Détention d’une autorisation d’exploitation : pas d’impact sur la constitutionnalité de l’action en démolition

Une autorisation d’exploiter ne vaut pas permis de construire : ces deux actes relèvent d’approches divergentes dans leurs objectifs, leur contenu, leurs délais et l’autorité administrative compétente. De cette manière et plus généralement, l’annulation d’une autorisation délivrée au titre d’une législation n’emporte aucune répercussion directe sur l’autorisation délivrée au titre d’une législation distincte.

Dans le prolongement de sa jurisprudence récente, la Haute juridiction rappelle les conditions de l’action en démolition engagée à la suite de l’annulation d’un permis de construire rendant l’édification de l’ouvrage irrégulière.

Le fait, pour un propriétaire, de disposer d’une autorisation administrative d’exploiter exclut-il la démolition de son ouvrage irrégulièrement édifié ?

La société Énergie renouvelable du Languedoc (ERL) s’est vu délivrer, par arrêté du 24 avril 2013, un permis de construire lui permettant d’édifier sept aérogénérateurs ainsi qu’un poste de distribution. Elle a alors déposé, en 2015, sa déclaration d’ouverture de chantier en mairie, puis celle de l’achèvement des travaux et de leur conformité avec le permis de construire au cours de l’année suivante. Le préfet a délivré un certificat de conformité, mais le 26 janvier 2017, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé le permis pour cause d’insuffisance de l’étude d’impact, arrêt confirmé par le Conseil d’État le 8 novembre 2017.

C’est ainsi que le 27 juillet 2018, trois associations de défense du patrimoine et de l’esthétique des paysages ont assigné la société ERL en démolition du parc éolien sur le fondement de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme.

Par conséquent, l’avocat de la société ERL a présenté une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’occasion du litige qui l’opposait à ces associations. À la suite du pourvoi qu’elle a formé contre l’arrêt rendu sur renvoi après cassation (Civ. 3e, 11 janv. 2023, n° 21-19.778, Dalloz actualité, 1er févr. 2023, obs. C. Dreveau ; AJDA 2023. 53 ; D. 2023. 875 , note P. Abadie ; RDI 2023. 202, obs. M. Revert ; ibid. 203, obs. M. Revert ) par la cour d’appel (Nîmes, 7 déc. 2023, n° 23/00353), la société ERL a demandé de renvoyer la QPC suivante au Conseil constitutionnel :

« L’article L. 480-13, 1°, du code de l’urbanisme, en ce qu’il permet la démolition d’une construction édifiée dans certaines zones conformément à un permis de construire, ultérieurement annulé, ne porte-t-il pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, en méconnaissance de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’une atteinte à la sécurité juridique, en méconnaissance de l’article 16 de cette même Déclaration, faute de réserver toute démolition lorsque le propriétaire dispose d’une autorisation administrative d’exploitation ? »

Il semble opportun de rappeler brièvement les trois conditions de fond devant être réunies par une QPC afin de justifier son envoi au Conseil constitutionnel :

  • l’applicabilité de la loi au litige ;
  • l’absence de déclaration préalable de conformité ;
  • le caractère sérieux ou nouveau de la question.

Examen de la QPC en cassation : absence de caractère sérieux démontrée par la Cour

La Cour régulatrice affirme que le Conseil constitutionnel ne s’est prononcé que sur une partie de la disposition (Cons. const. 10 nov. 2017, n° 2017-672 QPC, Dalloz actualité, 20 nov. 2017, obs. M.-C. Lesergent ; AJDA 2018. 356 , note J. Tremeau ; ibid. 2017. 2231 ; D. 2017. 2303 ; RDI 2018. 53, obs. P. Soler-Couteaux ; Constitutions 2017. 651, Décision ), plus précisément, sur l’interdiction de l’action en démolition en dehors des zones qu’il vise limitativement, en s’abstenant de statuer sur la faculté alors ouverte au juge judiciaire d’exiger la démolition « lorsque le propriétaire des constructions litigieuses, situées dans une de ces zones, dispose, par ailleurs, d’une autorisation administrative d’exploiter délivrée en application d’une autre législation ».

Par conséquent, l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme n’a pas été jugé en conformité eu égard au fait que, pour exclure la démolition, il ne réserve pas le cas des ouvrages dont le détenteur dispose d’un permis d’exploiter. Les juges du droit se sont donc prononcés sur ce point.

En effet, refusant son renvoi aux sages, ils observent que la QPC formulée n’est pas nouvelle car elle ne porte pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil « n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application ».

Si la Cour de cassation a estimé que la disposition législative contestée par la société n’avait pas encore été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil, et qu’elle était applicable au litige en ce qu’elle se rapportait aux conditions dans lesquelles le juge judiciaire peut mettre en œuvre la démolition, sanction d’une construction édifiée conformément à un permis annulé, elle a néanmoins considéré que cette QPC ne disposait pas d’un caractère sérieux.

