Dette antérieure au début de l’activité professionnelle indépendante et ouverture d’une procédure collective : la loi du 14 février 2022 a-t-elle été oubliée ?
Pour la Cour de cassation, une cour d’appel est fondée à ouvrir une liquidation judiciaire en raison d’une dette contractée antérieurement à l’activité professionnelle ouvrant droit à l’application des règles des procédures collectives, lorsqu’à la date de l’ouverture de la procédure collective, le débiteur relevait desdites règles et était susceptible d’être poursuivi pour le règlement de cette dette sans avoir à établir que tout ou partie de son passif provenait de son activité exercée à titre individuel.
 
                            Si la solution s’entend dans une perspective classique d’unicité du patrimoine, les faits qui ont conduit la Cour de cassation à se prononcer nous paraissent faire fi des règles issues de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 et qui commandaient un raisonnement différent.
Le principe est simple : toute personne exerçant une activité professionnelle indépendante peut bénéficier d’une procédure du livre VI du code de commerce. Cela étant, cette simplicité peut n’être qu’un leurre, car derrière le principe se cache une multitude de difficultés. Ces dernières sont notamment liées à la situation dans laquelle une personne cumule l’exercice de plusieurs activités professionnelles à la fois indépendantes, mais également d’autres qui ne le sont pas.
Or, il s’avère que ces difficultés sont accrues ou, à tout le moins, revêtent une autre coloration depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante, ce dont témoigne l’arrêt sous commentaire.
L’affaire
Un avocat a été condamné, par une sentence arbitrale du 10 juin 2008, à payer la somme de 484 787,18 € à une société civile professionnelle (SCP) au sein de laquelle il était associé.
Alors que ce montant demeurait impayé, l’avocat a rejoint une autre SCP en qualité d’associé et s’est inscrit parallèlement à titre individuel en novembre 2022 à l’ordre des avocats du Barreau de Paris et a déclaré son état de cessation des paiements, lequel était en majeure partie lié à la dette de condamnation susmentionnée (nous retrouvons trace, grâce au rapport publié, d’un actif disponible de 1 000 € et d’un passif exigible de 760 656,43 €).
Par un jugement du 15 décembre 2022, l’avocat a été mis en liquidation judiciaire.
La SCP créancière de la condamnation a formé une tierce opposition à ce jugement d’ouverture. Pour l’essentiel, elle rappelait que si la procédure de liquidation judiciaire est applicable à toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, l’avocat qui cumule un mode d’exercice en qualité d’associé avec un exercice à titre individuel ne peut être admis au bénéfice des procédures collectives qu’au titre de son activité indépendante. Or, pour la SCP, il appartenait au juge de s’assurer que tout ou partie du passif provenait bien de l’activité individuelle du débiteur. Ce faisant, puisqu’en l’espèce la condamnation par la sentence arbitrale représentait la majorité du passif de l’avocat et qu’il a tout de même été fait droit à la demande d’ouverture, les juges seraient passés outre le fait que le passif allégué au soutien de la demande d’ouverture était étranger à l’activité professionnelle indépendante. En somme, la SCP dénonçait une sorte d’instrumentalisation des règles du droit des entreprises en difficulté, dans la mesure où l’inscription à titre individuel de l’avocat en novembre 2022 coïncidait avec la déclaration de cessation des paiements déposée le mois suivant.
La société créancière n’obtiendra pas gain de cause en première instance et en appel ; sa tierce opposition étant jugée recevable, mais non fondée. En réponse, elle s’est pourvue en cassation en faisant valoir la même argumentation.
La solution
La Cour de cassation rejette le pourvoi et s’aligne sur la position retenue par les juges du fond. En l’occurrence, la Haute juridiction affirme qu’une procédure collective peut être ouverte en raison d’une dette contractée antérieurement au début de l’activité professionnelle indépendante. Précisément, ce principe vaut, pour la Cour de cassation, à condition que, d’une part, à la date de l’ouverture de la procédure, le débiteur relève, par son activité, des règles des procédures collectives et que, d’autre part, il soit encore susceptible d’être poursuivi pour le règlement de la dette antérieure au début de l’activité professionnelle indépendante.
Analyse
La solution formulée par la Cour de cassation poursuit une certaine logique. Du reste, il s’agit d’une subtile application de la rencontre du droit des entreprises en difficulté avec la possibilité relativement récente offerte aux avocats d’embrasser plusieurs formes d’activités. Surtout, l’arrêt sous commentaire se comprend parfaitement dans une perspective classique d’unicité du patrimoine du professionnel indépendant.
