Déplacement illicite : appréciation de la conformité à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme de la décision ordonnant le retour de l’enfant

N’est pas contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme la décision qui ordonne, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, le retour de l’enfant après son déplacement illicite, dès lors que les juges nationaux ont constaté que l’enfant n’encourait aucune violence physique ou psychique et que le requérant ne démontrait pas l’entrave concrète de ses droits parentaux à l’étranger.

Comme chacun sait, les engagements internationaux qui obligent les États sont particulièrement nombreux. Que l’on s’en réjouisse, en estimant que c’est autant de droits et garanties par lesquels les individus jouissent d’une protection significative, ou qu’on le déplore, en constatant parfois l’obscurité qui se dégage de la densité d’un tel environnement normatif, il est certain que l’enchevêtrement qui en résulte oblige les juges nationaux à composer et jongler avec des dispositions éparses.

Telle est la situation susceptible de résulter d’un enlèvement international d’enfant où le juge français devra conjuguer la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants avec la Convention de New York relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, sans préjudice des garanties issues de la Convention européenne, en particulier de son article 8 relatif au droit au respect de la vie privée et familiale (v. déjà, CEDH 18 juin 2019, Vladimir Ushakov c/ Russie, n° 15122/17, AJ fam. 2019. 540, obs. N. Nord ).

Si l’arrêt rendu le 28 mars 2024 par la Cour européenne des droits de l’homme nous donne l’occasion d’illustrer une telle situation, il convient, avant d’envisager la solution rendue en l’espèce, de retracer la procédure et le contexte litigieux.

Le contexte litigieux et la procédure en France

En l’espèce, une Française et un Japonais se sont mariés en France en 2007, avant de partir s’installer au Japon, où naîtra de cette union un enfant en 2015. En juillet 2017, la mère et l’enfant sont rentrés en France où celle-ci y déposa une requête en divorce. De son côté, le père a sollicité auprès des autorités japonaises une demande d’aide au retour de l’enfant aboutissant, en France, à l’intervention de la Chancellerie en sa qualité d’autorité centrale pour la mise en œuvre de la Convention de La Haye, et ce afin qu’une décision ordonnant le retour de l’enfant soit rendue.

C’est donc par suite d’une assignation du procureur de la République du Tribunal de grande instance de Montpellier que le déplacement de l’enfant a été considéré comme illicite sur le fondement de la Convention de La Haye aux termes d’une ordonnance du 8 février 2018, confirmée en toutes ses dispositions par la Cour d’appel de Montpellier le 12 juillet 2018. L’arrêt, frappé d’un pourvoi par la mère, a été cassé par la Cour de cassation le 22 novembre 2018 au motif que les juges du fond n’avaient pas recherché si, en cas de retour de l’enfant au Japon, la mère n’allait pas se trouver privée de ses droits parentaux, exposant ainsi son enfant, âgé de trois ans et ayant toujours vécu auprès d’elle, à un risque grave de danger psychologique.

Ordonnant à nouveau le retour de l’enfant, la cour d’appel de renvoi releva, d’une part, qu’il ne saurait y avoir de traumatisme psychologique pour l’enfant à retourner dans le pays où se trouvait sa famille paternelle et où il avait construit des repères identitaires depuis sa naissance et, d’autre part, prenant acte de la censure, que le Japon ayant ratifié la Convention de La Haye en 2014, il ne pouvait être préjugé, à ce stade de la procédure, de la situation juridique susceptible d’être créée par une instance en divorce au Japon et ce d’autant plus qu’un préalable de médiation existe dans une telle procédure qui connaît également la possibilité d’organiser un divorce par consentement mutuel.

Aux termes d’un nouveau pourvoi formé par la mère, la Cour de cassation jugea qu’en l’état de ces constatations, la cour d’appel avait statué en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que l’y oblige l’article 3 de la Convention de New York, confirmant donc le déplacement illicite et le retour au Japon.

C’est donc dans ces circonstances que les juges strasbourgeois ont été appelés à exercer leur contrôle à l’aune de l’article 8 de la Convention européenne.

La conformité de la décision ordonnant le retour à l’article 8

Devant la Cour, la requérante considère que la décision ordonnant le retour de l’enfant constitue une ingérence dans ses droits garantis par l’article 8 de la Convention européenne. À cet égard, elle estime en substance qu’il existait un risque insuffisamment pris en compte par les juridictions nationales que l’enfant soit soumis à des violences physiques et psychiques et que, par ailleurs, elle-même encourait le risque, eu égard à la législation japonaise applicable, d’être dans l’impossibilité de maintenir des contacts avec son fils dans ce pays. Dans ces conditions, selon la requérante, la décision ordonnant le retour de l’enfant n’aurait pas été prise dans son intérêt supérieur.

