Deux QPC en droit des sûretés non transmises au Conseil constitutionnel

Dans un arrêt rendu le 12 février 2025, la première chambre civile refuse de transmettre au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité sur l’application dans le temps de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.

Si le droit des sûretés est une matière donnant l’occasion à la Cour de cassation de rendre un certain nombre d’arrêts publiés au Bulletin chaque année (v. par ex., ces derniers mois, Civ. 2e, 16 janv. 2025, n° 22-17.956 F-B, Dalloz actualité, 4 févr. 2025, obs. M. Barba. ; Com. 18 déc. 2024, n° 22-13.721 FS-B, Dalloz actualité, 8 janv. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 4 ; 20 nov. 2024, n° 23-15.735 F-B, Dalloz actualité, 27 nov. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 2007 ), la thématique se prête assez peu aux questions prioritaires de constitutionnalité. Toutefois, le droit de propriété est intimement lié à cette branche du droit civil économique. Les plaideurs peuvent donc parfois, non sans intérêt, soulever de belles questions notamment autour de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

L’arrêt du 12 février 2025 que nous retrouvons aujourd’hui porte sur deux questions prioritaires de constitutionnalité concernant la réforme du droit des sûretés intervenue en 2021. Plus précisément, ce sont certaines dispositions transitoires de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 qui sont au centre de l’attention (v. J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés : saison 2, Dalloz actualité, 17 sept. 2021).

Nous allons examiner pourquoi la décision rendue mérite que l’on s’y attarde quelques instants.

Le cadre des questions prioritaires de constitutionnalité posées

La reprise des faits du litige ayant fait naître les deux questions n’est pas inutile pour comprendre l’enjeu du problème.

Une société souscrit le 18 janvier 2012 deux emprunts auprès d’un établissement bancaire. Deux cautions, personnes physiques, se portent, le même jour, garantes de cet engagement. Notons, dès à présent, que les cautionnements sont soumis, pour la quasi-totalité de leur régime, au droit antérieur à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Ce point sera, en effet, le nerf de la guerre lors de l’éclosion de l’instance en paiement une dizaine d’années plus tard.

Revenons-en aux faits. La société débitrice principale connaît des difficultés pécuniaires qui conduisent à son redressement puis à sa liquidation judiciaires. La banque créancière déclare sa créance à la procédure collective et met en demeure les cautions de payer les sommes dues. Une cession de créance intervient peu de temps après. La société cessionnaire notifie la cession aux cautions et leur adresse une nouvelle mise en demeure afin de régler la dette pour laquelle ils se sont portés garants.

Le 16 novembre 2022, la société créancière assigne les cautions en paiement. Devant le Tribunal judiciaire de Nîmes, les garants estiment que leurs engagements doivent être déclarés nuls eu égard aux formalités non respectées de l’article L. 341-2 du code de la consommation applicable à la cause pour un cautionnement antérieur au 1er janvier 2022.

La société créancière a saisi le juge de la mise en état afin de soulever deux questions prioritaires de constitutionnalité. Elle estime qu’il existe, en effet, une contrariété des dispositions transitoires de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 aux articles, 2, 6 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme. Sont intéressés, dans ce contexte, plusieurs droits fondamentaux à savoir l’égalité devant la loi et le droit de propriété des créanciers.

Le juge de la mise en état a considéré ces questions comme transmissibles à la Cour de cassation. En voici le libellé exact :

« 1°/ L’article L. 341-2 du code de la consommation, devenu les articles L. 331-1 et L. 343-1 du code de la consommation en application de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 eux-mêmes abrogés par l’article 32 de l’ordonnance du 15 septembre 2021, applicable aux actes de cautionnements consentis avant le 1er janvier 2022 – dont il résulte que toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit impérativement apposer sa signature après la mention manuscrite obligatoire, sous peine de nullité – méconnaît-il le droit constitutionnel de propriété des créanciers garantis par les articles 6 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ?

2°/ L’article 37 de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 en ce qu’il soumet à la loi ancienne à savoir l’article L. 341-2 du code de la consommation les actes de cautionnements et de sûretés réelles personnelles consentis avant le 1er janvier 2022 – méconnaît-il le principe d’égalité devant la loi ainsi que le droit de propriété des créanciers respectivement garantis par les articles 2, 6 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? »

Ne laissons pas durer le suspense très longtemps. Il était très peu probable que ces questions puissent aboutir à une transmission devant le Conseil Constitutionnel. C’est ce que nous allons examiner maintenant.