Malgré ce premier point et le fait qu’on ne puisse adresser ce reproche directement à la Haute juridiction, il nous semble que les conséquences induites par les dates clés des faits de l’espèce ont été méprisées à la fois par les parties, mais également par les juges du fond. Si ces dates sont importantes, c’est qu’en l’espèce, sauf erreur de notre part, elles impliquaient de tenir compte des dispositions de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 sur l’activité professionnelle indépendante et, notamment, de la scission, pour l’indépendant, de son patrimoine en deux sous-ensembles que sont le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel. Or, selon nous, la juste application des textes en vigueur aurait pu (dû ?) amener un raisonnement différent pour répondre à la question de l’éligibilité de l’avocat à la liquidation judiciaire.
En quelque sorte, si nous considérons que la solution est fondée sur une certaine logique, c’est aussi dire qu’en l’espèce, le débiteur a profité de la ténacité du principe d’unicité du patrimoine. Or, sous toutes réserves, les faits soumis à la Cour de cassation auraient mérité un traitement différent à l’aune de la dissociation patrimoniale introduite par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022.
La ténacité du principe d’unicité du patrimoine
Pour la Cour de cassation, si l’avocat avait qualité pour solliciter l’ouverture de la liquidation judiciaire, c’est que sa profession au jour du début de la procédure le lui permettait, et ce, peu important l’origine de son passif.
À première vue, la solution est classique. Du reste, nous savons que depuis l’entrée en vigueur de loi de sauvegarde n° 2005-845 du 26 juillet 2005, les professionnels libéraux relèvent du droit des entreprises en difficulté, pour peu qu’une activité professionnelle indépendante soit exercée.
En réalité, il est permis d’aller plus loin et d’affirmer que le statut de la personne en difficulté importe peu pour déterminer le domaine d’application des procédures du livre VI du code de commerce, car au-delà des catégories possibles – commerçant, artisan, agriculteur ou professionnel libéral – seul compte, en réalité, l’exercice d’une activité professionnelle indépendante. Sous cet angle, il ne fait donc aucun doute que l’avocat exerçant sa profession à titre individuel relève effectivement des procédures du droit des entreprises en difficulté.
Cette dernière affirmation emporte plusieurs conséquences.
D’abord, elle impliquait classiquement l’exclusion du professionnel libéral des procédures de surendettement des particuliers (v. infra ; C. consom., art. L. 711-3 ; pour un ex., à propos d’une infirmière exerçant à titre libéral, Com. 17 mai 2011, n° 10-13.460 P, Dalloz actualité, 19 mai 2011, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2011. 519, obs. P. Roussel Galle  ; BJE sept. 2011, n° 4, p. 240, note N. Tagliarino-Vignal ; APC 2011/11, n° 162, note P. Cagnoli), et ce, peu important, historiquement, l’origine du passif pesant sur le débiteur (Civ. 2e, 18 févr. 2016, n° 14-29.223 NP ; 17 juin 2020, n° 19-10.464 F-P+B, D. 2020. 1356
 ; BJE sept. 2011, n° 4, p. 240, note N. Tagliarino-Vignal ; APC 2011/11, n° 162, note P. Cagnoli), et ce, peu important, historiquement, l’origine du passif pesant sur le débiteur (Civ. 2e, 18 févr. 2016, n° 14-29.223 NP ; 17 juin 2020, n° 19-10.464 F-P+B, D. 2020. 1356  ; Rev. prat. rec. 2020. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille
 ; Rev. prat. rec. 2020. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille  ; Gaz. Pal. 29 sept. 2020, n° 387w0, p. 25, note E. Mouial-Bassilana ; RPC 2021/2. Comm. 23, note S. Gjidara-Decaix).
 ; Gaz. Pal. 29 sept. 2020, n° 387w0, p. 25, note E. Mouial-Bassilana ; RPC 2021/2. Comm. 23, note S. Gjidara-Decaix).