Il n’y a guère lieu de s’attarder sur la question des risques de violences physiques et psychiques avancés par la requérante. Sur ces aspects, les juges strasbourgeois considèrent que les juridictions internes ont été unanimes quant à la réponse donnée à cette allégation, estimant l’allégation insuffisamment démontrée (pts 58 à 61).

Plus intéressante, nous semble-t-il, est la question du risque, invoqué par la requérante, dû aux obstacles liés au maintien des contacts entre elle et son fils au regard de la législation japonaise, risque qui n’aurait pas été valablement examiné par les juridictions internes et à l’égard duquel, par ailleurs, elle invoque un renversement de la charge de la preuve au motif qu’à partir du moment où elle avait présenté certains éléments démontrant les obstacles prévisibles au maintien des contacts avec son fils, il appartenait au juge, s’agissant de l’établissement du contenu d’une loi étrangère, de démontrer qu’elle ne perdrait pas ses droits parentaux ni ne se verrait dans l’impossibilité de se rendre en Japon.

La critique ne va pas davantage prospérer sur ce point

Pour les juges strasbourgeois, la cour d’appel de renvoi – approuvée cette fois par la Cour de cassation – avait pris le soin de préciser que la France avait accepté sans réserve la ratification de la Convention de La Haye par le Japon et que ses autorités disposaient, pour apprécier l’existence d’un risque grave de danger, des informations fournies par l’autorité centrale de ce pays ou de toute autre autorité compétente de l’état de la résidence habituelle de l’enfant.

Il est vrai que certains éléments laissaient planer une incertitude quant au maintien des contacts entre la mère et son fils, une fois le retour de ce dernier au Japon. À cet égard, outre une question au gouvernement (n° 14370, réponse publiée au JO du 25 juin 2019), dans une résolution du 8 juillet 2020 (n° 2020/2621) « sur l’enlèvement parental international et national d’enfants de l’Union européenne au Japon », le Parlement européen avait fait part de sa préoccupation concernant la hausse du nombre d’enlèvements d’enfants par l’un des deux parents au Japon, tout en appelant les autorités japonaises à mettre en œuvre les règles internationales en matière de protection des enfants et à introduire des changements dans le système juridique afin de permettre la garde partagée.

Ces inquiétudes générales n’ont toutefois pas été jugées suffisantes aux yeux de la Cour européenne qui souligne que, devant les juridictions nationales, la mère de l’enfant n’avait pas démontré dans quelle mesure se trouvait-elle privée, concrètement, de ses droits parentaux par la législation japonaise, et ce d’autant qu’elle n’avait manifestement jamais mis à exécution son engagement d’accompagner son enfant au Japon. Or, il n’y avait pas lieu de préjuger de la situation juridique qui résulterait de l’ouverture d’une procédure de divorce dans ce pays (pt 63).

C’est qu’en réalité, il était moins question de l’établissement du droit étranger, comme l’invoquait la requérante, que de la réalisation du droit étranger par les juridictions étrangères. Or, sur ce point, l’analyse ne peut qu’être menée in concreto, ce qui postule que des difficultés soient réellement rencontrées au sein de l’État étranger, d’autant moins démontrées en l’espèce que le père avait ici formulé à la mère diverses propositions amiables afin qu’elle puisse résider sur le territoire japonais avec l’enfant, ce qui laissait entendre qu’une poursuite effective des relations entre la mère et son enfant était souhaitée.

Cette nécessité de tenir compte des circonstances particulières propres à chaque affaire (déjà affirmée par la Cour de cassation dans une affaire aux faits similaires, Civ. 1re, 28 janv. 2021, n° 20-12.213, AJ fam. 2021. 243, obs. C. Latil  ; Rev. crit. DIP 2021. 799, C. Chalas  ; D. 2021. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ) est pleinement opportune dans la mesure où, juger le contraire aboutirait à s’opposer systématiquement à toute décision de retour vers le Japon, sur la seule considération qu’un risque existe, ce qui ne serait évidemment guère satisfaisant, ni conforme à l’esprit de la Convention de La Haye.

 

CEDH 28 mars 2024, Verhoeven c/ France, n° 19664/20

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