Des nuances de forme de l’avis du ministère public en matière de soins psychiatriques sans consentement

Deux arrêts rendus le 24 avril 2024 permettent d’apporter quelques précisions sur les observations du ministère public dans le cadre des procédures liées aux hospitalisations sans consentement, notamment sur le contenu de l’avis donné mais également sur sa communication aux parties.

L’actualité des soins psychiatriques sans consentement reste souvent centrée autour de thématiques récurrentes. C’est le cas, par exemple, du compte des délais (Civ. 1re, 20 mars 2024, n° 22-21.898 FS-B, Dalloz actualité, 28 mars 2024, obs. C. Hélaine ; 6 mars 2024, n° 23-70.017 P-B, Dalloz actualité, 12 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 480 ), des pouvoirs du premier président de la cour d’appel (Civ. 1re, 28 févr. 2024, n° 22-15.888 F-B, Dalloz actualité, 11 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 426 ) ou encore de l’entrecroisement entre le droit des majeurs vulnérables et celui des soins sous contrainte (Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 22-23.242 F-B, Dalloz actualité, 12 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; AJ fam. 2024. 167, obs. F. Eudier ; RDSS 2024. 339, obs. P. Curier-Roche ). Les deux arrêts rendus le 24 avril 2024 se démarquent ainsi nettement de ces sujets fréquemment abordés. Ces décisions, publiées au Bulletin, concernent les observations du ministère public quand il n’est pas partie principale à la procédure. Les précisions apportées ne sont pas que de l’ordre du détail comme nous allons le voir, ce qui explique probablement le niveau de publication retenu par la Cour de cassation.

Commençons par brièvement rappeler les faits principaux des deux affaires concernées.

  • Dans le pourvoi n° 23-16.266, une personne est admise le 6 juillet 2020 en soins psychiatriques sans consentement sous la forme d’une mesure d’hospitalisation complète. L’admission a été demandée par le préfet par application de l’article L. 3213-1 du code de la santé publique. L’intéressée sollicite le 21 octobre 2022 la mainlevée de la mesure. En cause d’appel, le ministère public ne formule pas d’avis particulier et appose simplement son visa sur le dossier. Le premier président de la cour d’appel saisie décide de maintenir ladite mesure. La personne hospitalisée fait grief à cette décision d’avoir considéré qu’un simple visa suffisait pour l’avis du ministère public. En tout état de cause, elle considérait qu’un tel visa devait lui être mis à sa disposition en amont de l’audience. 
  • Dans le pourvoi n° 23-18.590, une personne est également hospitalisée sans son consentement mais cette fois-ci par décision du directeur de l’établissement concerné et à la demande d’un tiers sur le fondement de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. Six jours après le début de l’hospitalisation, soit le 23 février 2023, le directeur d’établissement saisit le juge des libertés et de la détention afin de poursuivre la mesure. Le juge décide, en effet, de renouveler l’hospitalisation complète. En cause d’appel, le ministère public rend un avis tendant à la confirmation de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention. Le premier président de la cour d’appel saisi dit n’y avoir lieu à mainlevée de la mesure. La personne hospitalisée fait grief à la décision de ne pas avoir reporté dans le corps même de l’ordonnance que l’avis du ministère public avait bien été communiqué aux parties ou, en tout cas, mis à leur disposition. 

Les deux pourvois concernent donc, essentiellement, les contours de l’avis du ministère public. Deux grandes questions se dessinent nettement tant sur la forme de l’avis que sur sa communication aux parties. 

Absence de conclusions du ministère public : un visa peut-il suffire ?

L’affaire n° 23-16.266 explore le motif, au demeurant assez habituel, du ministère public qui, n’ayant pas d’observations à faire valoir, ne fait que d’apposer son visa sur le dossier ou indiquer à l’audience qu’il s’en rapporte. La question posée par le pourvoi se dédouble utilement. Nous analyserons immédiatement la première partie de l’interrogation, à savoir celle qui consiste à déterminer si ce visa suffit à remplir l’exigence des textes.

Rappelons, à titre préliminaire, que le code de la santé publique prévoit, en effet, une obligation de communication du dossier au ministère public à travers les articles R. 3211-15 et R. 3211-21. La raison est évidente dans la mesure où une personne est privée de sa liberté d’aller et venir. Mais faut-il nécessairement que le parquet donne un avis oral à l’audience ou qu’il adresse des conclusions ? L’article 431, alinéa 2, du code de procédure civile donne ces deux options au ministère public quand il n’est pas partie à la procédure. Il est vrai que l’on pourrait en déduire qu’il n’y a pas de troisième branche qui consisterait à ne pas déposer de conclusions et à ne pas formuler d’avis oral. La jurisprudence de la première chambre civile n’a jamais, ces dernières années à notre connaissance, condamné la pratique consistant à simplement apposer un visa sur le dossier lorsque le ministère public n’a pas d’observations à formuler dans le contentieux des soins psychiatriques sans consentement. Alors, pourrait-on objecter, les choses semblent différentes dans certains contentieux économiques, comme celui du droit des entreprises en difficulté où l’avis du ministère public est apprécié avec plus de sévérité. D’où l’hésitation tout à fait légitime du pourvoi qui tentait probablement de transposer cette exigence. En vain, toutefois.

