Des conséquences de l’effacement d’une dette après le rétablissement personnel du débiteur

Par un arrêt rendu le 26 octobre 2023, la deuxième chambre civile précise que lorsqu’une créance salariale est effacée à la suite d’un rétablissement personnel, toute action en réparation du préjudice liée au non-paiement de cette créance est vouée à l’échec contre le débiteur ainsi rétabli.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation rend assez régulièrement des décisions concernant la délicate procédure de traitement des situations de surendettement contenue dans le code de la consommation (v. J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Dépincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 690, nos 649 s.). À ce titre, au mois de juillet dernier, cette même deuxième chambre pu préciser que les conditions d’acquisition de la déchéance du terme ne se trouvent pas réunies pour des échéances impayées concernant une dette rééchelonnée dans la procédure de surendettement (Civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 22-16.653 FS-D, Dalloz actualité, 27 sept. 2023, obs. G. Payan). Au mois de juin, nous avions pu également étudier les pouvoirs du juge des contentieux de la protection dans la procédure de rétablissement personnel (Civ. 2e, 8 juin 2023, n° 20-21.625 F-B, Dalloz actualité, 14 juin 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1172 ). Aujourd’hui, c’est l’un des résultats de cette procédure qui nous intéresse dans un arrêt intéressant rendu par le 26 octobre 2023 et destiné aux honneurs du Bulletin. Plus particulièrement, la décision concerne l’intensité de l’effacement d’une dette, notion subtile aux contours incertains.

Les faits ayant donné lieu au pourvoi commencent par une relation salariée entre un couple et une tierce personne pendant la période comprise entre le 11 mars 2019 et le 24 avril 2019. Le couple employeur est, par jugement rendu le 24 février 2021, l’objet d’un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. Le jugement a, ce faisant, effacé la créance salariale de leur employée. Le 20 avril suivant, la créancière mécontente saisit une juridiction prud’homale pour voir condamner ses anciens employeurs en indemnisation du préjudice subi par l’absence de paiement de son salaire. Sa demande, qui s’élève à 1 000 €, est accueillie par le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Bourges du 19 octobre 2021 aux motifs que les employeurs n’ont pas respecté leurs obligations contractuelles et que le défaut du paiement des salaires a conduit la salariée à une situation pécuniaire délicate. Le couple se pourvoit en cassation en arguant qu’une telle action était purement et simplement impossible en raison du rétablissement personnel prononcé par le juge.

Nous allons étudier pourquoi la cassation est intervenue et comment celle-ci nous renseigne utilement sur les effets de l’effacement de la dette.

Le rôle de l’effacement de la dette

L’arrêt rendu le 26 octobre 2023 a pour principale conséquence, au moins à première lecture, de permettre une certaine extension du domaine du rétablissement personnel et, plus précisément, de l’effacement d’une dette. Il n’y a que guère de raison d’être étonné à la lecture du point n° 8 de l’arrêt par lequel la deuxième chambre civile précise que « le créancier dont la créance est, au terme d’une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, effacée, ne peut plus agir en paiement à l’encontre du débiteur » (nous soulignons). Outre la citation d’un arrêt précédent sur cette question (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 16-21.392), ceci résulte de la combinaison des articles L. 724-1, L. 741-2 et L. 741-6 du code de la consommation tous trois cités au visa. Il n’y aurait, par ailleurs, aucun intérêt à prononcer l’effacement d’une dette si le créancier pouvait venir agir en paiement contre le débiteur postérieurement. Ce serait un non-sens.

La question posée par le pourvoi était, toutefois, plus complexe. Que faire des actions en justice dont le but n’est pas le recouvrement de la créance mais celui de couvrir les effets d’un tel effacement ? L’interrogation est légitime car la créance de dommages-intérêts soulevée par la salariée n’était pas identique à celle effacée. À dire vrai, les textes du code de la consommation ne prévoient pas tout à fait ce cas précis. La deuxième chambre civile précise ainsi que le conseil de prud’hommes ainsi saisi par la salariée « ne pouvait permettre au créancier d’obtenir, par une action en réparation du préjudice que lui causait l’absence de paiement de la créance salariale, le paiement d’une dette qui était effacée » (nous soulignons). Le référentiel reste donc la créance objet de l’effacement et son lien avec celle-ci.

On ne comprend, par conséquent, pas tout à fait le lien entre le paragraphe n° 8 précédemment cité et un tel énoncé. Comment déterminer, en effet, les actions vouées à l’échec eu égard à cet effacement ?

Une extension justifiée par l’identité de la cause de la créance

Nous l’aurons compris, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’a pas souhaité permettre aux créanciers dont l’obligation est effacée par le biais de la procédure de surendettement de trouver une stratégie pour obtenir le paiement de la créance par un vecteur différent. Il ne faut, dès lors, pas lire de manière hâtive la solution. L’arrêt ne vise pas à une extension déraisonnée du domaine de l’effacement de la dette. Il ne fait que de permettre audit effacement de produire ses exacts effets. Sous l’angle du droit de la responsabilité civile, la solution paraît peu critiquable. Si l’action vise à réparer le préjudice subi par l’absence de paiement d’une créance effacée, on ne peut alors que noter qu’un tel préjudice soit n’existe pas, soit n’est purement et simplement pas réparable. La créance n’a pas été payée en raison d’un « comportement fautif » de l’employeur mais en raison de l’effacement de sa dette liée à la procédure de rétablissement personnel. S’il y a bien peut-être un préjudice, il n’y a pas de faute en tout état de cause.

Mais il faut alors remarquer que l’arrêt du 26 octobre 2023 s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel assez pluriel. On songe à un arrêt rendu le 10 janvier 2019 par lequel la deuxième chambre civile avait rappelé qu’un effacement de dette locative ne prive pas le juge de pouvoir prononcer la résiliation du bail en raison desdits défauts de paiement (Civ. 2e, 10 janv. 2019, n° 17-21.774, D. 2019. 411 , note J. François  ; ibid. 1129, obs. N. Damas  ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud  ; AJDI 2019. 909 , obs. N. Damas ). M. François avait estimé, en commentant cette décision, que « si l’opposition entre effacement et paiement de la dette permet à la Cour de cassation de naviguer à vue, elle ne saurait constituer un cap. Le fond du problème consiste à déterminer si l’effacement éteint la dette ou s’il interdit simplement au créancier d’en obtenir le règlement auprès de son débiteur, sans faire obstacle aux voies de droit qui n’aboutissent pas à ce résultat » (J. François, Qu’est-ce que l’effacement de la dette d’un débiteur insolvable ?, D. 2019. 411 ). C’est ce dernier constat qui, selon nous, explique le mieux la position de l’arrêt du 26 octobre 2023. Le but plus ou moins dissimulé de la salariée était d’obtenir un règlement pour la créance effacée par le biais d’une action en responsabilité. La solution s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle de ces dernières années sous cette perspective.

D’où l’on perçoit que l’effacement de la dette ne laisse pas le régime général de l’obligation insensible.

 

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