Des effets de l’annulation d’une convention d’ouverture de compte courant

Dans un arrêt rendu le 11 septembre 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle l’étendue de l’annulation d’une convention de compte courant et de ses effets pour la caution assignée en paiement.

La rentrée du droit bancaire commence sous les auspices d’un arrêt rendu le 11 septembre 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation. L’été a été, par ailleurs, assez riche en décisions concernant la responsabilité de l’établissement bancaire prêteur de deniers en matière de crédits affectés (Civ. 1re, 10 juill. 2024, n° 23-12.122 FS-B, Dalloz actualité, 13 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1326 ; 10 juill. 2024, n° 23-11.751 F-B, Dalloz actualité, 12 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1326 ; 10 juill. 2024, n° 22-24.754 FS-B, Dalloz actualité, 11 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1325 ). La décision étudiée aujourd’hui permet d’explorer des pistes plus rarement au cœur d’arrêts publiés puisqu’elle traite de l’annulation de la convention de compte courant. Les effets de l’anéantissement rétroactif de cette opération peuvent conduire les praticiens à certaines questions délicates, notamment quand c’est la caution d’une autorisation de découvert qui est assignée en paiement.

Les faits débutent par l’ouverture de deux comptes courants dans les livres d’un établissement bancaire le 2 juin 2010 par une personne physique agissant au nom d’une société spécialisée dans l’achat et la vente de vins. Un prêt est consenti, le même jour, par la banque pour un montant de 100 000 €. L’opération est garantie par quatre cautionnements différents. Le 26 juillet 2012, la banque accorde à la société une autorisation de découvert pour un montant de 20 000 €. Cette seconde opération est garantie par les cautionnements de trois des quatre cautions du prêt de 2010. Ces mêmes personnes se portent également cautions solidaires de tous les engagements pris par la société pour une durée de cinq ans pour un montant de 24 000 € chacun. La débitrice entre toutefois dans une période de difficultés qui la conduit à une cessation des paiements. La société est ainsi placée en liquidation judiciaire. La banque met donc en demeure chaque caution de régler les sommes dues au titre de leurs engagements respectifs, apparemment sans succès. Elle les assigne, par conséquent, en paiement. Par jugement du 16 décembre 2019, un tribunal rejette les demandes de la banque à l’encontre de deux des cautions en retenant le caractère manifestement disproportionné du cautionnement à leurs biens et revenus. La troisième caution est, quant à elle, condamnée à régler certaines sommes demandées par la banque. C’est cette caution qui interjette appel en soulevant la nullité du cautionnement, d’une part, et à titre subsidiaire d’autre part la nullité de la convention de compte courant elle-même. En cause d’appel, la cour saisie refuse de prononcer la nullité de la garantie personnelle. Mais les juges du fond décident d’annuler la convention d’ouverture de compte courant et celle d’autorisation de découvert. La cour, dans ce contexte, condamne la caution à payer une somme de 8 081,30 € au titre des restitutions consécutives à l’annulation de la convention d’ouverture du compte courant en incluant les frais et intérêts bancaires depuis la convention d’ouverture.

La caution se pourvoit ainsi en cassation. Les deux moyens reproduits dans l’arrêt du 11 septembre 2024 sont d’inégale efficacité. Seul le premier moyen parvient, en effet, à aboutir à une cassation. Examinons pourquoi.

Le problème préliminaire : la validité du cautionnement

Le deuxième moyen présenté (pt n° 6 de la décision) n’était pas inintéressant sur le fond du problème en cause, loin s’en faut. Le demandeur à la cassation arguait qu’il ne s’était engagé qu’en raison de la présence de plusieurs cofidéjusseurs. Or, les cautionnements concernés ont été annulés en première instance pour disproportion. Il n’est pas indiqué dans l’arrêt que la banque ait interjeté appel de ce point de sorte que l’on peut penser que désormais celui-ci n’est plus discuté. En somme, la nullité pour erreur était au cœur du deuxième moyen. La jurisprudence est toutefois plutôt bien établie sur le sujet. Quand il existe une pluralité de cautionnements, une des cautions peut obtenir la nullité de son engagement si elle démontre que le maintien de la totalité des sûretés personnelles était la condition déterminante de son engagement (v. pour une synthèse de l’état actuel de la question, D. Houtcieff, L’existence d’autres sûretés est-elle nécessairement déterminante de l’engagement de la caution ?, RDC 2020. 52, spéc. note n° 2). La relative stabilité de la jurisprudence à ce sujet explique, sans doute, que le sommaire de l’arrêt du 11 septembre 2024 ne mentionne même pas cette partie de la décision. Pourtant, le problème est loin d’être simple et est le prérequis de tout le reste du raisonnement.