Ensuite, elle signifie aussi, puisque seul compte l’exercice d’une activité professionnelle indépendante, que les avocats associés d’une SCP ou d’une société d’exercice libéral ne sont pas éligibles au droit des entreprises en difficulté (Com. 9 févr. 2010, n° 08-15.191, n° 08-17.670 et n° 08-17.144, Dalloz actualité, 11 févr. 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 1110, chron. M.-L. Bélaval, I. Orsini et R. Salomon  ; ibid. 2013. 136, obs. T. Wickers
 ; ibid. 2013. 136, obs. T. Wickers  ). Pour s’en convaincre, au sein de ces derniers arrêts, la chambre commerciale a affirmé sans détour que : « l’avocat qui a cessé d’exercer son activité à titre individuel pour devenir associé d’une société civile professionnelle (…), n’agit plus en son nom propre, mais exerce ses fonctions au nom de la société. Il cesse dès lors d’exercer une activité professionnelle indépendante au sens de l’article L. 631-2 du code de commerce ».
). Pour s’en convaincre, au sein de ces derniers arrêts, la chambre commerciale a affirmé sans détour que : « l’avocat qui a cessé d’exercer son activité à titre individuel pour devenir associé d’une société civile professionnelle (…), n’agit plus en son nom propre, mais exerce ses fonctions au nom de la société. Il cesse dès lors d’exercer une activité professionnelle indépendante au sens de l’article L. 631-2 du code de commerce ».
Ces rappels étant effectués, notons qu’en l’espèce, le débiteur de la dette de condamnation a longtemps été l’associé d’une SCP et c’est d’ailleurs à ce titre qu’est née une partie substantielle de son passif. Or, si la vie professionnelle du débiteur était restée cantonnée à ce statut, la question de son élection au droit des entreprises en difficulté n’aurait pas pu se poser, d’autant qu’entre temps il était devenu l’associé d’une autre SCP. Par ailleurs, ce qui précède est d’autant plus juste que le principe de l’unicité d’exercice de la profession d’avocat impliquait que ce professionnel ne pouvait avoir qu’un seul mode d’exercice.
Comment expliquer alors le fait, qu’en l’espèce, le débiteur, associé d’une SCP, ait pu s’inscrire, par ailleurs, au barreau à titre individuel ? En l’occurrence, le principe de l’unicité d’exercice de la profession d’avocat a disparu à l’été 2020 pour être remplacé par la possibilité d’embrasser concomitamment plusieurs modes d’exercice de la profession différents.
Au demeurant, l’ouverture de la pluriactivité s’agissant de la profession d’avocat constitue le point charnière de l’arrêt sous commentaire.
En l’occurrence, comme nous l’indiquions, si le débiteur de la dette de condamnation était uniquement demeuré l’associé d’une SCP, la question de l’ouverture d’une procédure collective n’aurait pas eu à se poser. Or, si la Cour de cassation juge, en l’espèce, que l’avocat pouvait solliciter l’ouverture d’une liquidation judiciaire, c’est qu’il s’était par ailleurs inscrit au barreau à titre individuel. Partant, cette inscription a fait passer l’avocat du monde de l’association à celui de l’exercice d’une activité professionnelle indépendante, ce qui lui a ouvert les portes du droit des entreprises en difficulté.
Certes, une certaine gêne peut émaner de l’arrêt sous commentaire. Voici une personne condamnée à une époque où il était l’associé d’une première SCP, devenue par la suite l’associé d’une autre structure et qui, n’ayant pas réglé son dû, s’inscrit en novembre 2022 à titre individuel et sollicite dans la foulée l’ouverture d’une liquidation judiciaire, car devenue depuis quelques semaines « un professionnel indépendant ». Bien sûr, nous ne ferons pas l’offense aux lecteurs de cette rubrique de découvrir les possibilités d’instrumentalisation du droit des entreprises en difficulté, lesquelles demeurent difficiles à dénoncer, depuis qu’il a été expressément énoncé que les mobiles du débiteur sollicitant l’ouverture d’une procédure du livre VI importent peu pourvu que les conditions objectives de cette ouverture soient réunies (Com. 8 mars 2011, nos 10-13.988, 10-13.989 et 10-13.990 P, Dalloz actualité, 10 mars 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 919, note P.-M. Le Corre  ; ibid. 1441, chron. L. Arcelin-Lécuyer
 ; ibid. 1441, chron. L. Arcelin-Lécuyer  ; ibid. 2069, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas
 ; ibid. 2069, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas  ; Rev. sociétés 2011. 404, étude B. Grelon
 ; Rev. sociétés 2011. 404, étude B. Grelon  ; RTD civ. 2011. 351, obs. B. Fages
 ; RTD civ. 2011. 351, obs. B. Fages  ; RTD com. 2011. 420, obs. J.-L. Vallens
 ; RTD com. 2011. 420, obs. J.-L. Vallens  ; JCP E 2011. 1215, note A. Couret et B. Dondero). Malgré ces éléments, nous pouvons toutefois regretter que le critère de « l’effectivité » de l’activité professionnelle indépendante n’ait pas été davantage creusé et recherché (Com. 20 sept. 2017, n° 15-24.644 P, Dalloz actualité, 25 sept. 2017, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2017. 733, obs. P. Roussel Galle
 ; JCP E 2011. 1215, note A. Couret et B. Dondero). Malgré ces éléments, nous pouvons toutefois regretter que le critère de « l’effectivité » de l’activité professionnelle indépendante n’ait pas été davantage creusé et recherché (Com. 20 sept. 2017, n° 15-24.644 P, Dalloz actualité, 25 sept. 2017, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2017. 733, obs. P. Roussel Galle  ; BJS nov. 2017, n° 116z1, p. 690, note B. Saintourens).
