Détermination de la sanction de la violation de la règle de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés : une simple inopposabilité à la procédure collective ?

Il résulte de l’application combinée des articles L. 622-30 du code de commerce et R. 512-1 du code des procédures civiles d’exécution que le juge de l’exécution peut, lorsqu’il est saisi dans les délais légaux, ordonner la mainlevée d’une mesure conservatoire inscrite en violation de l’interdiction édictée au premier de ces textes à laquelle l’adoption d’un plan de sauvegarde ne met pas fin.

 

La règle de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés est assez rarement mobilisée. L’arrêt rapporté n’en est que plus intéressant, d’autant que la solution qu’il pose est, à première vue, surprenante.

L’article L. 622-30, alinéa 1er, du code de commerce énonce que « les hypothèques, gages, nantissements et privilèges ne peuvent plus être inscrits postérieurement au jugement d’ouverture ». Ce texte de la procédure de sauvegarde est applicable en redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-14, I, devenu C. com., art. L. 631-14, al. 1er) et en liquidation judiciaire (C. com., art. L. 641-3, al. 1er).

Il n’est pas discuté que la portée de l’arrêt du cours des inscriptions n’est pas limitée à la seule période d’observation (v. les travaux préparatoires très clairs de la loi du 25 janv. 1985 à ce sujet : amend. n° 56 et interview Badinter, JOAN CR 9 avr. 1984, p. 1287. La règle n’a pas été modifiée avec la loi de sauvegarde) de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. L’arrêt jouera également en phase de liquidation judiciaire.

Pendant l’exécution du plan de redressement ou de sauvegarde, les créanciers soumis au plan ne pourront davantage publier une sûreté en garantie de leurs créances.

Le fondement de la règle doit être recherché dans la volonté de « geler le patrimoine du débiteur », comme cela résulte des travaux préparatoires de la loi du 25 janvier 1985 (Rapp. Gouzes, JO doc. adm. n° 1872, p. 85). En figeant le patrimoine du débiteur au jour du jugement d’ouverture, on fige identiquement le gage commun des créanciers dans son état au jour du jugement d’ouverture. La règle participe donc de la protection du gage commun (C. Favre-Rochex, Sûretés et procédures collectives, LGDJ-BDED, t. 19, 2020, n° 39 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 13e éd., Dalloz Action, n° 651.16), en empêchant une distribution postérieure de celui-ci dans des conditions différentes de celles existant au jour du jugement :

« Créance, telle tu étais au jugement d’ouverture, telle tu demeureras pendant la procédure.»

Il existe en droit des entreprises en difficulté une seconde règle dite de l’interdiction des constitutions de sûretés après le jugement d’ouverture pour garantir des créances antérieures. Elle est posée en ces termes par l’article L. 622-7-II, alinéa 1, du code de commerce : « Le juge-commissaire peut autoriser le débiteur à […] consentir une sûreté réelle conventionnelle en garantie d’une créance postérieure à l’ouverture de la procédure ». Cette solution, dont la rédaction actuelle est issue de l’ordonnance du 15 septembre 2021, avait été posée antérieurement par la Cour de cassation : il est impossible de constituer après le jugement d’ouverture, une sûreté pour garantir le paiement de créances antérieures. La règle de l’égalité des créanciers peut être invoquée pour interdire cette constitution (Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.281 F-P+B, Dalloz actualité, 19 juin 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 757 ; Just. & cass. 2020. 282, rapp. A. Vaissette ; RTD com. 2019. 990, obs. A. Martin-Serf ; BJE juill./août 2019, 117b6, p. 23, note N. Borga ; JCP E 2019. Chron. 1375, n° 5, obs. A. Tehrani).

La sanction des deux règles n’est pas identique : s’il n’est pas discuté que la violation de l’interdiction de constituer des sûretés pour garantir des créances antérieures est sanctionnée par la nullité de la sûreté, en revanche, la sanction de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés fait davantage difficulté.

La détermination de cette sanction est précisément la question centrale de l’arrêt commenté.

En l’espèce, une banque a, par acte notarié, accordé à une société un prêt destiné à financer l’acquisition d’un terrain et la construction de deux villas. Le 15 mars 2018, la société a été mise en sauvegarde. La banque a déclaré sa créance. Un plan a été adopté le 18 juillet 2019.