La technique contractuelle est à l’œuvre pour expliquer le caractère non fondé du moyen. L’article 8 du contrat indiquait que « la caution ne fait pas de la situation du cautionné ainsi que de l’existence et du maintien d’autres cautions la condition déterminante de son cautionnement » (pt n° 7 de l’arrêt, nous soulignons). Cette affirmation paraît limpide et peut, à elle seule, parfaitement justifier le refus de la cour d’appel saisie d’annuler le contrat de cautionnement puisque celui-ci ne semblait pas dépendre de l’existence d’autres garanties. Combattre une telle stipulation peut, en l’espèce, paraître très délicat eu égard à la clarté du propos. Cette absence de lien entre les différentes garanties est évidemment un atout majeur pour la banque créancière qui peut ainsi éviter une sorte d’effet en cascade quand l’un des cautionnements est annulé. L’affaire permet de pointer l’intérêt d’une telle clause et, au contraire, son danger pour la caution qui doit refuser une telle opération si elle trouve les termes du contrat conclu trop risqués la concernant. Il existe, bien évidemment, une différence entre cautionner seul et cautionner à plusieurs, au moins pour la répartition du poids de la dette en cas de défaillance du débiteur principal et, in fine, d’impossibilité d’exercer une action personnelle ou subrogatoire contre celui qui doit supporter définitivement sa propre dette.

Comment démontrer, toutefois, un lien entre les contrats, le cas échéant ? Si une telle stipulation n’est pas insérée au contrat, certains éléments périphériques du cautionnement peuvent alors certainement aider à justifier que l’engagement n’est consenti qu’en raison de l’existence d’autres garanties. C’est le cas, par exemple, de courriers ou de courriels, d’échanges divers ou encore de la démonstration d’une opération d’ensemble dans laquelle s’inscrit le cautionnement litigieux. Mais, en tout état de cause, la preuve est très souvent soit impossible à rapporter soit d’une difficulté telle que le jeu n’en vaut parfois pas la chandelle. La situation est simplifiée si le contrat prévoit expressément le caractère déterminant du maintien ou de l’existence d’autres sûretés. C’est chose rare en pratique.

Le cautionnement ne pouvant être annulé, c’est du seul côté de la nullité de la convention de compte courant que la cassation peut déployer ses effets.

Le problème principal : la convention d’ouverture de compte courant et son annulation

C’est au visa de l’ancien article 1379 du code civil que la cassation intervient. L’affaire est, en effet, antérieure au 1er octobre 2016, date d’application de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. La clef du raisonnement tient dans ces quelques mots : « l’annulation de la convention d’ouverture de compte courant entraîne la restitution des sommes correspondant au solde du compte courant, à l’exclusion de tous autres frais et intérêts conventionnels » (pt n° 11, nous soulignons). La décision étudiée aujourd’hui permet de particulièrement bien illustrer le carrefour entre la théorie générale du contrat (ici, de l’effet des restitutions) et le droit spécial, en l’occurrence le droit bancaire.

Le point de départ du raisonnement est connu. La nullité implique de faire comme si le contrat n’avait jamais existé en procédant à des restitutions (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, Dalloz, coll. « Précis », p. 670, n° 578). En matière d’annulation de la convention d’ouverture de compte courant, il est vrai que les difficultés peuvent se cumuler quand une autorisation de découvert est octroyée comme c’était le cas en l’espèce par contrat du 26 juillet 2012. La solution dégagée par l’arrêt du 11 septembre 2024 est d’une relative simplicité à ce sujet. Il n’est pas fait mention de nuance ou de différences entre les différents frais. En utilisant l’expression « tous les frais et intérêts bancaires », les restitutions que doit supporter le solvens (ici, la caution) se cantonnent au solde du compte courant. Le but de la nullité est bien atteint puisque la caution vient simplement garantir l’obligation de restitution qui est due à l’annulation de la convention d’autorisation de découvert également prononcée dans l’arrêt d’appel. On retourne ainsi à l’état factuel entre les parties avant cette autorisation de 20 000 € au 26 juillet 2012.

C’est finalement, par conséquent, dans le détail que la cassation intervient. Peu de décisions publiées au Bulletin peuvent se targuer d’examiner cette situation précise et ce d’autant plus quand ce n’est pas le débiteur qui doit rembourser cette somme mais la caution assignée en paiement. La pratique bancaire en sera avertie, notamment les services juridiques des banques qui suivent de près les conséquences de l’annulation des autorisations de découvert.

Voici donc un arrêt pluriel qui croise le droit des sûretés, la théorie générale du contrat et le droit bancaire. Il intéressera les praticiens sur ces différents aspects.

  • En droit du cautionnement, la décision vient rappeler que la nullité pour erreur en raison de la présence de différents cofidéjusseurs ne peut pas jouer si une clause prévoit l’indépendance de chaque contrat de cautionnement, sauf preuve d’un caractère déterminant dépassant ladite stipulation.
  • En droit bancaire, les effets de l’annulation de la convention d’ouverture de compte sont rappelés habilement. Quand une autorisation de découvert a été consentie et qu’il convient donc de rembourser ce qui a été accordé, il ne s’agit alors que de la somme inscrite au compte courant à l’exclusion de tous les frais et intérêts conventionnels.

 

Com. 11 sept. 2024, F-B, n° 23-11.534

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