C’est pour cette raison que la première chambre civile rappelle que « lorsque le ministère public n’a pas d’observations à faire valoir, il peut se borner à apposer son visa sur le dossier ou indiquer qu’il s’en rapporte » (pt n° 7, nous soulignons). La précision est importante car la pratique est assez répandue. On peut, toutefois, se questionner sur la pertinence d’un simple visa alors que le ministère public pourrait s’en rapporter oralement à l’audience. Certains diront que l’ensemble peut paraître guère suffisant pour remplir l’objectif poursuivi par les textes du code de la santé publique. Une telle objection ne serait pas tout à fait déterminante car lorsque l’avis du ministère public est requis, on perçoit mal comment le simple visa porté sur le dossier pourrait être insuffisant quand aucune observation ne doit être formulée.

Sur ce point, l’arrêt du 24 avril 2024 poursuit donc un objectif d’utilisation raisonnée des textes tout en ne vidant pas de leur substance les exigences légales. Le ministère public avait bien eu connaissance du dossier de l’affaire, le simple visa porté sur le dossier suffit, par conséquent, quand aucune observation ne doit être rajoutée. Le contraste entre les différents contentieux en matière d’avis du ministère public (notamment sur l’obligation de formuler un avis) peut alors devenir de plus en plus important nécessitant, à terme, qu’une réflexion d’ampleur soit menée à ce sujet en distinguant notamment obligation de communication (prévue par les textes) et obligation de formuler un avis (ce qui pose davantage difficulté selon les situations).

La seconde question posée par les deux affaires étudiées est, en revanche, plus délicate.

De la communication aux parties : de la forme, rien de que la forme ?

Ici, les deux affaires se rejoignent assez utilement dans des contextes toutefois très différents.

Le pourvoi n° 23-18.590 ne puisait pas sa source dans un simple visa apposé par le ministère public puisque ce dernier avait conclu dans cette affaire. La question posée était liée à une absence de mention dans l’ordonnance du premier président selon laquelle les observations avaient « effectivement été notifiées » aux parties (pt n° 2). Voici donc une interrogation particulièrement intéressante. Faut-il ajouter une phrase spécifiquement dédiée dans la décision pour acter que les observations du ministère public ont été notifiées ? On serait tentés de penser que la réponse positive sécurise au moins toute difficulté mais il est vrai qu’elle impliquerait un formalisme assez rude dans un contentieux où les magistrats doivent déjà faire face à des exigences à la fois originales et sévères (par ex., sur les délais pour statuer, Civ. 1re, 20 mars 2024, n° 22-21.898, préc. ; 6 mars 2024, n° 23-70.017, préc.).

La première chambre civile refuse d’aller vers un horizon de formalisme (pt n° 3), à raison probablement. Insérer dans la décision une incise visant à indiquer explicitement que le ministère public a fait connaître son avis par écrit sans toutefois être présent à l’audience reste, probablement, le plus prudent. La volonté de la Cour de cassation de ne pas ériger l’omission d’une telle phrase en une cause de cassation de la décision frappée du pourvoi permet de ne pas tirer du simple oubli d’une phrase des conséquences excessives. Ce n’est que lorsque la partie n’a pas eu connaissance des conclusions du ministère public que la difficulté se pose et que la décision prête alors le flanc à la critique. Mais comme le note l’arrêt du 24 avril 2024, le pourvoi ne soutenait pas une telle absence de mise à disposition. 

Dans l’affaire n° 23-16.266, la question de la communication du simple visa apposé sur le dossier pose davantage difficulté. La réponse apportée par la première chambre civile peut être, en effet, sujette à discussion quand elle estime que « de telles mentions, sans influence sur la solution du litige, ne peuvent être assimilées à des conclusions écrites au sens de l’article 431 du code de procédure civile et n’ont pas à être communiquées aux parties ou mises à leur disposition avant l’audience » (pt n° 8, nous soulignons). La solution ainsi orientée préserve-t-elle le contradictoire ? Il est possible de répondre par la positive car le simple visa apposé sur le dossier n’a pas grand-chose à apporter aux parties en termes de contenu, sauf à vérifier que le Parquet a bien apposé ladite mention. L’arrêt du 24 avril 2024 opte ici pour une façon de procéder souple qui permettra probablement aux juridictions de pouvoir continuer à procéder de la sorte. On pourrait, peut-être, interroger la formulation choisie qui ne laisse guère place à la nuance, la Cour précisant que ces mentions « n’ont pas » à faire l’objet d’une communication aux parties. Une telle orientation ne laisse aucune place à une autre méthodologie qui consisterait à permettre aux parties d’au moins vérifier le visa. 

Notons un problème secondaire dans l’affaire n° 23-18.590 concernant la transmission du dossier à la commission départementale des soins psychiatriques quand la personne admise l’est à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent. Cet aspect de la procédure ne fait l’objet que de rares décisions publiées au Bulletin (v. toutefois, Civ. 1re, 18 janv. 2023, n° 21-21.370, Dalloz actualité, 26 janv. 2023, obs. C. Hélaine, sur la mainlevée de la mesure en cas de défaut d’information de la commission). Sur ce point, il n’y a guère de choses à noter dans la mesure où la première chambre civile rappelle que l’ordonnance frappée du pourvoi avait étudié le dossier pour constater que la décision d’admission datait du 17 février 2023 et que la commission départementale avait été saisie trois jours plus tard. Le moyen n’était donc pas fondé même si la preuve de cette transmission résultait d’une mention au pied de page de la décision. Le sommaire de l’arrêt ne mentionne d’ailleurs pas cette partie du litige, certainement considérée comme reléguée au second plan.

Voici donc deux arrêts aux intérêts pluriels concernant l’avis du ministère public lequel est susceptible de prendre diverses formes. Ils intéresseront nécessairement la pratique des soins psychiatriques sans consentement.

 

Civ. 1re, 24 avr. 2024, FS-B, n° 23-16.266

Civ. 1re, 24 avr. 2024, FS-B, n° 23-18.590

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