Déplacement illicite d’enfant : des précisions sur la notion de demande de retour

Par un arrêt rendu le 20 juin 2024, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la notion de demande de retour au sens de l’article 10 du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 dit « Bruxelles II bis ». Elle y affirme, d’une part, qu’une telle demande doit viser au retour de l’enfant dans l’État où il avait immédiatement sa résidence habituelle avant le déplacement illicite et que, d’autre part, une demande de garde ne peut suppléer à l’absence d’une demande de retour dans le délai imparti.

L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 20 juin 2024 mérite de retenir l’attention en ce qu’il contribue à l’interprétation du règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (ci-après, le règlement Bruxelles II bis) et à préciser son applicabilité dans l’hypothèse de procédures parallèles.

L’affaire concernait une enfant née en Suisse en 2014 et possédant par ailleurs la double nationalité allemande et polonaise. Son père résidait en Suisse depuis juin 2013. De son côté, sa mère a vécu avec elle de janvier 2015 à avril 2016 en Allemagne, où le père leur rendait régulièrement visite. Au mois d’avril 2016, la mère et l’enfant ont déménagé en Pologne où, dans un premier temps, le père leur a également rendu visite. Au mois d’avril 2017, la mère a refusé au père l’exercice de son droit de visite, tout en l’informant qu’elle entendait rester en Pologne avec leur fille.

En juillet 2017, le père a introduit une demande de retour de l’enfant vers la Suisse par l’intermédiaire de l’autorité centrale suisse, sur le fondement de la Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980. Un tribunal polonais a rejeté cette demande, considérant que le père avait donné son consentement pour une durée indéterminée au déménagement de la mère et de l’enfant en Pologne. L’appel formé par l’intéressé a été rejeté.

Par ailleurs, et alors qu’il n’avait pas donné suite à une seconde demande de retour déposée en Allemagne, le père a saisi, en juillet 2018, une juridiction allemande d’une demande visant l’attribution de la garde exclusive de l’enfant, le droit de déterminer sa résidence ainsi que le retour de l’enfant chez lui, en Suisse. La juridiction saisie a toutefois rejeté cette demande pour défaut de compétence internationale.

Le père a alors formé un recours contre cette décision, en faisant valoir que la compétence des juridictions allemandes découlait de l’article 10 du règlement Bruxelles II bis.

À ce titre, si la règle de compétence générale posée à l’article 8, § 1, prévoit qu’en matière de responsabilité parentale, les juridictions compétentes sont celles de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant, une exception est prévue, notamment lorsque l’enfant perd sa résidence habituelle dès lors qu’il fait l’objet d’un déplacement illicite.

Dans cette hypothèse, selon l’article 10, les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence. Cette dernière cesse toutefois dès lors que, toujours selon l’article 10, soit le titulaire du droit de garde a acquiescé au déplacement, soit il n’a effectué aucune demande de retour de l’enfant durant le délai d’un an à compter du moment où il a eu ou aurait dû avoir connaissance du lieu où se trouvait l’enfant.

En somme, l’article 10 a pour objectif de dissuader les déplacements illicites d’enfants d’un État membre à un autre en empêchant que la compétence judiciaire soit attribuée aux juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a acquis, par suite de son déplacement illicite, une nouvelle résidence habituelle, à la condition toutefois que le titulaire du droit de garde, ne soit pas demeuré dans la passivité.

C’est sur la base de ces éléments que la juridiction de renvoi a décidé d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel quant à l’interprétation de cette disposition dès lors que, en l’espèce, certaines procédures parallèles semblaient de nature à remettre en cause la compétence des juridictions allemandes.

En substance, trois difficultés s’observaient en l’espèce.

I - En premier lieu, la juridiction allemande s’interrogeait sur l’incidence de la procédure de retour de l’enfant initiée par le père, par l’intermédiaire de la Suisse, État non lié par les dispositions du règlement Bruxelles II bis.

En d’autres termes, la difficulté consistait à déterminer si l’article 10, sous b), i) du règlement, qui fondait en l’espèce la compétence internationale du juge allemand, devait cesser d’être applicable au seul motif qu’une autorité centrale d’un pays tiers avait été sollicitée afin de mettre en œuvre une procédure de retour de l’enfant au titre de la Convention de La Haye de 1980, procédure ayant par ailleurs échoué.

