Des moyens de défense de la caution assignée en paiement
Dans un arrêt rendu le 9 octobre 2024, la chambre commerciale tranche un pourvoi formé par des cautions soulevant un certain nombre de moyens de défense : disproportion du cautionnement, violation du devoir de mise en garde, nullité pour vice du consentement et responsabilité délictuelle du notaire pour manquement contractuel en tant que rédacteur d’acte.
Le droit antérieur à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés connaît encore des développements jurisprudentiels importants en raison des contrats conclus avant le 1er janvier 2022. Ainsi en est-il, par exemple, des contentieux autour de la disproportion du cautionnement, nerf de la guerre dans de très nombreux procès pour lesquels la caution souhaite être déchargée de son engagement. Chaque année, la jurisprudence est foisonnante sur cette question (Com. 4 avr. 2024, n° 22-21.880 F-B, Dalloz actualité, 3 mai 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 676
; RCJPP 2024. 61, chron. S. Piédelièvre et O. Salati
; 13 mars 2024, n° 22-19.900 F-B, Dalloz actualité, 22 mars 2024, obs C. Hélaine ; D. 2024. 540
; 30 août 2023, n° 21-20.222 F-B, Dalloz actualité, 3 oct. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 96
, note J. de Dinechin
; ibid. 2023. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; ibid. 2024. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; 21 juin 2023, n° 21-24.691 F-B, Dalloz actualité, 27 juin 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1220
; ibid. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; 5 avr. 2023, n° 21-18.531 et n° 21-14.166 FS-B, Dalloz actualité, 14 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 991
, note J.-D. Pellier
; ibid. 1282, obs. A. Leborgne et J.-D. Pellier
; ibid. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
). L’arrêt rendu le 9 octobre 2024 ne viendra pas démentir ce constat mais il doit être précisé que l’affaire soumise à la Cour de cassation démultipliait les moyens de défense, comme souvent en pratique. En résulte un arrêt aux précisions et rappels pluriels.
Les faits ayant donné lieu au pourvoi débutent autour d’une cession de fonds de commerce réalisée par acte notarié du 4 décembre 2012. Le prix de l’opération pour l’acquéreur a été financé à l’aide d’un prêt conclu avec un établissement bancaire. Deux cautionnements pris par des personnes physiques viennent garantir ledit prêt. Voici que la société débitrice de l’emprunt n’arrive plus à régler ses échéances. Elle est placée, tour à tour, en redressement puis en liquidation. La banque assigne ainsi l’une des cautions en paiement. Toutefois, les garants personnels répondent à cette assignation en remettant en question les cautionnements pour disproportion de leur engagement. Ils reprochent également un défaut au devoir de mise en garde mais également un vice du consentement pour erreur ayant altéré leur perception de la réalité de la prestation promise. Originalité de l’affaire, les garants ont appelé dans la cause le notaire rédacteur de la cession de fonds de commerce en lui reprochant un manquement contractuel qui leur aurait causé un préjudice afin d’obtenir réparation de celui-ci sur le terrain délictuel. En cause d’appel, les juges du fond condamnent les cofidéjusseurs à régler à la banque la somme de 150 354,11 € avec intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014. Tous les moyens soulevés par les deux cautions sont donc, en d’autres termes, rejetés.
Voici que nos cofidéjusseurs se pourvoient en cassation. Les moyens avancés sont d’inégale efficacité puisque seulement deux sur quatre entraîneront une cassation : l’une pour violation de la loi et l’autre pour défaut de base légale. Étudions pourquoi cet arrêt, véritable pot-pourri autour du cautionnement, intéressera la pratique du droit des affaires.
Les moyens rejetés : de la charge de la preuve
Deux moyens n’auront pas trouvé d’écho dans l’arrêt rendu. Il s’agit de la disproportion du cautionnement, d’une part, et du défaut au devoir de mise en garde, d’autre part. Examinons les raisons du caractère non fondé des arguments déployés.