Les réponses apportées aux questions posées

La première question porte sur les conséquences de l’article L. 341-2 ancien du code de la consommation. Aux termes de cette disposition, le cautionnement conclu avec un créancier professionnel était nul si l’acte ne respectait pas le formalisme de la mention manuscrite prévue au sein de l’article laquelle devait être suivie de la signature de la caution, personne physique. On comprend de la formulation de la question prioritaire de constitutionnalité que c’est la signature qui posait précisément difficulté en l’espèce et notamment la place de celle-ci après ladite mention.

L’arrêt vient logiquement rappeler que l’article L. 341-2 ancien et son formalisme particulier ne vient pas créer une atteinte disproportionnée au droit du créancier au respect de ses biens dans la mesure où le texte poursuit un but tout à fait légitime. Celui-ci est lié à la protection de la caution qui connaît ainsi toute la portée et l’étendue de son engagement. La première chambre civile rappelle d’ailleurs que la nullité n’est pas encourue « lorsque ni le sens, ni la portée, ni, en conséquence, la validité de cette mention ne se trouve affectée par l’emplacement choisi pour apposer la signature de la caution » (pt n° 9).

Cette affirmation, peut-être un peu rapide, semble faire oublier toutes les difficultés qui ont pu naître sur la place de la signature dans le cadre de l’article L. 341-2 ancien (v. sur celles-ci, P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 124 s., n° 120). Cependant, le traitement de la pertinence de la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité n’est pas tout à fait le lieu de tels rappels, pourra-t-on objecter à raison.

L’arrêt du 12 février 2025 ne permet malheureusement pas de comprendre, en outre, où se situe exactement la difficulté concernant la place de la signature en l’espèce. Quoiqu’il en soit, la sanction de la nullité n’est pas un couperet automatique qui sanctionne tout défaut concernant l’emplacement de celle-ci. On retrouve, comme pour la mention manuscrite, un certain recul dans sa mise en mouvement par le juge (v. sur les difficultés propres de la mention manuscrite ces dernières années, Com. 29 nov. 2023, n° 22-17.913 F-B, Dalloz actualité, 7 déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 301 , note C. Kahn ; ibid. 1793, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RTD civ. 2024. 161, obs. C. Gijsbers ; sur des imperfections mineures, Com. 6 juill. 2022, n° 20-17.355 F-B, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1308 ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RTD civ. 2022. 676, obs. C. Gijsbers ; sur le sens et la portée de l’engagement, Com. 21 avr. 2022, n° 20-23.300 F-B, Dalloz actualité, 18 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 836 ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; sur la souplesse du droit nouveau, L. Bougerol et G. Mégret, Le guide du cautionnement 2022/2023, Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2022, p. 106, n° 13.141).

La seconde question ne donne pas lieu à davantage d’hésitations au sein de la décision étudiée. Il est tout à fait logique que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ne vienne pas assurer une parfaite égalité entre les créanciers bénéficiaires de cautionnements antérieurs au 1er janvier 2022 et ceux titulaires de cautionnements postérieurs à cette date. C’est ici le principe de non-rétroactivité de la loi qui est en cause comme le rappelle parfaitement l’arrêt examiné (pt n° 11). On rappellera toutefois, à ce titre, que les articles 2302 à 2304 du code civil, concernant l’obligation d’information, sont applicables depuis le 1er janvier 2022 et ce même aux cautionnements conclus antérieurement à cette date. Cependant, il ne s’agit que d’une exception au principe général retenu, probablement eu égard à l’urgence de simplification des textes dont l’économie générale survit dans la nouvelle mouture portée par l’ordonnance (v. sur ce point, L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, 17e éd., Lextenso, coll. « Droit civil », 2024, p. 200, n° 202).

En tant que principe « aussi rationnel qu’équitable » selon les professeurs François Terré et Nicolas Molfessis (F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, 16e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 809, n° 582), la non-rétroactivité de la loi est logiquement liée à la sécurité juridique et à la prévisibilité des solutions que le contrat de cautionnement doit pouvoir projeter dès sa conclusion entre les parties. C’est toute l’économie de la solution retenue pour ne pas transmettre cette question (pt n° 11, in fine). Une solution contraire aurait pu conduire à mettre en péril toute l’architecture du droit transitoire régissant l’ordonnance du 15 septembre 2021. L’orientation choisie reste heureuse en ce sens. 

Originale par sa thématique, la décision du 12 février 2025 reste peu surprenante sur sa solution. Le droit des sûretés, matière complexe et technique, cache parfois de belles discussions autour des droits fondamentaux ! La thématique de la mention manuscrite est, par ailleurs, au centre d’un arrêt rendu le même jour par la chambre commerciale de la Cour de cassation qui sera commenté prochainement dans ces colonnes (Com. 12 févr. 2025, n° 23-21.079, nos obs. à paraître au Dalloz actualité).

 

Civ. 1re, 12 févr. 2025, F-D, n° 24-40.029

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