Le 20 décembre 2022, la banque a inscrit une hypothèque judiciaire provisoire sur les biens immobiliers appartenant à la société débitrice, qu’elle lui a dénoncée le 26 décembre 2022.

Le 11 janvier 2023, le plan de sauvegarde de la société a été résolu et une procédure de redressement judiciaire a été ouverte.

Soutenant que l’hypothèque avait été inscrite en violation des dispositions de l’article L. 622-30 du code de commerce, par actes des 18 et 20 janvier 2023, la société débitrice et son mandataire judiciaire ont demandé au président du tribunal de commerce, saisi en application de l’article R. 512-2 du code des procédures civiles d’exécution, d’en ordonner la mainlevée.

Les juges du fond ont accepté cette prétention.

La banque a formé un pourvoi en reprochant aux juges du fond d’avoir ordonné la mainlevée de son inscription d’hypothèque judiciaire provisoire, alors « que la sanction de l’inscription d’une hypothèque prise en méconnaissance de l’interdiction posée à l’article L. 622-30 du code de commerce est l’inopposabilité de cette inscription à la procédure collective, sans en affecter la validité ; qu’il s’ensuit que l’inscription d’une sûreté réelle, prise postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde mais antérieurement au redressement judiciaire prononcé après la résolution du plan de sauvegarde et constatation de la cessation des paiements, est opposable à cette procédure de redressement judiciaire ; qu’en prononçant en conséquence la mainlevée et la radiation de l’hypothèque judiciaire provisoire prise par la société Banque Populaire Méditerranée le 20 décembre 2022, après avoir pourtant constaté, d’une part, que “la sanction de l’inscription d’une hypothèque en méconnaissance de l’article L. 622-30 du code de commerce […] est l’inopposabilité de l’inscription" et, d’autre part, que l’inscription litigieuse avait été réalisée “après l’adoption du plan de sauvegarde de la société, et avant la résolution du plan et l’ouverture du redressement judiciaire prononcées par arrêt de la Cour d’appel de Riom le 11 janvier 2023", la cour d’appel a refusé de tirer les conséquences de ses propres constatations et violé l’article L. 622-30 du code de commerce. »

La Cour de cassation ne va pas suivre cette argumentation et rejeter le pourvoi en jugeant que « Il résulte de l’application combinée des articles L. 622-30 du code de commerce et R. 512-1 du code des procédures civiles d’exécution que le juge de l’exécution peut, lorsqu’il est saisi dans les délais légaux, ordonner la mainlevée d’une mesure conservatoire inscrite en violation de l’interdiction édictée au premier de ces textes à laquelle l’adoption d’un plan de sauvegarde ne met pas fin. Après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que la banque, bénéficiaire d’une inscription d’hypothèque légalement publiée et renouvelée avec effet jusqu’au 24 mars 2019 pour garantir sa créance, l’avait ensuite laissée expirer, et relevé que celle-ci avait procédé à une nouvelle inscription hypothécaire provisoire le 20 décembre 2022, en cours d’exécution du plan de sauvegarde de la société TP2M, en violation des dispositions d’ordre public de l’article L. 622-30 précité, la cour d’appel en a exactement déduit que la mainlevée de l’inscription devait être ordonnée ».

Entre nullité et inopposabilité : revirement ?

A priori, la solution ainsi posée par la Cour de cassation peut surprendre. Certes, il a été soutenu que la méconnaissance de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés ne pouvait être sanctionné que par une nullité (F. Macorig-Venier, Les sûretés sans dépossession dans le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises, thèse, Toulouse, 1992, nos 153 à 156 ; C. Saint-Alary-Houin, avec la collaboration de C. Houin-Bressand et M.-H. Monsèrié-Bon, Droit des entreprises en difficulté, 14e éd., Lgdj-Lextenso, coll. « Domat », 2024, n° 657), au demeurant absolue (J.-J. Fremont, Les nouvelles procédures de règlement collectif au regard de la publicité foncière, JCP N 1997. 1, n° 77 ; J.-Cl. Communication, fasc. 2365, [Redressement et liquidation judiciaires – Situation des créanciers – Interdiction des inscriptions], par C. Saint-Alary-Houin et F. Macorig-Venier, 2014, n° 7), sanction classique d’un acte interdit. Il fallait, de cette analyse, tirer la conséquence que les organes de la procédure ne pouvaient y renoncer (A. Kornmann, Procédures collectives, publicité foncière et sûretés immobilières – À propos de l’article 57 de la loi de 1985, LPA 1990, nos 92-93).

