Demande d’enregistrement audiovisuel d’une audience : précisions sur les motifs de refus
Le refus de captation audiovisuelle d’une audience de délibéré est justifié dès lors qu’un tel procédé ne permettrait pas d’expliquer le fonctionnement de la justice ou le déroulement d’une audience aux citoyens, ce délibéré intervenant à l’issue de plusieurs jours de débats non enregistrés.
En l’espèce, une société de production a demandé à pouvoir enregistrer et diffuser une audience de délibéré prévue le 5 mars 2024 devant la Cour d’appel de Paris. Le premier président de la cour d’appel ayant, par ordonnance, rejeté cette requête, la société de production a formé un recours en annulation.
La recevabilité du recours
Dans son arrêt, la chambre criminelle commence par apporter d’intéressantes précisions procédurales relatives à la recevabilité du recours. Il faut à ce propos rappeler que la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire est à l’origine d’une évolution juridique majeure en permettant, à certaines conditions, de déroger au principe de l’interdiction de tout enregistrement et diffusion des audiences. Ce texte autorise en effet l’enregistrement sonore ou audiovisuel d’une audience « pour un motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique, en vue de sa diffusion ».
Le décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 est venu préciser les modalités de recours contre le refus d’enregistrement d’une audience en matière pénale. En application de ce texte, ce recours doit être porté devant la Cour de cassation lorsque la décision a été rendue par le premier président de la Cour de cassation, par le président des juridictions comprenant un magistrat du siège membre de la Cour de cassation ou le premier président d’une cour d’appel, ce qui était le cas en l’espèce. Ce recours est formé par simple déclaration au greffe et est examiné par la chambre criminelle, selon les règles qui lui sont applicables. Il s’évince de ces dispositions qu’en l’espèce, le recours formé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception adressée au premier président de la Cour de cassation ne répondait pas aux règles précitées.
Les hauts magistrats concluent cependant à sa recevabilité. Dans un souci de pédagogie, ils considèrent en effet qu’une solution inverse porterait atteinte au principe de prévisibilité juridique. Selon eux, tout justiciable doit pouvoir connaître, « à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, les règles de procédure applicables à son action ».
Les motifs du refus
Sur le fond, le requérant considère que les raisons invoquées pour refuser l’enregistrement de l’audience ne correspondent pas aux prévisions de la loi. Il relève en ce sens que l’ordonnance justifie le refus d’enregistrement au motif que la captation de la seule audience de délibéré ne permettrait pas d’expliquer le fonctionnement de la justice ou le déroulement d’une audience aux citoyens. Or, la société de production fait valoir que le législateur n’impose pas la captation et la diffusion complète des débats. En outre, elle relève que ni la loi ni le décret n’érigent en condition de recevabilité de l’enregistrement la nécessité d’expliquer le fonctionnement de la justice ou le déroulement d’une audience aux citoyens. Selon le requérant, l’objet de la loi est plus large et consiste à permettre aux citoyens de connaître l’activité judiciaire. En outre, la société de production fait grief à l’ordonnance de ne pas avoir suffisamment justifié sa décision de refus au regard de la logistique prévue dans une note d’intention transmise au magistrat. En effet, le refus d’enregistrement reposait notamment sur le risque de perturbation de la sérénité et de la solennité de l’audience. Ce risque était nourri, selon le premier président de la cour d’appel, par la présence, dans la salle d’audience, de quatre personnes, étant précisé que la note d’intention n’indiquait pas la nature du matériel nécessaire.
La Cour de cassation rejette le recours. Elle approuve ainsi le premier président d’avoir considéré qu’en l’espèce le requérant n’avait pas suffisamment justifié que sa demande d’enregistrement correspondait à l’objet de la loi, en l’espèce faire connaître aux citoyens l’activité judiciaire. Cette approche retenue par la Cour de cassation confirme que la restauration du lien de confiance entre le citoyen et l’institution judiciaire doit passer par une meilleure compréhension du débat judiciaire et de la manière dont la décision de justice s’élabore.
En ce sens, les hauts magistrats ne nient pas l’intérêt informatif d’un documentaire relatif à des faits de délinquance financière, contentieux concerné par cette audience. Toutefois – et comme l’avait déjà signalé le premier président –, la demande d’enregistrement, qui ne portait en l’espèce que sur l’audience de délibéré, prive nécessairement les citoyens des débats qui ont eu lieu durant plusieurs jours. Ce faisant, la captation de cette seule audience de délibéré, et non de l’intégralité des débats, ne peut pas permettre d’atteindre le cap fixé par le législateur, à savoir expliquer aux citoyens le fonctionnement de la justice ou le déroulement d’une audience (O. Leurent, La compréhension du processus judiciaire participe à la légitimité du juge, Cah. justice 2022. 625
; M. Blima-Barru, Filmer les procès pour l’histoire : la fabrique d’une archive de la justice, Cah. justice 2021. 2025, sépc. 297
).
Il est également relevé par la chambre criminelle que la note d’intention transmise par la société de production fait redouter un angle d’approche subjectif du sujet. n’apparaissant pas de nature à préserver la sérénité et la solennité de l’audience, et ce en raison d’un dispositif d’enregistrement particulièrement lourd.
Cet arrêt contribue ainsi à la naissance d’une jurisprudence nouvelle relative à l’enregistrement des audiences en matière pénale. Il s’agit en effet de trouver l’équilibre entre l’enregistrement pour des motifs d’intérêt public et l’enregistrement destiné à faire du procès un spectacle (J.-M. Pastor, Filmer le procès sans en faire un spectacle, AJDA 2021.769
).
Crim. 28 févr. 2024, F-B, n° 24-81.179
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