La disproportion du cautionnement
Les cautions regrettaient que la cour d’appel se soit fondée sur un avis d’imposition qui était produit aux débats pour étudier la proportionnalité d’un des deux engagements. Or, selon les demandeurs à la cassation, la banque ne s’était pas spécifiquement fondée sur cette pièce dans ses conclusions d’appel pour écarter la disproportion. Il existerait, ainsi, une sorte de défaut au principe du contradictoire en la matière. Les demandeurs reprochaient également aux juges du fond d’avoir considéré la valeur des parts sociales de la société ayant acquis le fonds de commerce sans pour autant prendre en compte le passif de ladite société. Plusieurs points dans ces deux raisonnements peuvent permettre de comprendre l’échec de l’argumentation déployée.
Le premier réside dans la production aux débats de l’avis d’imposition de l’année 2011. La chambre commerciale n’ouvre, à juste titre selon nous, aucune cassation concernant ce point puisque « les parties pouvaient en discuter contradictoirement » (pt n° 5, nous soulignons) empêchant ainsi les demandeurs à la cassation de regretter que la cour d’appel utilise des pièces pourtant librement produites pour forger la solution retenue. Alors, il est vrai, pourra-t-on toujours objecter que la lecture de la pièce a peut-être été dévoyée car, pour justifier ledit revenu déclaré de l’une des cautions, les demandeurs rappelaient à hauteur de cassation qu’un tel chiffrage n’était lié qu’à une location ayant pris fin en 2012, soit peu de temps après la déclaration. Le travail du conseil est, en somme, fondamental en ce qu’il doit absolument anticiper ce qui peut s’inférer d’une pièce mais qu’il n’utilise pas dans sa propre argumentation. Sans quoi, le juge ne peut pas bénéficier d’explications utiles à l’exploitation du document. Il pourra alors en tirer ses propres conséquences comme dans l’affaire étudiée aujourd’hui où la disproportion avait été écartée en cause d’appel.
Le second point est plus classique mais plus pernicieux. La valeur des parts sociales n’avait pas été contrebalancée par le passif de la société en cause d’appel pour étudier la disproportion de l’engagement. Ici, la chambre commerciale motive davantage en précisant que « pour l’appréciation de la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution, la valeur des parts sociales dont est titulaire la caution dans la société cautionnée doit prendre en compte l’ensemble des éléments d’actif de cette société, comprenant notamment ceux qui composent le fonds de commerce lui appartenant, et de son passif externe. Les cautions n’ayant pas offert d’apporter cette preuve, la cour d’appel n’était pas tenue d’effectuer la recherche invoquée par la seconde branche » (pt n° 6, nous soulignons).
Voici un rappel connu mais fort important là-encore. C’est à la caution qui invoque comme moyen de défense la disproportion de donner au juge les éléments utiles à sa démonstration puisque c’est sur elle que repose la charge de la preuve à ce stade du raisonnement. Peut-être que certains magistrats seraient tentés, par acquit de conscience, de rouvrir les débats en pareille situation pour inviter les parties à produire le cas échéant de tels documents justifiant le passif de la société dont l’actif est pris en compte dans le patrimoine de la caution titulaire des parts sociales. Mais tout ceci n’a rien d’obligatoire et la chambre commerciale ne fait, en somme, que de rappeler des constantes très classiques au croisement du droit des sûretés et du droit de la preuve. En cas de carence de caution, cette dernière doit en assumer les conséquences, à savoir que les calculs seront opérés avec les seuls éléments en possession du juge qui ne peut pas supposer un passif qui n’existe peut-être pas.
Quant au devoir de mise en garde, sa mise en mouvement ne sera pas davantage efficace.
Responsabilité pour défaut au devoir de mise en garde
On ne peut lire qu’assez rarement dans des décisions au Bulletin la précision apportée par l’arrêt du 9 octobre 2024 concernant le défaut au devoir de mise en garde dont voici la teneur : « la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n’est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu’il existe un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résulte de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur. La mise en œuvre, par les cautions, de la responsabilité de la banque pour manquement à son devoir de mise en garde suppose la preuve, à leur charge, de telles inadaptations, et ne résulte pas du seul fait que la banque ne se serait pas fait communiquer des éléments comptables permettant d’apprécier la capacité de remboursement de l’emprunteur. » (pt n° 9, nous soulignons). Le moyen soutenait, en effet, que la banque n’avait pas exigé la comptabilité de la société ayant emprunté les fonds pour apprécier ses capacités à rembourser le crédit. On apprendra donc que cet élément est purement et simplement insuffisant pour obtenir une condamnation à des dommages-intérêts pour défaut au devoir de mise en garde.
