Défense de rupture ou rupture des droits de la défense ?
Ne constitue pas un mode de défense et peut être sanctionné comme une faute déontologique le fait pour un avocat de refuser de déférer à une commission d’office pour assurer la défense d’un accusé devant la cour d’assises, même sur demande de son client.
 
                            Dans un communiqué du 8 mars 2024, concernant le droit pour les avocats de soulever des nullités de procédure, l’Association des avocats pénalistes rappelait qu’une défense n’avait pas à être « constructive » ou « certifiée par les magistrats ».
L’avocat, en concertation avec son client, est libre de choisir, en toute indépendance, le mode de défense qu’il estime être le plus adéquat, y compris lorsque cela implique de se placer en opposition avec l’institution judiciaire.
Gardant ces impératifs à l’esprit, il n’en reste pas moins que la défense s’exerce nécessairement dans un cadre légal, qui pose certaines limites à la créativité et à la liberté des avocats. Le fait, pour des avocats commis d’office pour assurer la défense d’un accusé devant la cour d’assises, de refuser de se présenter à l’audience peut-il constituer un mode de défense protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ? La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 février 2024, répond par la négative, et juge que ce refus peut constituer une faute disciplinaire et être sanctionné comme telle.
Les avocats demandeurs au pourvoi étaient placés dans une situation difficile. En cours d’audience devant la cour d’assises, l’accusé qui les avait choisis pour le défendre, a déclaré vouloir quitter la salle d’audience de son procès et a demandé à ses avocats de ne plus assurer sa défense. Le président de la cour d’assises décide de les commettre d’office. Les deux avocats, successivement choisis puis commis d’office, présentent alors des motifs d’excuse et d’empêchement afin d’être dessaisis. Malgré le rejet de ces motifs par le président de la cour d’assises, les avocats commis d’office ont refusé de rejoindre la salle d’audience.
Les deux avocats ont fait l’objet de poursuites disciplinaires pour avoir manqué aux règles propres à l’acceptation d’une commission d’office. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, approuvée par la Cour de cassation, juge que les avocats ont privé l’accusé d’être défendu à l’audience et doivent en conséquence être sanctionnés disciplinairement.
Rappels sur l’obligation de déférer à une commission d’office
La Cour commence par rappeler qu’aux termes de l’article 317 du code de procédure pénale, à l’audience de la cour d’assises, la présence d’un défenseur auprès de l’accusé est obligatoire. Si l’accusé n’a pas désigné d’avocat ou qu’il récuse l’avocat qui l’assistait jusqu’à l’audience, il revient au président de la cour d’assises d’en désigner un d’office.
Les avocats ont en principe l’obligation de déférer à une commission d’office, en application de l’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l’article 6 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat. Il s’agit également d’une obligation découlant du statut « d’auxiliaire de justice » de l’avocat dont le concours est indispensable à la tenue d’un procès équitable (Loi du 31 déc. 1971, préc., art. 3 ; Conv. EDH, art. 6, §§ 1 et 3).
Il est cependant toujours possible pour un avocat de demander à être relevé de cette obligation. Celui-ci doit alors présenter des motifs d’excuse ou d’empêchement, qui doivent être approuvés par l’autorité qui l’a commis d’office (le bâtonnier de son ordre, ou le président de la cour d’assises). Si ces motifs sont rejetés, il doit alors déferrer à la commission d’office et assister son client. S’il refuse malgré tout, il peut être poursuivi disciplinairement, et ce même s’il a été récusé par son client. Il n’appartient évidemment pas à l’avocat commis d’office d’apprécier lui-même la régularité du rejet de sa demande (CNB, comm. RU, avis n° 2004/027 du 3 mai 2004), il revient au juge saisi de l’instance disciplinaire d’apprécier la régularité de la décision de rejet des motifs d’excuse ou d’empêchement présentés par l’avocat (Civ. 1re, 20 mai 2020, n° 18-25.136, Dalloz actualité, 2 juin 2020, obs. G. Deharo ; D. 2020. 1115  ; D. avocats 2020. 334 et les obs.
 ; D. avocats 2020. 334 et les obs.  ).
).
C’est après avoir rappelé ces règles et leur irrespect par les avocats que la Cour de cassation, dans le même geste, juge, sans plus de justification, que « leur comportement, même s’il était approuvé par le client, n’était pas un mode de défense au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (§ 12). Ce raisonnement ne peut manquer d’interroger tant il apparaît que l’application mécanique des règles d’acceptation de la commission d’office permet en réalité à la Cour de cassation d’éviter de se confronter aux questions plus complexes qui lui étaient posées dans cette affaire qui touchent, notamment, au libre choix de sa défense par un accusé et son avocat et à l’indépendance de ce dernier par rapport à l’autorité judiciaire qui l’a commis.
Le refus d’être présent lors de son procès peut-il être un mode de défense ?
Les auteurs du pourvoi soutenaient qu’en l’espèce, leur refus de rejoindre la salle d’audience, à la demande de leur client qui avait lui-même déclaré vouloir quitter son procès, constituait un mode de défense à part entière, « un choix ultime de défense de l’accusé face à un procès dont les conditions inéquitables étaient dénoncées en vain » (4e moyen).
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, pour approuver la sanction déontologique des avocats commis d’office, avait relevé que le fait pour eux de ne pas rejoindre la salle d’audience malgré le rejet de leurs motifs d’excuse et d’empêchement par le président de la cour d’assises avait « privé l’accusé d’être défendu à l’audience » (§§ 5 et 14).
