Développement durable et règles de concurrence : les entreprises peuvent désormais interroger l’Autorité
L’Autorité de la concurrence a récemment publié son communiqué sur les orientations informelles qu’elle pourra donner aux entreprises qui s’interrogent sur la compatibilité de leurs projets poursuivant un objectif de développement durable avec les règles de concurrence.
Mieux accompagner les entreprises pour prévenir les atteintes aux règles de concurrence en pratiquant une politique de « porte ouverte ». C’est l’approche mise en œuvre par l’Autorité de la concurrence dans son communiqué, publié le 27 mai dernier, qui pose le cadre dans lequel elle propose de répondre de manière informelle aux entreprises, associations professionnelles et organisations non gouvernementales, qui souhaitent développer des projets poursuivant un objectif de développement durable mais s’interrogent sur la compatibilité de ces projets avec les règles de concurrence.
Un avis sur la compatibilité du projet avec les règles de concurrence
Dans son communiqué, l’Autorité rappelle que les entreprises peuvent conduire une auto-évaluation du risque concurrentiel attaché à leurs projets, et que c’est seulement dans le cas où cette démarche ne permettrait pas de répondre à leurs interrogations qu’elles peuvent faire une demande d’orientation informelle auprès du rapporteur général. Dans cette lettre, le rapporteur indiquera si le projet apparaît compatible ou incompatible avec les règles de concurrence, et pourra aussi expliquer sous quelles conditions ou ajustements le projet envisagé apparaîtrait compatible avec ces règles.
Le communiqué précise les conditions dans lesquelles il est possible de faire cette demande (qui doit soulever une question relevant du droit de la concurrence et présentant une certaine complexité), les informations qu’il faut transmettre et les modalités pratiques d’échange avec l’Autorité, les différentes étapes de traitement de la demande et les éléments sur lesquels le rapporteur général est susceptible de fonder son appréciation. Ce dernier dispose d’un mois pour faire savoir aux demandeurs s’il entend leur fournir une orientation informelle, qu’il devra leur adresser, le cas échéant, dans un délai de quatre mois au maximum.
Enfin, le communiqué précise quelle est la portée de cette lettre d’orientation informelle au regard de l’état de déploiement du projet, ainsi que dans l’éventualité d’une procédure contentieuse : « la lettre d’orientation du rapporteur général ne saurait, en application du principe de séparation des fonctions d’instruction et de décision qui s’impose à l’Autorité, lier le collège de l’Autorité. »
« La peur d’enfreindre les règles du droit de la concurrence ne doit pas être un frein »
« Depuis 2020, le développement durable est une des priorités stratégiques de l’Autorité », a expliqué Irène Luc, vice-présidente de l’Autorité de la concurrence (et ancienne présidente de la chambre 5.4 à la Cour d’appel de Paris), lors d’une journée d’échanges sur « les entreprises face à la transition environnementale » organisée par l’Ordre des avocats de Paris le 22 mai dernier. « La peur d’enfreindre les règles du droit de la concurrence ne doit pas être un frein pour les entreprises » qui veulent s’engager dans des projets de développement durable basés sur des accords de coopération. D’où la mise en œuvre de cette politique « porte ouverte ». Mais « les entreprises doivent d’abord se livrer à un exercice d’auto-évaluation de leurs accords pour savoir si elles sont dans les clous. Elles ont des outils et des directives pour le faire. Si elles ont des doutes, elles peuvent contacter l’Autorité si leur projet est à un stade suffisamment avancé sans être définitivement bouclé. »
Pas de demandes et d’échanges anonymes avec l’Autorité
Plusieurs sujets de préoccupation sont remontés lors de la consultation publique à laquelle a été soumis le projet de communiqué. À commencer par la crainte que le très grand nombre d’informations à fournir à l’Autorité (dont l’autoévaluation du projet) dans le cadre de cet échange informel puisse être utilisé par les services d’instruction dans une procédure ultérieure. D’où la demande formulée par les entreprises lors de la consultation publique de pouvoir solliciter et échanger avec l’Autorité de manière anonyme. « Nous n’avons pas fait droit à cette demande, nous ne voulons pas de demandes anonymes, à ce stade », a expliqué la vice-présidente de l’Autorité.
Les lettres seront publiées dans le respect du secret des affaires
Une autre préoccupation concerne le fait que les lettres d’orientation informelle seront publiées sur le site Internet de l’Autorité, sous réserve de l’accord express des demandeurs. Or, si les demandeurs s’y opposent régulièrement, par souci de préserver le secret des affaires, il sera difficile pour les demandeurs de savoir s’il s’agit d’une question nouvelle pour l’Autorité. « Les lettres d’orientation informelle seront publiées dans le respect du secret des affaires. Nous traiterons le secret des affaires comme nous le faisons pour les décisions », a rassuré la représentante de l’Autorité.
Faut-il s’attendre à ce que cette nouvelle possibilité déclenche une vague de demandes d’orientation informelle, au risque de submerger les services de l’Autorité ? « Si jamais il y a un afflux de demandes, nous demanderons des moyens supplémentaires, mais il n’y a pas de moyens prévus pour cela pour l’instant », a-t-elle répondu.
Aut. conc., communiqué de presse, 27 mai 2024
© Lefebvre Dalloz