 ; BJS nov. 2017, n° 116z1, p. 690, note B. Saintourens).
Au-delà de ces remarques, force est de reconnaître qu’en apparence les conditions d’ouverture de la liquidation judiciaire étaient à première vue réunies : le débiteur exerçait une activité professionnelle indépendante et ce dernier démontrait son état de cessation des paiements. Nous pouvons lire, en effet, en consultant le rapport du conseiller que l’actif disponible était de 1 000 € et le passif exigible de 760 656,43 €. Au demeurant, nous ignorons la composition exacte de ce passif, étant entendu que la dette de condamnation s’élevait au jour de la sentence arbitrale à la somme de 484 787,18 €. En somme, nous ne savons pas dans quelle proportion les intérêts légaux ont augmenté le montant de la condamnation ni dans quelle mesure l’avocat a pu générer en un mois « d’activité indépendante » un autre passif.
Malgré ces incertitudes, avec la force de l’habitude, il est permis de considérer que l’avocat était en état de cessation des paiements.
« Avec la force de l’habitude »… Au vrai, ne pas discuter l’état de cessation des paiements du débiteur en l’espèce est conditionné au fait de se situer dans une logique classique d’unicité du patrimoine. Du reste, la ténacité du principe est ici prégnante, car il était vrai, jusqu’à une époque récente, que toutes les dettes d’un débiteur personne physique – même étrangères à son activité professionnelle indépendante – devaient être prises en compte pour le calcul de son état de cessation des paiements. Ce faisant, nous comprenons alors la solution retenue par la Cour de cassation : à partir du moment où le débiteur est un professionnel indépendant au jour de l’ouverture de la procédure et qu’il est encore susceptible d’être poursuivi pour le passif qu’il entend faire traiter par le biais de la liquidation judiciaire, il importe peu que la ou les dettes mentionnées soient nées avant le début de l’activité professionnelle indépendante, car en toutes hypothèses elles font partie de son patrimoine, lequel constituera le périmètre de l’effet réel de la procédure collective.
Hélas, bien que nous comprenions la logique sur laquelle est fondée la solution, cette dernière n’est pas à l’abri de la critique. Du reste, bien qu’on ne puisse pas le reprocher à la Cour de cassation qui ne peut répondre qu’aux questions qui lui sont posées, il nous semble que l’affaire qui lui a été soumise comporte une erreur méthodologique tenant à l’omission des dispositions introduites par la loi du 14 février 2022.
L’oubli des dispositions introduites par la loi du 14 février 2022 ?
La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 a introduit une dissociation patrimoniale au profit de l’entrepreneur individuel. Ce dernier bénéficie de plein droit d’un patrimoine professionnel composé des biens utiles à l’exercice de son activité professionnelle indépendante et d’un patrimoine personnel composé de ses autres biens (C. com., art. L. 526-22). En somme, le même article prévoit que, sauf exception, les créanciers professionnels ont pour gage les éléments du patrimoine professionnel et que les créanciers personnels ont pour gage ceux qui composent le patrimoine personnel.
Ces premiers principes imposent de se demander si, en l’espèce, l’avocat bénéficiait de la dissociation patrimoniale créée par la loi. En l’occurrence, il est permis de répondre par la positive dans la mesure où la loi du 14 février 2022 est entrée en vigueur trois mois après sa promulgation, soit le 15 mai 2022 (Loi n° 2022-172 du 14 févr. 2022, art. 19). Or, l’avocat est devenu un professionnel indépendant par le biais de son inscription au barreau à titre individuel en novembre 2022. Ce faisant, au jour de la demande d’ouverture de la liquidation judiciaire, le tribunal avait face à lui un entrepreneur individuel doté de deux patrimoines.