Autorisation d’urbanisme et autorisation environnementale : dichotomie mise en relief par la Cour de cassation

L’autorisation administrative d’exploitation du propriétaire du bien faisant l’objet d’une injonction de démolir n’a aucun impact sur l’obligation de démolition en question. En effet, un permis de construire accordé se rapporte aux règles d’implantation et d’édification d’un ouvrage, lorsque une autorisation d’exploiter se rattache aux conditions dans lesquelles une activité agricole sera entreprise sur un terrain donné.

Possédant chacun un objet différent, l’un relève du code de l’urbanisme, l’autre du code de l’environnement. En découle directement le fait que l’annulation d’un acte délivré en vertu d’une législation est sans incidence directe sur l’acte délivré sur le fondement d’une autre législation (CE 22 sept. 2014, SIETOM de la région de Tournan-en-Brie, n° 367889, Dalloz actualité, 30 sept. 2014, obs. J.-M. Pastor ; Lebon ; AJDA 2015. 106 , note T. Pouthier ; ibid. 2014. 1857 ). Par conséquent, dans le cas sous étude, si l’on annule le permis de construire, cela n’a pas d’incidence sur la légalité de l’autorisation d’exploiter qui n’empêchera pas la destruction de l’ouvrage.

Dans la solution rapportée, la Cour précise le champ d’application des dispositions issues des articles L. 421-1 du code de l’urbanisme et L. 181-2 du code de l’environnement lorsque les faits retracent une mise en œuvre combinée de ces derniers. Elle clarifie les modalités d’articulation des deux législations au sein d’un unique projet d’aménagement.

Les juges du quai de l’Horloge s’alignent sur leur précédent jurisprudentiel en estimant que le fait que le permis de construire ait été annulé ne suffit pas au juge judiciaire pour condamner à la démolition au titre de l’article L. 480-13 susmentionné (Civ. 3e, 23 nov. 1982, n° 81-14.817 P ; 11 janv. 2023, n° 21-19.778, préc.). Cette condamnation requiert également la démonstration par le demandeur (ici, le collectif d’associations) de la présence d’un préjudice personnel en lien de causalité directe avec la violation de la règle d’urbanisme enfreinte (et non pas, « avec la seule présence des constructions environnantes ne respectant pas les règles d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique »).

Ainsi doit être écartée l’hypothèse d’une méconnaissance du principe de sécurité juridique consacré par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme.

En définitive, la Cour affirme que la disposition contestée (C. urb., art. L. 480-13) ne méconnaît pas de droit constitutionnel, en ce qu’il appartient au juge judiciaire (saisi d’une demande de démolition sur ce fondement) de contrôler, à la date à laquelle il statue, l’opposabilité au pétitionnaire de la règle d’urbanisme transgressée qui a justifié l’annulation du permis de construire ; et éventuellement, si celui-ci n’a pas régularisé la situation au regard des règles qui lui sont désormais applicables (Civ. 3e, 11 févr. 2021, n° 20-13.627, Dalloz actualité, 5 mars 2021, obs. G. Hamel ; D. 2021. 351 ; RDI 2021. 242, obs. M. Revert ; RTD civ. 2021. 454, obs. W. Dross ). De ce fait, il n’existe pas non plus d’atteinte démesurée au droit de la propriété au titre de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme.

Une réponse à la restriction légale du champ d’application de l’action en démolition ?

Quand bien même cela freine les projets d’aménagement, l’édification ne doit pas porter atteinte à l’environnement. La Cour semble de nouveau souligner l’importance de l’article L. 480-13, en faisant ressortir sa finalité de préservation de la nature et des paysages, ainsi que du droit à réparation des victimes. Le juge judiciaire se fait ici encore le garant autonome de l’effectivité des dispositions d’urbanisme, de même que l’arbitre entre construction et protection environnementale.

Depuis 2015, la faculté pour les tiers lésés d’obtenir la démolition d’un ouvrage bâti conformément à un permis de construire devenu irrégulier a été particulièrement amoindrie. En effet, le juge ne peut sommer la démolition de la construction que si celle-ci se trouve dans l’un des secteurs listés à l’article L. 480-13 : une mince partie du territoire français. Ainsi, la Cour de cassation souhaite ici la préservation et la facilitation de l’action en démolition, restreinte ces dernières années par les changements législatifs. Par l’arrêt sous étude, cette protection se remarque à travers la précision du fait qu’une telle mesure doit être exigée lorsque l’ouvrage litigieux est situé dans l’un des secteurs susmentionnés le jour où le juge statue, ce, même si cet ouvrage n’y était pas au moment de la délivrance de l’autorisation d’urbanisme.

Cela encourage les titulaires de permis à rester sur leurs gardes au cours de la construction.

 

Civ. 3e, QPC, 25 avr. 2024, FS-B, n° 24-10.256

© Lefebvre Dalloz