Détournement de bien objet de saisie pénale : précision sur le délit applicable

L’article 314-6 du code pénal, qui incrimine le fait, par le saisi, de détourner ou de détruire un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d’un créancier, confié à sa garde ou à celle d’un tiers, est inapplicable au détournement d’un bien saisi pénalement. Trouve en revanche à s’appliquer l’article 434-22 du code pénal, qui réprime tout détournement d’objet placé sous scellés ou sous main de justice.

Dans cet arrêt typique des conflits d’incrimination qui font tout l’intérêt du droit pénal spécial, la chambre criminelle de la Cour de cassation précise, pour la première fois depuis la fameuse loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, le délit applicable au détournement de bien pénalement saisi. Cette décision était attendue. La clarification de la sanction pénale applicable au non-respect de la saisie pénale est bienvenue au regard du développement théorique et pratique de ces saisies visant à garantir l’exécution de la peine de confiscation (Rép. pén.,  Détournement de gage et d’objet saisi, par C. Fonteix, n° 11).

Faits de l’espèce : virement de fonds visés par une ordonnance de saisie pénale

Afin de garantir l’éventualité d’une confiscation dans une procédure visant des faits de pratique commerciale trompeuse et de violation des règles de démarchage, un juge des libertés et de la détention avait, au cours d’une enquête, ordonné la saisie des sommes inscrites au crédit du compte bancaire d’une société, à hauteur de 700 000 €. La saisie avait été notifiée à la société ainsi qu’à son gérant. Quelques jours plus tard, six virements extérieurs avaient été enregistrés, d’un montant total dépassant 300 000 €.

Poursuite et condamnation du chef de détournement de bien saisi

Des poursuites avaient été engagées sur le fondement de l’article 314-6 du code pénal, qui punit de trois ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende « le fait, par le saisi, de détruire ou de détourner un objet saisi entre ses mains en garantie des droits d’un créancier et confié à sa garde ou à celle d’un tiers ».

Devant l’impossibilité d’appliquer l’abus de confiance à celui qui détourne son propre bien, le législateur avait créé ce délit avec la loi du 28 avril 1832, qui avait alors complété l’article 400 du code pénal jusque-là consacré à l’extorsion. La Cour de cassation avait jugé que « ces dispositions spéciales devaient, dès lors, avoir pour objet d’assurer le respect dû aux actes de l’autorité publique, et de protéger l’intérêt du créancier saisissant, celui des tiers qui peuvent avoir des droits à exercer sur les choses mises sous la main de la justice, ou le produit de leur vente, enfin celui du gardien préposé à la saisie et responsable de la disparition des choses confiées à sa surveillance » (Crim. 13 août 1869, Bull. crim. n° 193 ; DP 1870. 1. 92).

En l’espèce, la cour d’appel avait, pour justifier l’applicabilité de ce délit à un bien n’ayant pas vocation à garantir un créancier privé mais à assurer l’exécution d’une confiscation, mobilisé une jurisprudence également ancienne, selon laquelle les dispositions de l’article 400 du code pénal régissaient également le cas où la saisie constitue une mesure préalable pour l’application d’une peine (Crim. 21 nov. 1895, DP 1896. 1. 191). Un siècle plus tard, la Cour de cassation avait également jugé que lorsque la loi prescrit la saisie de certains objets afin que la confiscation en soit prononcée par les tribunaux de répression, cette saisie, opérant immédiatement la dépossession des propriétaires et devant servir éventuellement à réaliser l’attribution desdits objets à l’État, celui-ci acquiert sur les objets saisis un droit positif protégé par l’article 400 du code pénal (Crim. 18 juin 1943, Bull. crim. n° 56).

Cette jurisprudence datait d’une période pendant laquelle aucune sanction pénale n’assortissait le détournement d’un bien placé sous main de justice. Pouvait-elle perdurer malgré la création, dans le code pénal de 1994, de l’article 434-22, alinéa 2, visant « tout détournement d’objet placé sous scellés ou sous main de justice » ?

Cassation pour violation de l’interprétation stricte : applicabilité du seul délit de détournement d’objet placé sous main de justice

Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, « alors que le texte d’incrimination susvisé exclut de son champ d’application les saisies pénales, la cour d’appel, qui a retenu la culpabilité [du prévenu] du chef de détournement d’un objet pénalement saisi relevant de l’incrimination prévue par l’article 434-22 du code pénal », a méconnu les articles 111-4 et 314-6 du code pénal.

C’est donc le délit de détournement de bien placé sous main de justice (classé parmi les atteintes à l’État et puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende, soit moins sévèrement que le détournement de bien saisi) qui est seul applicable.

Ce faisant, la Cour de cassation concrétise l’intention du législateur lors de la confection de la loi du 9 juillet 2010 relative aux saisies pénales spéciales, l’applicabilité de ce délit au cas de la saisie pénale spéciale ayant alors été clairement affirmée (G. Geoffroy, Rapp. fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur la proposition de loi de MM. J.-L. Warsmann et G. Geoffroy, p. 46).

Il semble utile de préciser qu’à la lecture de l’arrêt commenté, l’article 434-22 du code pénal apparaît applicable au détournement de tout bien visé par une « saisie pénale », de sorte que le champ d’incrimination n’apparaît pas réduit aux saisies pénales spéciales des articles 706-141 et suivants du code pénal. Reste que la question du « détournement » ne se pose en pratique quasiment que dans l’hypothèse d’une saisie sans dépossession, apanage des saisies pénales spéciales.

Le délit devrait par ailleurs pouvoir concerner toutes les saisies à visée confiscatoire, à l’exception des saisies à visée probatoire. Celles-ci semblent en effet tomber sous le coup de l’article 434-4 du code pénal, qui vise notamment la destruction, la soustraction, le recel ou l’altération d’un « objet de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des coupables », et qui réprime cet acte par une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. La doctrine considère que le fait de détourner un objet à la fois saisi et utile à la manifestation de la vérité caractérise un concours idéal d’infractions devant se solder par l’application de la seconde qualification uniquement « en raison de la sévérité majeure de ses peines et de l’identité de valeurs protégées » (J.-Cl. Pénal Code,  Art. 434-4, par S. Detraz, n° 36).

 

Crim. 25 juin 2025, F-B, n° 24-82.463

par Cloé Fonteix, Avocat au Barreau de Paris

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