Désigner pour annuler, circonscrire pour instruire, habiliter pour consulter

Par un arrêt riche d’enseignements, la Cour de cassation confirme que la rigueur procédurale, inhérente à la matière pénale, s’impose à tous : la défense doit viser précisément les pièces qu’elle entend contester, le juge ne peut instruire que sur les faits dont il se trouve saisi, et les personnes accédant à certains fichiers de traitement doivent être autorisés pour ce faire.

Au cours d’une information ouverte des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, un magistrat instructeur a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre d’un suspect qui fut finalement interpellé en Thaïlande, puis placé en détention provisoire.

Une requête en nullité a été déposée par sa défense, visant certains actes de procédure, au nombre desquels figuraient spécialement : le mandat d’arrêt susvisé, son interrogatoire de première comparution, ainsi que l’accès à des données du fichier « API-PNR », lesquelles portent sur les données de réservation, d’enregistrement et d’embarquement des passagers aériens.

La chambre de l’instruction a partiellement fait droit à cette demande, en se limitant à la cancellation d’une unique cote de procédure. Peu convaincu par la réponse opposée à ses moyens de nullité, et persuadé que la cancellation aurait dû emporter avec elle l’annulation d’actes subséquents, l’exposant a formé un pourvoi en cassation.

L’intérêt de l’arrêt est triple puisque la chambre criminelle énonce successivement que :

  • le requérant doit identifier précisément les actes subséquents dont ils demandent l’annulation si son moyen de nullité venait à être accueilli favorablement ;
  • le juge d’instruction ne peut instruire que sur des faits dont il se trouve saisi par réquisitoire introductif ou supplétif, la mention « en tous cas depuis temps non prescrit » n’emportant aucune incidence sur l’étendue de sa saisine ;
  • il appartient à la chambre de l’instruction de vérifier, au besoin au moyen d’un supplément d’information, les conditions d’accès au fichier de traitement API-PNR, lorsqu’est portée devant elle une contestation sur ce point.

De la nécessité de désigner les actes et pièces qui trouvent leur support nécessaire dans l’acte vicié

Pour rappel, lorsqu’une partie estime qu’une nullité a été commise au cours de l’instruction, elle saisit la chambre de l’instruction par requête motivée (C. pr. pén., art. 173). Sous peine d’irrecevabilité, les moyens de nullité, qui concernent les actes préalables ou concomitants à l’acquisition d’un statut en procédure, doivent être présentés, par principe, dans les six mois qui suivent cette mise en cause (C. pr. pén., art. 173-1).

Par application des dispositions de l’article 174, alinéa 2, du code de procédure pénale, la chambre de l’instruction « décide si l’annulation doit être limitée à tout ou partie des actes ou pièces de la procédure viciée ou s’étendre à tout ou partie de la procédure ultérieure ». Aux termes d’une construction jurisprudentielle désormais bien établie, il est acquis que seuls sont annulés, par voie de conséquence, les actes qui ont pour fondement ou support nécessaire l’acte vicié (Crim. 4 oct. 1994, n° 94-83.490 P, D. 1995. 145 , obs. J. Pradel ; 6 mai 2003, n° 02-87.567 P ; 14 mai 2014, n° 12-84.075 P, Dalloz actualité, 4 juin 2014, obs. S. Anane ; D. 2014. 1155 ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 492, obs. P. de Combles de Nayves ).

Par le passé, la chambre criminelle a déjà pu énoncer que, s’il se prévaut d’une nullité n’affectant qu’un intérêt privé, « le demandeur, lorsqu’il présente une requête en nullité d’actes de la procédure, doit indiquer précisément à la chambre de l’instruction chacun des actes dont il sollicite l’annulation » (Crim. 22 nov. 2022, n° 22-83.221 P, Dalloz actualité, 14 déc. 2022, obs. S. Goudjil ; D. 2022. 2225 ; AJ pénal 2023. 38 ; Légipresse 2023. 8 et les obs. ; v. égal., Crim. 23 avr. 2024, n° 23-84.390, inédit, RSC 2025. 83, obs. C. Ambroise-Castérot ). L’arrêt commenté paraît alors consolider ce principe en l’appliquant aux annulations subséquentes : le demandeur qui soulève devant la chambre de l’instruction un moyen de nullité doit indiquer, dans l’hypothèse où il serait fait droit à cette nullité, précisément chacun des actes dont il sollicite l’annulation par voie de conséquence en application de l’article 174 du code de procédure pénale.

