ». Seydi Ba atteste qu’un procès pour viol, « c’est rarement une parole contre l’autre ». Cela l’enjoint à interroger davantage les enquêteurs « pour pointer les carences, l’absence d’éléments », et à rester « moins longtemps » sur la victime, « qui est souvent sur la défensive ». Les mécanismes en matière de viol semblent un peu mieux connus au sein des tribunaux. C’est d’autant plus vrai dans les cours criminelles départementales où cinq magistrats jugent 90 % de crimes de nature sexuelles. Élodie Tuaillon-Hibon évoque aussi l’impulsion de magistrats comme « Gwenola Joly-Coz, Ombeline Mahuzier ou Éric Corbeaux », qui ont fait entrer dans la pratique judiciaire « le concept sociologique de contrôle coercitif » en matière de violences conjugales, et le rôle de la Cour de cassation qui a reconnu le « phénomène neuropsychologique » de « sidération ». Il en va de même pour les mécanismes d’emprise ou les comportements à risques à la suite d’un traumatisme. « #MeToo a fait évoluer notre pratique » confirme Laure Heinich. « En général, on n’explique plus à un magistrat ce qu’est une mémoire traumatique, même si parfois on se tape encore la tête contre les murs ». Reste à faire entrer « massivement » tout ce savoir dans les facultés de droit, termine Élodie Tuaillon-Hibon, sans quoi, « il restera difficile de faire confiance à la justice ».

Dès 2010, la Cour de cassation, saisie sur les intérêts civils d’un procès pour agression sexuelle, reconnaissait l’existence d’un « préjudice lié au déroulement de la procédure et notamment les souffrances imposées à victime du fait des audiences ». Elle a réitéré depuis. Aujourd’hui, on parle de « victimisation secondaire ». Un phénomène récurrent dans les affaires de violences sexuelles : dans un rapport de l’association Mémoire traumatique et victimologie de mars 2015, 89 % de victimes de violences sexistes et sexuelles disaient avoir mal vécu le procès. Claude Vincent et Carine Durrieu Diebolt l’ont fait valoir pour leurs clientes, parties civiles au procès Depardieu, réclamant des dommages et intérêts pour la victimisation secondaire que ces dernières auraient subi à l’audience. La seconde avocate qualifie ce concept de « préjudice moral aggravé », dans son livre Violences sexuelles. Quand la justice maltraite, paru en mars 2025 aux éditions Syllepse. Elle note tout d’abord « un écart dans le traitement pénal » entre les victimes de vols ou d’agressions physiques et celles de violences sexuelles. « La reconnaissance du statut de victime de ces dernières est beaucoup plus difficile à obtenir, au terme d’une procédure pénale éprouvante », faite de procédures très longues, de confrontations avec l’auteur, de répétitions du récit des faits, d’expertises, « de questions intrusives, suspicieuses et culpabilisantes » alors même que « les fausses accusations sont rares (entre 2 et 8 % selon les études) », rappelle l’autrice. Elle compare ainsi le procès des viols de Mazan à celui des assassins de Samuel Paty : « le traitement judiciaire a été, dans un cas, respectueux de la victime, et dans l’autre, malmenant pour celle-ci ». La pénaliste développe quatre dossiers de son cabinet dans lesquels le processus judiciaire a produit une telle surcouche de traumatisme pour la victime que l’une a perdu connaissance au cours de son procès, et qu’une autre a obtenu en appel l’accord du président d’assises pour être présente en visioconférence. D’autres États, notamment dans les pays anglo-saxons, choisissent d’écarter d’emblée les victimes au procès. Partisans et opposants d’une évolution de la pratique de la défense s’accordent pour louer le système français.

Pistes de réflexions françaises et étrangères

La France fait l’objet de huit recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, dont plusieurs reprennent le terme de « victimisation secondaire ». L’un d’eux a été initié par la touriste canadienne de l’affaire du 36 quai des Orfèvres (les auteurs ont été condamnés en 1re instance et acquittés en appel). La jurisprudence de la Cour européenne est fournie en la matière comme le souligne Carine Durrieu Diebolt dans son ouvrage : restrictions au droit d’interroger une victime traumatisée en audience et aux mentions faites à sa tenue ou à ses pratiques sexuelles, jugées non déterminantes pour la résolution de l’affaire ; risque de qualification de traitement inhumain et dégradant du traitement procédural ; rappel du rôle du président d’audience dans la protection de la victime. Autant d’usages dont les justiciables français peuvent se prévaloir devant les tribunaux et que magistrats et avocats peuvent faire appliquer, ce qui semble encore rare. Des dispositifs en droit français existent aussi pour soulager la victime d’un procès qui s’annonce difficile. Le code de procédure pénale prévoit ainsi la possibilité de recourir à la visioconférence « devant la juridiction de jugement » (C. pr. pén., art. 706-71) mais là encore, son usage « reste exceptionnel », regrette Carine Durrieu Diebolt contrairement à l’usage espagnol notamment. L’Australie et le Canada interdisent d’évoquer le passé de la victime et d’aborder son comportement sexuel ou sa réputation, s’il n’y a pas de lien direct avec l’affaire. Certains estiment ces mesures souhaitables en France. Pour Frédérique Morel, au CNB, il existe « suffisamment de dispositifs en France » : « la loi peut évoluer mais le risque est que la justice n’ait pas les moyens de la mettre en œuvre ». Seydi Ba considère que « ce n’est pas tant les règles qui doivent évoluer que leur application ». La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) ne dit pas le contraire. C’est l’une des 82 recommandations de son rapport de novembre 2023 remis au gouvernement : « faire respecter à l’audience les obligations déontologiques de délicatesse et de modération des avocats de la défense ». Elle suggère aussi de « veiller au respect de l’interdiction des confrontations à l’audience », insistant sur la formation des praticiens du droit, et un « accès aux avocats spécialisés tant dans les violences sexistes et sexuelles qu’en réparation corporelle ». Ancien membre de la CIIVISE, Carine Durrieu Diebolt affirme que ce travail « déterminant », n’a pas été, en pratique, suivi d’effets manifestes. Elle appelle à « traiter la victime avec humanité », comme « on parle souvent de traiter le coupable avec humanité », et appelle à « un nouvel équilibre entre la technique et l’émotionnel » au procès. Dans sa tribune sur « une autre défense », l’avocate Anne Bouillon présente le procès comme « une chance à saisir ». Et propose une défense consistant à « franchir l’espace qui sépare le vieux monde de celui d’aujourd’hui ». Elle raconte quelques « rares » audiences où victimes et auteurs, « chacun·e à leur place », se sont reconnus « une commune humanité ». La justice restaurative, bien que prévue à très petite échelle, favorise ce type d’opportunité. Pour Guilaine Michel, défendre en ayant intégré les mécanismes du viol est « un chemin » que tous les avocats ne souhaitent pas prendre. Terminons par une interview de l’ancien garde des Sceaux, Robert Badinter, au Monde, en 2007, dix ans avant #MeToo. Il affirmait que « la victime doit être traitée en justice avec toute l’humanité que sa souffrance appelle », ajoutant une limite peut-être plus sensible désormais : « la justice pénale n’a pas pour mission d’être une thérapie de la souffrance des victimes ».

 

© Lefebvre Dalloz