La précision est importante dans la mesure où ladite loi a introduit une mécanique extrêmement complexe de traitement des difficultés qui affecteraient un entrepreneur individuel. Par principe, le tribunal de la procédure collective, saisi d’une demande d’ouverture, doit analyser « d’office » la situation des deux patrimoines pour établir éventuellement l’élection au droit des entreprises en difficulté du patrimoine professionnel et/ou le surendettement du patrimoine personnel (C. com., art. L. 681-1).
Par la suite, pour aller à l’essentiel, le périmètre de la procédure de traitement des difficultés variera selon la nature des difficultés rencontrées par l’entrepreneur individuel (C. com., art. L. 681-1 s.). Dans le cas le « plus simple », lorsque seul le patrimoine professionnel est éligible au droit des entreprises en difficulté et qu’au contraire le patrimoine personnel est in bonis, seul le premier sera concerné par l’une des procédures du livre VI du code de commerce (C. com., art. L. 681-1, II). Dans le cas contraire, où seul le patrimoine personnel est surendetté, le tribunal renvoie, avec l’accord du débiteur, le dossier à la commission de surendettement (C. com., art. L. 681-3).
En outre, la loi de 2022 s’est également intéressée à la situation au sein de laquelle les deux patrimoines de l’entrepreneur seraient en difficulté. Or, à cet égard, deux hypothèses sont à distinguer. D’une part, lorsque le patrimoine personnel est en situation de surendettement et que le patrimoine professionnel est, quant à lui, éligible à l’une des procédures du livre VI, une procédure de surendettement peut alors concerner le patrimoine personnel et une procédure collective peut s’ouvrir s’agissant du patrimoine professionnel. Cette configuration n’est toutefois pas automatique, car elle suppose le strict respect de la séparation patrimoniale par l’entrepreneur et que le droit de gage des créanciers professionnels ne porte pas sur le patrimoine personnel (C. com., art. L. 681-2, IV). Surtout, cette première hypothèse devrait peu se présenter en pratique. D’un côté, la condition relative au strict respect de la séparation patrimoniale est difficile à vérifier s’agissant d’un mécanisme jouant par l’effet de la loi. D’un autre côté, nombreux seront les cas où des créanciers professionnels conserveront un droit de gage sur le patrimoine personnel : il s’agit, par exemple, assez simplement, des créanciers dont les droits sont nés avant le 15 mai 2022. Cela permet de s’intéresser, d’autre part, à la seconde hypothèse. Du reste, lorsque les conditions du IV de l’article L. 681-2 ne pourront être remplies, le tribunal doit ouvrir une procédure collective « bipatrimoniale », car portant à la fois sur le patrimoine personnel et sur le patrimoine professionnel de l’entrepreneur (C. com., art. L. 681-2, III). Dans ce cas, il y a donc place à une procédure unique, mais qui doit néanmoins tenir compte du droit de gage de chaque créancier : aux créanciers « personnels » les éléments du patrimoine personnel et aux créanciers « professionnels » les éléments du patrimoine professionnel (C. com., art. L. 681-2, III, al. 3).
En l’espèce, tout indique que lesdites dispositions ont été purement omises du raisonnement mobilisé par les juges du fond.
Certes, la protection statutaire de l’entrepreneur individuel ne concerne que les créances nées après l’entrée en vigueur de la loi et, ce faisant, si la dette de condamnation de l’avocat représentait la majorité de son passif, cette dernière créance n’aurait pas subi la restriction du droit de gage applicable aux créanciers personnels et professionnels.
Cela étant, la définition de l’assiette du gage des créanciers ne dispense pas à notre sens le tribunal, pour les procédures ouvertes après le 15 mai 2022, de caractériser les conditions d’ouverture d’une procédure à l’égard de chacun des patrimoines (par ex., Lyon, 3e ch. A, 7 déc. 2023, n° 23/04066).
Or, il nous semble en l’espèce que les juges du fond ont commis l’erreur de raisonner comme si l’avocat n’était pas soumis aux dispositions de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022. La procédure de liquidation judiciaire ayant été ouverte le 15 décembre 2022, la méthode d’analyse de la situation des deux patrimoines de l’entrepreneur aurait dû être respectée. À ce propos, sauf erreur d’appréciation de notre part, nous ne comprenons pas pourquoi il est fait référence, dans le rapport du conseiller, à des textes du code de commerce dans leur « rédaction antérieure à la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, applicable au litige » : selon nous, la loi était bien applicable au litige, mais non opposable dans ses conséquences au principal créancier du débiteur… ce qui est différent !