La ligne de crête pourrait sembler étroite entre, d’une part, la nécessité pour la défense de désigner précisément les pièces visées par sa demande d’annulation et, d’autre part, l’office de la chambre de l’instruction qui, lorsqu’elle constate une nullité d’un acte de la procédure, doit annuler « par voie de conséquence les actes qui ont pour support nécessaire l’acte vicié » (Crim. 5 sept. 2023, n° 22-87.240, Dalloz actualité, 21 sept. 2023, obs. M. Slimani ; D. 2023. 1520 ; AJ pénal 2023. 509, obs. D. Miranda ). On pense alors comprendre de cette dichotomie que la défense ne saurait utilement venir reprocher à la chambre de l’instruction de n’avoir pas, ou mal, répondu à une demande d’annulation d’actes qu’elle aurait présentée en des termes trop imprécis, ce qui n’exempte pas la chambre de l’instruction d’exercer pleinement son office – ici en affirmant que, selon son examen du dossier, aucun autre acte ou pièce n’était affecté par la nullité.

Reste que, si la défense se doit d’être précise, la chambre de l’instruction ne doit pas se montrer trop inflexible : c’est ainsi qu’une juridiction a déjà pu être censurée pour n’avoir pris en compte que le visa de la cote qui correspondait à la première page d’un procès-verbal, dès lors qu’il ne faisait aucun doute que le requérant contestait l’intégralité de cet acte (Crim. 12 déc. 2023, n° 23-82.185, inédit).

De l’inutilité de la formule « en tous cas depuis temps non prescrit »

Par application de l’article 80 du code de procédure pénale, le juge d’instruction ne peut instruire que sur les faits expressément visés dans l’acte qui le saisit, qu’il s’agisse d’un réquisitoire introductif ou supplétif. On parle alors d’une saisine in rem, qui délimite et encadre précisément les faits sur lesquels le juge est légitime à instruire (v. not., Dalloz actualité, 27 nov. 2024, obs. H. Diaz).

Au cas de l’espèce, le mandat d’arrêt visait, pour l’une des infractions poursuivies, des faits qui s’étendaient du 1er janvier 2021 au 22 novembre 2022. Il résultait pourtant de la procédure que les réquisitoires introductif et supplétifs n’avaient saisi le magistrat instructeur que pour une période courant de 2021 au 22 août 2022. En conséquence de quoi, les faits postérieurs au 11 août 2022 se trouvaient manifestement hors saisine.

Pour autant, la chambre de l’instruction avait rejeté les arguments de la défense, en estimant que le juge n’avait fait procéder à aucun acte d’instruction sur lesdits faits, que le mis en cause avait été placé sous le statut de témoin assisté, et surtout que le ministère public, par l’usage de la formulation « en tous cas depuis temps non prescrit », avait entendu couvrir cette période à travers ses réquisitoires.

