Des moyens de défense d’une caution dirigeante assignée en paiement

Dans un arrêt rendu le 10 mai 2024, la chambre commerciale vient rappeler quelques constantes concernant plusieurs mécanismes que la caution peut invoquer pour refuser de payer tout ou partie de son engagement.

Le 10 mai 2024, deux arrêts très intéressants ont été rendus en matière de cautionnement par la chambre commerciale de la cour de cassation. Le premier (Com. 10 mai 2024, n° 22-20.439) porte sur les autorisations pour qu’une société anonyme puisse délivrer un cautionnement et rappelle ainsi des règles qui n’avaient pas fait l’objet d’un arrêt publié au Bulletin depuis fort longtemps. Le second, qui est l’arrêt que nous étudions aujourd’hui, présente un beau pot-pourri de questions croisant à la fois le régime général de l’obligation et le droit des sûretés. Les interrogations tranchées rappelleront des points connus de la ligne directrice suivie par la chambre commerciale de la Cour de cassation ces dernières années. Le tout peut aisément être lu à la lumière du droit nouveau.

Les faits sont relativement simples à rappeler. Une société bénéficie par acte du 2 juillet 2014 d’un « contrat global de crédits de trésorerie » auprès d’une banque et ce pour un montant de 200 000 € garanti par le cautionnement solidaire du dirigeant de la société débitrice. Cette dernière est placée en liquidation judiciaire de sorte que la banque assigne la caution en paiement. Le garant lui oppose plusieurs moyens en défense devant les juges du fond. D’abord la caution avançait que certains des prélèvements bancaires consentis par la société devaient être imputés au remboursement de l’opération garantie alors qu’ils avaient été prioritairement affectés sur une autre ligne de crédit. Elle contestait encore son information sur l’encours au sens des textes du code monétaire et financier, le litige concernant un cautionnement conclu avant le 1er janvier 2022. En cause d’appel, les juges du fond condamnent la caution à régler une somme de 181 261,37 € en rejetant les différents moyens de défense soulevés. La cour estime que la banque n’avait pas un devoir d’exiger des garanties multiples puisqu’elle avait déjà obtenu le cautionnement du dirigeant de la société. Elle considère que les prélèvements bancaires des mensualités impayées valaient renonciation aux règles d’imputation des paiements. Enfin, les juges du fond refusent de faire jouer les règles d’information sur l’encours en raison de la qualité de dirigeante de la caution. Dernier détail, et pas des moindres, le résultat final de la somme de 181 261,37 € est le produit d’une addition du capital dû et d’une indemnité de 7 % alors que le garant estimait ne pas devoir les sommes dues à titre d’accessoires et plus spécifiquement les intérêts ou les indemnités forfaitaires.

C’est dans ce contexte que la caution se pourvoit en cassation. L’arrêt du 10 mai 2024, publié au Bulletin, offre au plaideur une triple cassation. Nous allons étudier pourquoi la solution aboutit à des rappels utiles dans le contexte du droit ancien en opérant des transpositions concernant le droit nouveau applicable au 1er janvier 2024.

Sur le paiement de la caution

Les moyens offrent un panel diversifié dans la stratégie déployée par la caution pour déjouer la demande de règlement de la banque. Nous distinguerons ici en fonction des différents arguments soulevés.

Pas d’obligation de multiplier, pour le créancier, les sûretés conclues

La cinquième branche du premier moyen était sans doute intéressante sur le principe. Elle avançait que la banque n’avait pas pris d’hypothèque sur les immeubles acquis par la société et avait abandonné l’idée de conclure un autre cautionnement. L’argumentation était toutefois assez peu efficace en l’état dans la mesure où rien n’oblige le créancier à démultiplier les sûretés, en combinant notamment des sûretés personnelles et des sûretés réelles. Mais plus encore, ici, la qualité de dirigeant de la caution se retourne contre elle. Les juges du fond avaient considéré ainsi que ce même dirigeant de la société débitrice n’avait pas sollicité de la banque qu’elle puisse bénéficier d’un second garant personnel. Une telle démarche aurait probablement évité qu’il soit la seule caution et qu’il profite de la présence de cofidéjusseurs éventuels sur lesquels se reposer, ou, au minimum, pour répartir le poids de la dette. Il n’y a effectivement que peu de choses à critiquer sur ce point à l’aune des règles légales applicables.