La solution est logique mais il ne faut pas se méprendre sur son sens. Les cautions ne faisaient pas la démonstration que le bilan comptable de la société était insuffisant pour obtenir le prêt. En revanche, elles reprochaient à la banque de ne pas avoir sollicité de tels éléments avant de consentir un crédit. Il existe une différence notable entre ces deux positions. Le premier élément pourrait, effectivement, être un argument de choix dans la quête probatoire des garants pour diligenter une action en responsabilité contractuelle pour défaut de mise en garde (il existerait alors un élément actif dans leur démonstration). En revanche, l’absence de la démarche visant à solliciter les éléments comptables ne permet pas de pallier une véritable démonstration d’une violation du devoir de mise en garde ! Il peut exister d’autres éléments objectifs qui ont permis à l’établissement bancaire de respecter son obligation. En somme, tout dépend des éléments produits par la caution. En revanche, quand cette dernière ne peut pas justifier une inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur, le simple élément négatif – l’abstention de la demande d’un bilan comptable par le prêteur de deniers – ne saurait suffire à prouver une telle violation. Là-encore, le droit de la preuve explique parfaitement cette distinction dessinée en creux par l’arrêt.
Examinons maintenant les moyens couronnés de succès.
Les moyens accueillis : le contrat et sa périphérie
On étudiera successivement l’erreur arguée par les cautions puis la responsabilité délictuelle du notaire pour manquement contractuel lors de la rédaction de la cession de fonds de commerce qui était à l’origine des cautionnements souscrits pour garantir le prêt permettant cette acquisition.
De l’erreur de la caution
Le contrat de prêt datait de 2014 de sorte qu’il était régi par le droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant le droit des obligations. On ne sera donc pas surpris de lire au visa les anciens articles 1109 et 1110 du code civil. Il faut rappeler les péripéties du contrat de cession de fonds de commerce pour mieux comprendre l’enjeu de la difficulté. Par arrêt du 7 juillet 2016, une cour d’appel a pu juger que la société débitrice principale qui avait acquis le fonds de commerce avait été « victime d’un dol incident » (pt n° 13). Les cautions estimaient qu’elles s’étaient engagées par erreur puisque la solvabilité de la société qu’elles cautionnaient était une condition déterminante de leur consentement.
L’admission d’une erreur sur la solvabilité du débiteur principal est susceptible de poser des difficultés qui ont été dépassées par la jurisprudence dans la mesure où celle-ci admet désormais « plus libéralement » un tel cas d’annulation (P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 83, n° 86, doutant de la pérennité de la solution à l’aune du nouvel art. 1135 c. civ. issu de la réforme de 2016). Dans l’arrêt étudié, la cassation n’est opérée que pour défaut de base légale car les juges du fond auraient dû rechercher si les cautions avaient érigé la solvabilité du débiteur principal en la condition déterminante de leur engagement. On pourra utilement rapprocher la solution d’une décision récente dans laquelle le demandeur à la cassation arguait qu’il ne s’était engagé que parce que d’autres cofidéjusseurs garantissaient la dette. Or, les cautionnements concernés avaient été réduits à néants en première instance pour disproportion. Là-encore, la même technique contractuelle est observable : encore faut-il que la caution demanderesse ait érigé cet élément en condition déterminante de l’engagement (Com. 11 sept. 2024, n° 23-11.534 F-B, Dalloz actualité, 19 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1573
).