Les juges d’appel avaient également relevé à juste titre que le comportement des avocats n’avait « pas entravé le cours de la justice » (§§ 5 et 14). En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que le refus d’un avocat commis d’office d’assister à l’audience, laissant donc seul un accusé lors de son procès, n’entraîne pas la nullité de la procédure et n’empêche pas les débats de se poursuivre, à partir du moment où cette absence n’est pas du fait de la cour d’assises, de son président ou du ministère public (Crim. 24 juin 2015, n° 14-84.221, Dalloz actualité, 9 juill. 2015, obs. S. Fucini ; D. 2015. 1443  ; AJ pénal 2016. 38, obs. J.-B. Perrier
 ; AJ pénal 2016. 38, obs. J.-B. Perrier  ). Si l’avocat commis d’office quitte de lui-même la salle d’audience, il n’est même pas fait obligation au président de la cour d’assises d’en commettre un autre (Crim. 29 mars 2017, n° 15-86.300, AJ pénal 2017. 294, obs. J.-B. Thierry
). Si l’avocat commis d’office quitte de lui-même la salle d’audience, il n’est même pas fait obligation au président de la cour d’assises d’en commettre un autre (Crim. 29 mars 2017, n° 15-86.300, AJ pénal 2017. 294, obs. J.-B. Thierry  ). L’accusé est alors jugé sans avocat, alors même qu’il encourt une peine de réclusion criminelle.
). L’accusé est alors jugé sans avocat, alors même qu’il encourt une peine de réclusion criminelle.
On comprend donc que la commission d’office d’un avocat de la défense, et l’obligation qui est faite à ce dernier d’assister effectivement son client, répondent à la nécessité de protéger les droits de l’accusé devant une cour d’assises. Ces droits de la défense cèdent toutefois le pas face à l’exigence de bonne administration de la justice lorsqu’aucun avocat ne se présente malgré une commission d’office.
L’institution judiciaire a fait sa part en commettant un avocat, les manquements de ce dernier ne doivent pas entraver le bon déroulement de l’audience, qui doit malgré tout se tenir. À la réflexion, il semble que ces développements jurisprudentiels visent davantage à protéger la valeur des décisions de justice en s’assurant qu’un avocat était présent lors de l’audience plus qu’à s’assurer qu’une défense libre et efficace soit apportée à l’accusé.
Si les avocats ont été sanctionnés, c’est donc uniquement car, en adoptant cette posture de défense, ils auraient selon la Cour manqué à leur devoir et privé l’accusé d’une défense effective. Eux prétendent au contraire avoir rempli leur mission de défense en toute indépendance et en conscience, à la demande leur client. En appliquant les règles déontologiques liées à la commission d’office, les magistrats se retrouvent donc dans la position de se prononcer sur le bienfondé et la validité d’une stratégie de défense adoptée par un accusé devant une cour d’assises et ses avocats.
Or, le principe de libre défense et d’indépendance de l’avocat dans l’élaboration de sa stratégie de défense sont reconnus depuis longtemps. Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendu sur question prioritaire de constitutionnalité portant sur les règles de la commission d’office, affirmait en 2018 que « l’avocat commis d’office est tenu d’assurer la défense de l’accusé tant qu’il n’a pas été relevé de sa mission par le président de la cour d’assises. Dans ce cadre, il exerce son ministère librement » (nous soulignons) (Cons. const. 4 mai 2018, n° 2018-704 QPC, Dalloz actualité, 7 juin 2018, obs. H. Diaz ; D. avocats 2018. 171, obs. L. Dargent  ; ibid. 277, obs. G. Royer
 ; ibid. 277, obs. G. Royer  ).
).
De plus, le texte même de l’article 9 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, sur lequel l’arrêt commenté se fonde notamment, dispose que « [l]’avocat régulièrement commis d’office par le bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le bâtonnier ou par le président » (nous soulignons encore). En l’espèce, les avocats sanctionnés n’ont pas « refusé leur ministère », mais refusé de rejoindre l’audience, en application d’une stratégie de défense et à la demande de leur client.
Dans ces conditions, et puisque l’absence ou la présence d’un avocat lors de l’audience n’est pas de nature à perturber la procédure judiciaire au point de provoquer son annulation ou une interruption des débats, il est effectivement paradoxal de reprocher à un avocat d’avoir adopté la défense qu’il estimait devoir s’imposer pour protéger au mieux les intérêts de son client au nom de la protection de ces mêmes droits de la défense. Dans un tel contexte, il est par ailleurs probable que les relations entre le président de la cour d’assises concerné et les avocats de l’accusé aient été tendues, ce qui est de nature à rouvrir le débat sur le mécanisme de la commission d’office qui place le président de la cour d’assises qui a décidé de la commission d’office dans la position d’accepter ou de refuser les motifs d’excuse et d’empêchement présentés par les avocats, procédure qui a pourtant été validée par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 4 mai 2018, n° 2018-704 QPC, préc.).
Il s’agissait évidemment d’un cas « limite », une forme de défense « de rupture » que les juges ont voulu sanctionner car elle leur paraissait incompatible avec la fonction même de l’avocat et le mécanisme de la commission d’office. Sans nous prononcer sur l’opportunité d’une telle défense consistant à ne pas assister aux débats, il nous semble pourtant que l’avocat devrait conserver une entière indépendance dans le choix de la défense de son client.
Dorénavant, en pareilles circonstances et comme le craignaient les auteurs du pourvoi, si des avocats commis d’office souhaitent choisir ce mode de défense sans risquer d’être sanctionnés disciplinairement, ils devront se résoudre à assister aux débats en adoptant « une présence passive et taisante » contre leur volonté et celle de l’accusé. Si les arrêts criminels rendus en pareilles circonstances pourront bien porter la mention que l’accusé était « assisté par son avocat », il n’est pas certain que les droits de la défense en soient pour autant mieux garantis.
Civ. 1re, 28 févr. 2024, FS-B, n° 22-20.147
© Lefebvre Dalloz