On notera donc, même si on le savait déjà, que le créancier n’a donc aucune obligation de recourir à une pluralité de sûretés. Ici, celle conclue par le dirigeant était suffisamment solide pour éviter de convenir d’autres garanties, qu’elles soient personnelles ou qu’elles soient réelles par ailleurs. Les juges avaient d’ailleurs considéré que le dirigeant était « une caution notoirement solvable et avertie ne serait-ce que par ses fonctions et l’intérêt qu’elle avait à l’opération » (nous soulignons, pt n° 5 de l’arrêt). Ce point repris par la chambre commerciale pour exercer son contrôle n’avait finalement, peut-être, même pas à être rappelé car on perçoit assez mal comment le créancier pourrait être critiqué dans le choix des sûretés dans ce contexte précis. 

Le premier moyen pris en ses première et cinquième branches, n’est donc pas fondé en l’état. Les points suivants entraîneront toutefois une cassation.

Sur l’imputation des paiements du débiteur principal et de la caution

La question présentée aux points nos 7 à 11 présente une difficulté rarement mise en œuvre devant la chambre commerciale de la cour de cassation. Il s’agit d’un problème d’imputation des paiements qui repose sur l’application de la règle issue de l’article 1256 ancien du code civil (v. sur ce point, J. Vallansan, L’application des règles d’imputation des paiements, Defrénois 1989, art. 34466). L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a recentré les textes sur l’imputation des paiements en un seul article 1342-10 en simplifiant les règles qui étaient contenues dans les dispositions antérieures au 1er octobre 2016 (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 995, n° 958). Ce changement n’a toutefois pas de réelle incidence en pratique dans l’arrêt étudié.

La raison en est simple : le moyen ne critiquait pas le mode d’imputation que l’article 1256 du code civil prévoyait mais concentrait son attention sur la possibilité pour les parties de renoncer aux dispositions de ce texte. Rappelons que l’ancien article 1256 ne jouait que lorsque le débiteur n’avait donné aucune indication mais également lorsque le créancier n’avait pas indiqué de consignes lui non plus (F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil – Les obligations, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2013, p. 1405 s., nos 1358 s., [v. spécifiquement cette édition avant la réforme]). Le nouvel article 1342-10 opère quelques simplifications en la matière comme nous venons de le dire, au moins en unifiant l’ensemble (quatre dispositions par le passé) dans un seul article.

La cassation intervient assez sèchement aux nos 8 à 10 de l’arrêt étudié puisque la chambre commerciale vient préciser que « l’acceptation de prélèvements bancaires n’implique pas en elle-même, à défaut de stipulation contractuelle expresse, que le débiteur ait entendu renoncer aux dispositions de ce texte » (nous soulignons, pt n° 9). Cette incise ne se croise pas fréquemment dans des arrêts publiés au Bulletin ces derniers temps et vient, en réalité, apporter un éclairage très intéressant pour la question globale de l’imputation des paiements, bien au-delà du droit du cautionnement. En soi, on en comprend la portée puisque l’article 1256 ancien du code civil peut être tenu en échec par les parties mais encore faut-il pouvoir matérialiser cette « stipulation contractuelle expresse », ce qui n’est donc pas le cas d’un prélèvement. L’opération est, certes, au sens du droit bancaire autorisée par la société débitrice principale mais elle n’avait pas été consentie pour être imputée spécifiquement sur une dette plutôt qu’une autre et dès lors les règles de l’article 1256 du code civil devaient jouer.

La question de la sémantique choisie peut, au sens des textes anciens, se discuter là où le nouvel article 1342-10 donne une place peut-être plus importante à la volonté du débiteur quand les parties ne se sont pas mises d’accord sur une imputation précise par la voie contractuelle (v. à ce titre, sur l’imputation par le débiteur à défaut d’accord des parties dans le droit nouveau issu de l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016, J. Flour, J.-L. Aubert, E. Sauvaux, L. Andreu et V. Forti, Droit civil – Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Université », 2022, p.253, n° 234).

On retiendra donc qu’il faut une stipulation expresse pour qu’un prélèvement bancaire puisse valoir imputation des paiements dérogatoire aux règles légales. La solution peut paraître sévère pour l’établissement bancaire qui pouvait effectivement se réfugier derrière le prélèvement avec une certaine logique pour imputer celui-ci sur la ligne de crédit en question. La solution reste toutefois garante de clarté pour les parties qui doivent prévoir cette renonciation aux dispositions énoncées dans la loi.