Des juridictions du fond avaient cependant opté pour l’inopposabilité de l’inscription à la procédure (Colmar, ch. civ., 1re et 2e sect., 16 mars 1998, RPC 2001. 249, n° 5, obs. F. Macorig-Venier ; T. com. Paris, 2 avr. 1998, RPC 2000. 15, n° 12, obs. F. Macorig-Venier).

Cette solution est celle retenue par la Cour de cassation, sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985, qui énonce que l’inscription d’hypothèque effectuée après le jugement d’ouverture est inopposable à la procédure collective (Com. 7 nov. 2006, n° 05-11.551 F-D, LXB Hebdo n° 241, 20 déc. 2006, n° N4237A9S, note P.-M. Le Corre). La solution est suivie par les juridictions du fond (Paris, 3e ch. A, 2 oct. 2007, n° 06/18938). La solution a notamment été posée à propos d’un warrant agricole. Le warrant avait été déposé au greffe du tribunal d’instance avant l’ouverture de la procédure. Mais, faute de publication au plus tard la veille, il a été déclaré inopposable à la procédure collective (Angers, ch. A, 5 déc. 2017, n° 16/01171, RPC 2018. Comm. 86, note C. Lebel).

Alors pourquoi la Cour de cassation a-t-elle cru devoir juger, en l’espèce, que la mainlevée de l’hypothèque conservatoire prise pendant l’exécution du plan et publiée après sa résolution, une fois ouvert le redressement judiciaire, pouvait être ordonnée par le juge de l’exécution ? Cette mainlevée ne peut sanctionner une simple inopposabilité à la procédure collective, c’est-à-dire à ses créanciers et à ses organes, mais évoque plutôt l’idée d’une inefficacité erga omnes de l’acte.

Faut-il voir dans cet arrêt un revirement de jurisprudence sur la sanction attachée à la violation de la règle de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés et comprendre l’abandon de la sanction de l’inopposabilité à la procédure collective au profit d’une nullité ?

La formulation de la Cour de cassation ne nous permet pas de répondre avec certitude à la question. Cependant, ce revirement n’est nullement certain, la solution de la Cour de cassation dans cet arrêt pouvant s’expliquer autrement.

Tentative d’explications de l’arrêt

En l’espèce, en effet, non seulement la règle de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés était en jeu puisque la publication de l’hypothèque conservatoire avait eu lieu après l’ouverture du redressement judiciaire, c’est-à-dire de la seconde procédure collective ouverte consécutivement à la résolution du plan de sauvegarde. Mais en outre, la prise de la sûreté conservatoire était intervenue en cours d’exécution du plan, en violation de la règle de l’interdiction de la constitution d’une sûreté réelle après le jugement d’ouverture. Or la violation de cette interdiction est la nullité. Par conséquent, non seulement était en cause la règle de l’article L. 622-30 du code de commerce, dite règle de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés, mais encore était violée la règle de l’article L. 622-7-II, alinéa 1, du code de commerce interdisant de constituer des sûretés nouvelles après le jugement d’ouverture d’une procédure collective, fut-ce pendant l’exécution d’un plan, dès lors qu’il était question de garantir une créance antérieure. Or, dès lors que cette sûreté ne pouvait légalement être constituée, sa publication faisait nécessairement difficulté. Mais il eut été préférable de le faire au visa de l’article L. 622-7-II, alinéa 1 et L. 622-7-III posant la nullité des actes interdits, plutôt qu’au visa de l’article L. 622-30 du code de commerce.

Il restera à vérifier dans un arrêt ultérieur si notre analyse se confirme ou si cet arrêt constitue un véritable revirement de jurisprudence quant à la détermination de la sanction de la violation de la règle de l’arrêt du cours des inscriptions de sûretés.

 

Com. 2 juillet 2025, FS-B, n° 24-13.438

par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l’Université Côte d’Azur - Membre du CERDP

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