Des sanctions en cas de violation des obligations de la banque en matière de crédit à la consommation

Dans un arrêt rendu le 24 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne revient sur la sanction concernant l’obligation pour le prêteur de deniers d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur dans le cadre d’un crédit à la consommation régi par la directive 2008/48/CE.

La directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les crédits aux consommateurs est l’objet de renvois préjudiciels fréquents en raison de son importance pratique cruciale. Ainsi, nous avons pu récemment croiser une décision concernant les services accessoires (CJUE 21 mars 2024, S.R.G. c/ Profi Credit Bulgaria EOOD, aff. C-714/22, Dalloz actualité, 29 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 597 ) ainsi qu’un arrêt sur l’exécution intégrale du crédit (CJUE 11 janv. 2024, aff. C-755/22, Dalloz actualité, 18 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 60 ; RDI 2024. 280, obs. J. Bruttin ; RCJPP 2024. 69, chron. K. De La Asuncion Planes ). Aujourd’hui, nous retrouvons une nouvelle décision permettant de revenir sur une question délicate, à savoir celle de la sanction de l’obligation pour le prêteur de deniers d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur souhaitant recourir à un crédit à la consommation (Dir. 2008/48/CE, art. 8, § 1). Bien que le renvoi préjudiciel ait été initié par une juridiction polonaise, l’arrêt rendu par la Cour de justice, le 24 octobre 2024, pourra intéresser, au moins à titre incident, le droit français (v. C. consom., art. L. 312-16, sur l’évaluation de la solvabilité de l’emprunteur et sa sanction, art. L. 341-2).

Reprenons, à titre liminaire, les faits les plus importants. Le 28 septembre 2017, un emprunteur décide de conclure un crédit à la consommation avec une banque pour 49 148,06 złotys polonais (soit 10 457 €) à titre principal. Le montant total à rembourser est de 62 573,16 złotys polonais (soit 13 313,44 €) qui englobe tant le capital que les intérêts et la commission de l’établissement bancaire. Le contrat de crédit mentionne que le revenu mensuel de l’emprunteur est de 1 755,62 złotys polonais, soit 373 €, ce dernier étant déjà débiteur d’un prêt. Quelques temps plus tard, l’emprunteur n’arrive plus à régler les échéances mensuelles de 1 042 złotys polonais (soit 221 €). La banque décide de l’assigner devant le Sąd Rejonowy Lublin Zachód w Lublinie (le Tribunal d’arrondissement de Lublin Ouest). Une injonction de payer est émise à l’égard du débiteur qui forme opposition devant le Sąd Rejonowy w Siemianowicach Śląskich (le Tribunal d’arrondissement de Siemianowice Śląskie). L’emprunteur estime que la banque n’a pas procédé à l’obligation d’évaluer sa solvabilité.

Le tribunal constate, en effet, que cette disposition n’a pas été respectée en l’espèce. Or, la juridiction saisie note qu’il n’existe pas dans le droit polonais de sanction spécifique à cette obligation. La juridiction estime, à ce titre, que plusieurs sanctions sont envisageables à savoir la nullité du contrat ou la déchéance du droit aux intérêts. C’est dans ce contexte que le tribunal d’arrondissement décide de surseoir à statuer pour renvoyer la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union européenne :

« L’article 8 de la directive [2008/48] doit-il être interprété en ce sens que l’obligation faite au prêteur d’évaluer la solvabilité du consommateur (emprunteur) est équivalente aux autres obligations prévues par cette directive (notamment les obligations d’information visées aux articles 10 et suivants de celle-ci) de sorte que les sanctions auxquelles l’article 23 de ladite directive renvoie ne sauraient être différentes, c’est-à-dire qu’elles ne sauraient prévoir des conséquences juridiques différentes en cas de violation de chaque obligation envisagée séparément ? »

L’arrêt du 24 octobre 2024 permet une habile mise en balance des différentes obligations issues de la directive 2008/48/CE quant à leurs sanctions. Notons que la justification de l’orientation choisie s’inscrit dans un format court (environ 10 §§), ce qui est assez rare dans les arrêts répondant aux renvois préjudiciels en cette matière. 

Position du problème : une identité d’importance

La méthodologie à l’œuvre dans l’arrêt C-339/23 est habituelle en matière de contrôle de l’interprétation d’un texte de l’Union européenne en droit de la consommation. Quand il s’agit de déterminer la sanction d’une disposition issue de la directive 2008/48/CE relative aux crédits aux consommateurs, le premier réflexe est naturellement de se tourner vers son article 23. Selon celui-ci, les sanctions applicables pour la violation des dispositions nationales transposées doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives » (pt n° 25 de l’arrêt étudié). Ce triptyque est fondamental en ce qu’il assure un respect adéquat des règles ainsi harmonisées