La chambre criminelle censure logiquement cette argumentation, en soulignant, comme elle l’avait déjà fait en d’autres circonstances (Crim. 20 nov. 2024, n° 23-82.394, inédit ; 2 oct. 2024, n° 22-82.625, inédit, RTD com. 2024. 1017, obs. B. Bouloc ; ibid. 2025. 215, obs. L. Saenko ; 30 avr. 2024, n° 23-80.962 P, Dalloz actualité, 15 mai 2024, obs. T. Scherer ; D. 2024. 1435, obs. J.-B. Perrier ; AJ pénal 2024. 341, obs. C. Guéry ; Dr. soc. 2024. 660, obs. P. Adam ; Dalloz IP/IT 2024. 314, obs. E. Rançon ; ibid. 664, obs. C. Galichet ; RSC 2024. 622, obs. P.-J. Delage ), que la mention « en tout cas depuis temps non prescrit » n’a aucune incidence sur la saisine d’une juridiction (v. égal., C. Guéry, De la formule « depuis temps non couvert par la prescription de l’action publique », AJ pénal 2016. 309) – laquelle était donc en l’espèce strictement délimitée par les réquisitoires.

Les praticiens retiendront certainement que la chambre criminelle procède ici par voie de cancellation du mandat d’arrêt, pour ce qui concerne les seuls faits qui excédaient la saisine. Partant, la censure n’emporte pas mise en liberté, dès lors que le mandat d’arrêt concernait également d’autres faits, notamment criminels, susceptibles de justifier la délivrance d’un tel mandat.

De l’accès au fichier API-PNR

Dans le cadre de leurs investigations, les services enquêteurs procèdent régulièrement à des consultations de fichiers de traitement, pour lesquels les agents doivent être habilités et individuellement désignés par leur autorité hiérarchique. Cette question de l’habilitation à la consultation d’un fichier a donné lieu à un contentieux jurisprudentiel nourri, duquel il se déduit que les éléments de procédure doivent permettre d’établir que l’accès au fichier s’est fait dans un cadre légal, par un agent régulièrement habilité ou un enquêteur légalement autorisé (v. par ex., pour le fichier LAPI, Crim. 19 févr. 2019, n° 18-84.671, Dalloz actualité, 8 mars 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 434 ; AJ pénal 2019. 277, obs. É. Clément ).

Faisant dire à la jurisprudence de la chambre criminelle plus qu’elle ne paraissait véritablement exprimer, le législateur est récemment intervenu pour que l’absence de mention, en procédure, de l’habilitation d’un agent à consulter un fichier ne soit « plus, par elle-même, une cause de nullité, le magistrat pouvant d’office ou à la demande des parties vérifier la réalité de l’habilitation demeurant obligatoire » (Rapport n° 436 de M. F. Boudié, fait au nom de la commission des lois, déposé le 4 nov. 2022).

C’est ainsi que, issu de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023, un nouvel article 15-5 du code de procédure pénale prévoit désormais que « Seuls les personnels spécialement et individuellement habilités à cet effet peuvent procéder à la consultation de traitements au cours d’une enquête ou d’une instruction. La réalité de cette habilitation spéciale et individuelle peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d’une personne intéressée. L’absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation de ces traitements n’emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure ». Sauf erreur, il n’y avait là rien de bien novateur, dès lors que c’est en réalité l’absence d’habilitation qui pose problème, la réalité de celle-ci devant être recherchée au besoin par la voie d’un supplément d’informations (v. par ex., Crim. 25 oct. 2022, n° 22-81.466, D. 2022. 1906 ; AJ pénal 2022. 589 et les obs. ).

Au cas de l’espèce, le demandeur au pourvoi soutenait qu’il n’était pas établi que l’agent ayant consulté le fichier API-PNR était habilité pour ce faire, ou à défaut, qu’il ait adressé une requête motivée pour accéder auxdites données, ainsi que le réclamaient les dispositions des articles R. 232-13 et R. 232-15 du code de la sécurité intérieure, dans leurs versions alors applicables. La chambre criminelle lui donne raison (v. égal., Crim. 16 janv. 2024, n° 23-81.625, inédit), en désapprouvant la chambre de l’instruction pour n’avoir pas fait procéder à de telles vérifications, ainsi qu’elle y était invitée, au besoin en procédant à un supplément d’information.

 

Crim. 20 mai 2025, F-B, n° 24-85.763

par Hugues Diaz, Avocat au barreau de Toulouse

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