Sur le montant cautionné

Un problème surgissait, enfin, sur le montant garanti par la caution. Cette dernière estimait ne pas avoir consenti un cautionnement à hauteur des accessoires de la dette. Or, la cour d’appel avait condamné le dirigeant en tenant compte d’une indemnité forfaitaire de 7 % dans le calcul. Les juges du fond n’ont pas statué précisément sur l’étendue du cautionnement.

Ici, les choses sont beaucoup plus simples et n’appellent pas d’observations spécifiques. La cassation intervient sur le fondement d’un défaut de motivation au sens de l’article 455 du code de procédure civile. Il fallait, en effet, répondre à l’argument tiré de l’absence de clause prévoyant la garantie des accessoires de la dette soulevé par la caution dans ses conclusions devant la cour d’appel.

La cour d’appel de renvoi devra, en tout état de cause, étudier le contrat de cautionnement pour vérifier si c’est le cas ou non. Malheureusement, l’arrêt n’en dit pas plus sur ce point. En tout état de cause, le contentieux autour de l’étendue du cautionnement est assez fréquent et nécessite simplement de se référer aux stipulations contractuelles, ce qui ne devrait donc pas poser de très grandes difficultés en l’espèce.

Le dernier point portait sur la délivrance d’une information à la caution dirigeante concernant l’encours.

Sur l’information de la caution dirigeante

La caution parvient également à obtenir une cassation sur le fondement de l’obligation d’information qui lui était due au titre de l’encours au sens des textes antérieurs à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, à savoir l’article L. 313-22 du code monétaire et financier et l’article L. 341-6 du code de la consommation relocalisé en 2016 à l’article L. 333-2 du même code (mais le cautionnement avait été probablement conclu aux alentours du prêt, soit en 2014, d’où l’application de la loi Dutreil du 1er août 2003 codifiant l’art. L. 341-6).

Ici, on retrouve un attendu aussi clair que lapidaire selon lequel « ces dispositions bénéficient à la caution personne physique pour les deux textes, et à la personne morale pour le premier, même dirigeante » (nous soulignons, pt n° 15). La formulation est d’ailleurs un peu étonnante car la caution de l’espèce n’était pas une personne morale, rendant une partie de l’affirmation peu utile ou aux allures d’un obiter dictum. Le choix des juges du fond de priver la caution de son information sur l’encours en raison de son caractère averti était donc erroné puisqu’effectivement les dispositions du code monétaire et financier doivent jouer pour la caution dirigeante. Au soutien de la solution dessinée par la chambre commerciale, on retiendra surtout que le texte n’opère aucune distinction à ce sujet rendant ainsi tout à fait logique l’orientation choisie qui est la suite logique d’une jurisprudence désormais bien établie (P. Delebecque et P. Simler, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 189, n° 166).

L’ordonnance du 15 septembre 2021 est venue, en tout état de cause, grandement simplifier le droit positif sur ce point en abrogeant les dispositions se trouvant dans le code de la consommation comme celles insérées dans le code monétaire et financier. La réforme a pu insérer un nouvel article 2302 du code civil d’ailleurs applicable immédiatement aux contrats en cours (v. à ce titre, A. Gouëzel, Le nouveau droit des sûretés - Commentaire article par article, Dalloz, 2023, p. 127, n° 221). L’orientation choisie dans l’arrêt du 10 mai 2024 trouvera parfaitement à s’appliquer pour le nouveau texte puisque la formulation retenue est, sur ce point, similaire. On peut certes être prudent sur la continuité de la solution mais une décision contraire s’apparenterait à un réel revirement de jurisprudence (v. sur le cas de l’information de la caution dirigeante, A. Gouëzel, op. cit., spéc. p. 122, n° 214, pointant un certain paradoxe d’informer le dirigeant d’un encours qu’il est censé « parfaitement connaître »).

Voici donc un arrêt particulièrement intéressant, notamment en raison de sa pluralité. La pratique pourra utilement s’en saisir en le transposant au droit nouveau.

 

Com. 10 mai 2024, F-B, n° 22-19.746

© Lefebvre Dalloz