En réalité, en admettant que la loi de 2022 fût applicable, la question centrale à se poser est de savoir si la dette de condamnation du débiteur devait être prise en compte ou non dans le calcul de l’état de cessation des paiements.
À notre sens, tel n’aurait pas dû être le cas, car le deuxième alinéa de l’article L. 631-1, applicable à la liquidation judiciaire par le renvoi de l’article L. 641-1, dispose que la condition de la cessation des paiements s’apprécie pour le seul patrimoine engagé par l’activité professionnelle. Autrement dit, nous comprenons de ce texte que seul le passif lié à l’exercice d’une activité professionnelle indépendante doit être passé au crible des critères de l’état de cessation des paiements. Concrètement, si l’avocat, en l’espèce, était un professionnel indépendant, seules les dettes issues de cette activité à titre individuel pouvaient venir alimenter le calcul de l’état de cessation des paiements. Or, le début de l’activité se situant en l’espèce en novembre 2022, la dette de condamnation née en 2008 ne pouvait, selon nous, être prise en considération, car ne provenant pas d’une activité indépendante.
Malgré les apparences, notre propos ne revient toutefois pas à dire que la liquidation judiciaire n’aurait pu s’ouvrir en toutes hypothèses au bénéfice de l’avocat. En réalité, cela aurait été possible, mais en adoptant un raisonnement différent.
Application de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 : aboutir au même résultat avec un raisonnement différent
Selon toute vraisemblance, le passif de l’avocat était composé pour sa grande majorité de la dette de condamnation, mais également, à lire l’arrêt d’appel, de dettes fiscales, sociales et bancaires dont nous ignorons la provenance.
À notre sens, la dette de condamnation, provenant de l’exercice d’une activité professionnelle passée et non indépendante, pouvait être prise en considération pour le calcul du surendettement du patrimoine personnel. Cela est désormais permis dans la mesure où la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 a procédé à la modification de l’article L. 711-1 du code de la consommation pour y intégrer la prise en compte des « dettes professionnelles » dans le calcul de la situation de surendettement. Or, l’espèce commentée montre bien la différence qu’il peut y avoir entre une dette professionnelle et une dette née d’une activité professionnelle indépendante !
En admettant que l’avocat fût sur le principe « surendetté », il pouvait tout à fait, en outre, être en situation d’état de cessation des paiements : son actif disponible s’élevant à la somme de 1 000 €, l’on peut supposer que les créances bancaires, fiscales et sociales mentionnées dans l’arrêt d’appel constituaient un passif exigible supérieur à la première somme (à condition d’être en présence de dettes effectivement nées de l’activité indépendante, car à défaut le seul traitement des difficultés possibles pour l’avocat serait le surendettement, mais l’exposé étant déjà fort compliqué, nous nous en tiendrons à cette unique remarque…).
Face à ce constat, le tribunal aurait pu (dû ?) ouvrir une liquidation judiciaire ayant la particularité de porter sur les deux patrimoines. La raison de ce choix est précisément liée à la date de naissance de la dette de condamnation, antérieure au 15 mai 2022. Nous retrouvons, en effet, une situation au sein de laquelle la scission des patrimoines est inopposable à au moins un créancier, ce qui rend, dans ce cas, impossible la tenue de deux procédures parallèles entre d’un côté une procédure collective et de l’autre une procédure de surendettement : la dissociation des patrimoines dans ce cas n’est pas parfaitement étanche (C. com., art. L. 681-2, III).
Bien entendu, la position de l’auteur de ces lignes est « facile », car il n’est pas confronté au feu du quotidien des tribunaux et il est vrai que face à l’extrême complexité de ce qu’est devenu le traitement des difficultés économiques d’un entrepreneur individuel, nous comprenons qu’il soit pris la décision volontaire (ou non) de se « détourner » du système mis en place par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022. Cela étant, c’est aussi un signal donné au législateur « post-moderne », l’invitant à remettre l’ouvrage sur le métier, car les exemples d’inapplication de cette loi sont hélas nombreux et s’expliquent par son extrême complexité (par ex. et dernièrement, Douai, 5 juin 2025, n° 24/05078).
Com. 10 sept. 2025, F-B, n° 24-15.275
par Benjamin Ferrari, Maître de conférences en droit privé, co-directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Université Côte d'Azur, membre du CERDP (UPR nº 1201)
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