La solution devant la cour d’appel de renvoi est très peu prévisible en l’état dans l’affaire nous intéressant aujourd’hui. Il est, au demeurant, tout à fait possible de maintenir l’idée selon laquelle le dol qui a été identifié par l’arrêt du 7 juillet 2016 n’a pas rebondi effectivement sur les cautions en altérant leur perception de la réalité. Mais en présence d’une manœuvre sur l’opération principale, la probabilité d’un tel rebond n’est pas négligeable car il existe une possibilité très nette que les cautions n’aient pas pu percevoir la dangerosité de l’opération. L’argumentation fondée sur la nullité du contrat a donc des chances solides d’emporter la nullité des deux sûretés personnelles et de rendre ainsi la discussion sur la disproportion ou sur le devoir de mise en garde complètement inutiles. On observe la finesse du raisonnement qui évite soigneusement de se fonder directement sur le dol incident pour préférer la démonstration d’une erreur autonome (v. toutefois, désormais en droit ancien, l’alignement avec le droit nouveau sur une thématique connexe, Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.866 FS-B, Dalloz actualité, 2 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1842
, note C. Guillard
; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; ibid. 1828, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; Rev. prat. rec. 2022. 23, chron. O. Salati
; RTD civ. 2022. 678, obs. C. Gijsbers
).
De la responsabilité du notaire rédacteur d’acte
La dernière cassation est, sans doute, la plus spectaculaire dans ce contentieux de droit des sûretés. Les cautions avaient assigné le notaire rédacteur de l’acte de cession en responsabilité délictuelle. Ils soulevaient que l’officier public ministériel aurait dû attirer l’attention de l’acquéreur du fonds de commerce sur la rentabilité dudit fonds faute de documents comptables. Les juges d’appel avaient retenu, à juste titre, que les cautions n’étaient, par définition, pas partie à l’acte de cession. Mais cela ne suffit pas à caractériser l’absence d’une faute ayant entraîné un dommage subi par les garants personnels. On peut lire ainsi, dans l’arrêt du 9 octobre 2024, l’affirmation désormais bien connue selon laquelle « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».
Le rappel est, en effet, important à l’heure où la chambre commerciale a pu opérer un tournant majeur en juillet dernier dans le cadre de cette jurisprudence dite « Boot shop Myr’Ho » de 2006 puis Bois Rouge de 2020. Elle décide, en effet, que lorsque le tiers invoque un manquement contractuel lui causant un dommage sur le fondement délictuel, celui-ci peut se voir opposer les clauses limitatives de responsabilité prévues entre les parties (Com. 3 juill. 2024, n° 21-14.947 FS-B, Dalloz actualité, 10 juill. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1607
, note D. Houtcieff
; ibid. 1577, point de vue A. Gouëzel
). En d’autres termes, la ligne jurisprudentielle continue d’évoluer. Dans la présente affaire, c’est toutefois le principe même qui devra être examiné par la cour d’appel de renvoi. La faute commise par le notaire peut tout à fait permettre aux cautions de rechercher sa responsabilité délictuelle mais encore faut-il faire la preuve d’un lien de causalité entre la faute et le dommage qu’ils subissent. Il n’est pas certain qu’une telle démonstration soit aisée sauf à considérer une conception souple de la causalité (v. par ex., en droit de la consommation, s’agissant des crédits affectés, Civ. 1re, 10 juill. 2024, n° 22-24.754 FS-B, Dalloz actualité, 11 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1325
). Rares sont les décisions mettant en mouvement la jurisprudence Boot shop Myr’Ho en droit des sûretés. Il faut donc noter cette originalité qui permettra, peut-être, aux cautions d’obtenir une indemnité réparant leur préjudice et couvrant ainsi partiellement les sommes à régler au profit de la banque si le contrat de cautionnement n’est pas annulé.
Voici un arrêt aux intérêts pluriels. Les cautions avaient envisagé une myriade de moyens plus ou moins efficaces pour remettre en cause leur engagement de régler le créancier. Il s’avère que c’est, finalement, ceux qui sont le plus liés à l’acte initial de la cession du fonds de commerce qui ont le plus prospéré. Reste à savoir ce que la cour d’appel de renvoi décidera et, notamment, si l’engagement même des cautions est valable, ce qui est tout à fait incertain en présence d’un dol incident ayant affecté l’opération à l’origine du prêt cautionné.
Com. 9 oct. 2024, F-B, n° 23-15.346
Lefebvre Dalloz