Pour la Cour de justice, une réponse négative s’impose. Selon elle, la règle de compétence posée par la disposition précitée, fondée sur « le déplacement ou le non-retour illicites d’un enfant » ne dépend pas de l’engagement, nécessairement subséquent et éventuel, par le titulaire du droit de garde d’une procédure de retour de l’enfant, fondée sur la Convention de La Haye de 1980 (pt 53). Une solution contraire aboutirait, ainsi que l’expliquent les juges luxembourgeois, à procurer « un avantage procédural à l’auteur de l’enlèvement illicite de l’enfant », découlant de la diminution des juridictions compétentes (pt 54).

II - En second lieu, il convenait de déterminer si une demande de retour, au sens de l’article 10 du règlement Bruxelles II bis, avait bien été formée par le père alors que celui-ci avait précisément sollicité le retour de son enfant dans un État distinct – la Suisse – de celui de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant – l’Allemagne.

Sur ce point, et sans réelle surprise, les juges luxembourgeois estiment qu’une demande de retour au sens de l’article 10 doit nécessairement s’entendre d’une demande visant au retour de l’enfant dans l’État où il avait immédiatement sa résidence habituelle avant le déplacement illicite.

Deux raisons président à une telle interprétation.

D’une part parce que les juridictions de cet État, du fait de leur proximité géographique, sont par principe les mieux placées pour apprécier les mesures à adopter dans l’intérêt de l’enfant, de sorte qu’une demande visant à ce que l’enfant soit emmené vers un autre État, qui plus est un État tiers, sur le territoire duquel il n’a pas résidé de manière habituelle avant son déplacement illicite, ne répond pas à une telle logique (pt 70).

D’autre part, dans la mesure où la demande de retour a précisément pour objet le rétablissement de statu quo ante, c’est-à-dire la situation qui existait antérieurement au déplacement ou au non-retour illicites. Or, là encore, une telle exigence ne serait guère satisfaite si la demande de retour s’entendait comme étant une demande visant à transférer l’enfant vers un État sur le territoire duquel cet enfant n’avait pas sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement illicite, ainsi que c’était le cas en l’espèce à l’égard de la Suisse (pt 72).

Dès lors, la demande qui avait été effectuée par le père auprès des autorités centrales de la Suisse ne pouvait être assimilée à une demande de retour au sens de l’article 10 du règlement Bruxelles II bis, faisant ainsi cesser l’objectif de dissuasion qui préside à cet article et donc la compétence des juridictions allemandes en tant que juridictions de l’État membre sur le territoire duquel l’enfant avait sa résidence avant son déplacement illicite.

Mais pour que la compétence du juge allemand soit définitivement écartée, encore fallait-il que la demande de garde effectuée par le père devant ce dernier ne puisse être assimilée à une demande de retour au sens de l’article 10, sous b), i), du règlement.

III - Aussi la juridiction de renvoi se demandait-elle, en troisième et dernier lieu, si la demande de garde formulée par le père pouvait surmonter l’obstacle de l’absence de demande de retour exigée par l’article 10, et ce afin de maintenir la compétence de l’État membre de la résidence habituelle de l’enfant avant son déplacement illicite, en l’espèce la compétence des juridictions allemandes.

Or, pour les juges luxembourgeois, ces demandes « ne sont pas interchangeables » en ce qu’elles répondent à des fonctions distinctes. Une demande de retour doit par nature faire l’objet d’une procédure expéditive, menée dans l’urgence, et ce afin d’assurer le retour sans délai de l’enfant, contrairement à une demande de garde qui, pour sa part, impose un examen bien plus approfondi du fond du litige.

Une telle irréductibilité est d’ailleurs confortée par la jurisprudence antérieure de la Cour, selon laquelle une décision se prononçant sur le retour de l’enfant ne règle pas la question relative à sa garde, de telle manière que l’impossibilité de bénéficier d’une procédure de retour est sans préjudice de la faculté pour le parent dont le droit de garde a été méconnu de faire valoir ses droits concernant le fond de la responsabilité parentale (CJUE 8 juin 2017, aff. C-111/17, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 493, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2018. 115, note C. Chalas ).

 

CJUE 20 juin 2024, aff. C-35/23

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