L’article 23 de la directive, véritable gage de liberté, existe car les autorités n’ont pas voulu imposer aux États membres une sanction harmonisée pour les différents types d’obligations du prêteur de deniers (v. consid. n° 47 de la dir. 2008/48/CE : « il convient que les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées en vertu de la présente directive et veillent à ce qu’elles soient appliquées », nous soulignons). Chaque droit interne peut alors déployer une sanction différente tant qu’elle répond au triptyque précédemment évoqué. Toutefois, les États membres n’ont pas nécessairement prévu de sanctions spécifiques dans leurs transpositions respectives au sujet de l’obligation d’évaluation de la solvabilité. C’est le cas, par exemple, en Pologne. En France, le législateur a érigé une règle spécifique, puisque l’article L. 341-2 du code de la consommation précise que « le prêteur qui n’a pas respecté les obligations fixées aux articles L. 312-14 et L. 312-16 est déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge » (nous soulignons). La marge de manœuvre pour le juge est assez importante et permet une modulation pertinente de la sanction infligée à l’établissement bancaire. 

Par conséquent, certains États membres ont pu choisir des sanctions différentes en matière de violation de l’obligation pour la banque d’évaluation de la solvabilité de l’emprunteur de l’article 8 de la directive 2008/48/CE, d’une part, et, d’autre part, en cas de violation de l’obligation d’information de l’article 10 de la même directive. La juridiction de renvoi s’interroge précisément sur la conformité d’une telle interprétation.

C’est l’occasion pour la Cour de justice de rappeler l’importance « fondamentale » (comp. pts n° 31 et n° 32) tant de l’obligation du contrôle de la solvabilité de l’article 8 que de celle concernant l’information due au consommateur de l’article 10. Ces dispositions, bien que très différentes, poursuivent des buts importants. La première permet de lutter en amont contre le surendettement tandis que la seconde éclaire le consommateur sur le contenu du contrat qu’il va conclure. Nous l’aurons compris, c’est bien cette équivalence dans l’importance des textes comparés qui vient créer une hésitation sur l’adéquation des sanctions mises en jeu, surtout quand c’est la jurisprudence qui doit les dessiner.

Pour résoudre la difficulté, encore faut-il comprendre l’enjeu de ces deux textes en pratique.

Résolution du problème : diversité d’enjeu, diversité possible de sanctions

En dépit du caractère « fondamental » de ces deux obligations, la Cour de justice estime que celles-ci poursuivent des « objectifs différents » (pt n° 33) et que « leur violation n’emporte pas des conséquences similaires » (pt n° 33, égal., nous soulignons). Il s’agit évidemment du préalable nécessaire pour juger conforme l’interprétation selon laquelle des sanctions différentes peuvent s’inférer de ces deux obligations à l’importance équivalente mais aux conséquences peu comparables. Une telle solution est largement bienvenue puisque si la violation de l’obligation d’évaluation de la solvabilité peut conduire à l’insolvabilité programmée de l’emprunteur, celle de l’obligation d’information varie en fonction de l’information mal ou non délivrée. Par conséquent, une certaine gradation entre les deux textes peut être parfaitement déployée. Cette diversité ne doit toutefois pas conduire à oublier que les sanctions érigées par les États membres ou leurs juridictions doivent être « notamment proportionnées en prenant en compte tant la gravité individuelle de la violation que les conséquences différentes qui en découlent pour le consommateur » (pt n° 35, nous soulignons). D’où l’intérêt, par exemple, en droit français d’une modulation éventuelle par le juge prévue à l’article L. 341-2 du code de la consommation.

Ce renvoi préjudiciel pourra conduire à un certain sentiment de sécurité juridique sur notre transposition. Les sanctions sont, en effet, alignées puisqu’à l’article L. 341-2 sur la violation de l’obligation d’évaluation de la solvabilité répond l’article L. 341-1 qui prévoit que « (…) le prêteur qui accorde un crédit sans communiquer à l’emprunteur les informations précontractuelles dans les conditions fixées par l’article L. 312-12 ou, pour les opérations de découvert en compte, à l’article L. 312-85 est déchu du droit aux intérêts » (nous soulignons). L’alignement de la sanction permet d’éviter le doute du droit polonais et fait peser une véritable épée de Damoclès sur l’emprunteur qui induit ainsi une dimension dissuasive pertinente en l’état (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 414, n° 371). Le renvoi préjudiciel ne condamne pas une telle équivalence, il ne fait que de permettre aux États membres de recourir à une sanction plus douce dans un cas par rapport à l’autre.

Voici, en définitive, un arrêt permettant de rappeler que dans le silence d’une directive, la sanction d’un texte peut être parfaitement différente de celle appliquée par une disposition voisine et ce même quand les deux obligations prévues sont d’importance équivalente. Dès lors que le but poursuivi diffère, la diversité des sanctions peut utilement se justifier. Ainsi en est-il de la liberté accordée aux États membres quant à la sanction de l’obligation d’évaluation de la solvabilité de l’article 8 de la directive 2008/48/CE et quant à celle de l’obligation d’information de l’article 10 de ladite directive.

 

CJUE 24 oct. 2024, aff. C-339/23

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