Des effets de la résiliation d’un concours à durée indéterminée

Dans un arrêt rendu le 20 septembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient préciser que la résiliation d’un concours à durée indéterminée ne le transforme pas en concours à durée déterminée.

La notion de rupture du crédit appelle plusieurs questionnements pratiques et doctrinaux tant en matière de qualification du concours consenti par l’établissement bancaire qu’en termes de durée dudit concours (v. sur la question, M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Eréséo et J.-P. Kovar, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 835, n°s 1746 s.). L’arrêt rendu le 20 septembre 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation permet d’apporter quelques précisions sur cette dernière thématique en matière de résiliation d’un concours à durée indéterminée sur le fondement de l’article L. 313-12 du code monétaire et financier.

Les faits à l’origine du pourvoi sont importants à rappeler eu égard à leur technicité dans le raisonnement suivi. Une convention du 26 juillet 2006 prévoit une ouverture de crédit en compte-courant pour une durée de vingt-quatre mois au bénéfice d’une société immobilière. L’opération est garantie par un cautionnement personnel de plusieurs personnes physiques. À l’expiration de ce premier contrat, celui-ci a été tacitement reconduit pour une durée indéterminée. Le 3 mai 2018, plus de onze ans plus tard, la banque notifie à la société que le concours sera résilié à l’expiration du délai minimum légal prévu par le code monétaire et financier, soit 60 jours. Le 13 juin 2018, la banque prévient son client qu’elle prononce la déchéance du terme en raison du dépassement du plafond de découvert autorisé en se fondant sur la convention initiale à durée déterminée. L’établissement exige désormais les sommes dans un délai de huit jours. Sans réponse favorable de son client, la banque assigne les cautions en paiement du solde débiteur de la société. En cause d’appel, les juges du fond précisent que la banque ne peut pas se prévaloir de son courrier de juin 2018 pour prononcer la déchéance du terme au mépris des règles légales de l’article L. 313-12 du code monétaire et financier s’agissant d’un concours à durée indéterminée.

L’établissement bancaire se pourvoit en cassation. Il reproche à cette motivation une violation des dispositions du code monétaire et financier et de celles issues du code civil sur le renouvellement du contrat et sa tacite reconduction. L’arrêt rendu le 20 septembre 2023 permet d’utilement questionner les règles applicables sur la rupture du crédit en droit bancaire à l’aune d’un moyen singulier.

L’absence de transformation comme principe

Rappelons une constante qui n’est pas explicitement énoncée par l’arrêt. Le débat ne portait pas sur la qualification du concours tacitement reconduit. Celui-ci était nécessairement à durée indéterminée. Les parties semblent parfaitement d’accord sur ce point à la lecture de la décision commentée. Seul le premier concours avait une durée de vingt-quatre mois dans les termes de la convention du 26 juillet 2006. Ce balisage précis de la durée du contrat perd de sa consistance au moment de la résiliation par la banque du concours puisque celle-ci estime dans son pourvoi que cette résiliation a pour conséquence de « métamorphoser, pour la durée du préavis, le contrat à durée indéterminée en contrat à durée déterminée ». C’est une position assez étonnante.

Si l’analyse opérée par le moyen du demandeur à la cassation est toute aussi poétique que courageuse, elle n’emporte pas nécessairement la conviction. Aucune donnée dans les textes du code monétaire et financier ne permet, en effet, de justifier une telle transformation. Le but du demandeur au pourvoi était, en réalité, de pouvoir rebondir sur les stipulations contractuelles prévues dans le premier concours à durée déterminée et notamment sur le découvert non autorisé. En précisant que « la notification par une banque, en application de l’article L. 313-12 du code monétaire et financier, de la résiliation d’un concours à durée indéterminée à l’expiration d’un délai de préavis ne le transforme pas en concours à durée déterminée », la chambre commerciale empêche de donner, sans mauvais jeu de mot, du crédit à l’hypothèse d’une métamorphose de la durée indéterminée en durée déterminée au moment du préavis imposé par le code monétaire et financier.

Il faut accueillir avec bienveillance une telle orientation qui a le principal mérite d’éviter de brouiller les pistes de la distinction entre le concours à durée déterminée et celui à durée indéterminée qui est d’une importance certaine en pratique. La solution permet de combiner utilement droit bancaire et droit des obligations.

Une (très) légère quoique suffisante coloration de droit des obligations

Il est vrai que le moyen citait à la fin de son raisonnement les articles 1214 et 1215 du code civil, et ce à raison. Le concours à durée déterminée initialement convenu a été tacitement reconduit pour une durée indéterminée en raison de l’application du droit commun par combinaison de ces deux articles qui n’étaient d’ailleurs pas applicables aux faits d’espèce puisqu’antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Les solutions du droit ancien n’appellent pas de précisions supplémentaires. L’arrêt du 20 septembre 2023 n’est pas l’occasion d’opérer davantage de parallèles entre le droit de la rupture du crédit et celui de la durée des contrats en droit commun.

La volonté de ne pas « métamorphoser » le concours à durée indéterminée dont la résiliation a été décidée en concours à durée déterminée permet, ce faisant, d’éviter des parallèles en droit des contrats qui seraient hasardeux. Concernant les concours à durée déterminée, comme le rappellent les auteurs d’un manuel de référence, « le banquier demeure libre de faire figurer dans la convention une clause prévoyant la déchéance du terme. Dans ce cas, et à l’image du crédit consenti à durée indéterminée, la banque devra nécessairement accorder un certain délai à son cocontractant pour lui permettre de prendre des dispositions en raison de la perte du bénéfice du crédit, sauf si l’on est en présence de l’une des deux hypothèses dérogatoires figurant à l’alinéa 2 de l’article L. 313-12 du code monétaire et financier. Ce n’est en effet que dans ces deux cas, et seulement dans ceux- ci, que l’exigence du délai de préavis pourra être exclue » (M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Eréséo et J.-P. Kovar, op. cit, p. 836, n° 1749).

Tout ceci permet également d’éviter la diffusion de stratégies assez délicates à justifier de la part des établissements bancaires. Comme nous l’avons vu, le but de la banque était de rapatrier une clause du contrat d’origine dans le giron de la situation après la résiliation du contrat à durée indéterminée pour obtenir paiement immédiat des sommes dues. Cette ingénierie contractuelle n’est pas pertinente dans la mesure où le contrat à durée déterminée n’existe plus puisqu’il a laissé sa place par l’effet de la tacite reconduction à une architecture à durée indéterminée dans laquelle cette clause n’a plus de sens. La résiliation n’a pas pour effet de faire revivre les morts mais simplement d’apporter la terminaison d’une situation contractuelle entre les parties. En droit bancaire, comme ailleurs, en tout état de cause.

Voici donc un arrêt fort intéressant pour la pratique. Il permet d’éviter une métamorphose chimérique. La résiliation d’un concours à durée indéterminée emporte simplement rupture du crédit et non naissance d’un concours à durée déterminée pendant la durée du préavis minimal prévu par le code monétaire et financier.

 

© Lefebvre Dalloz