Dévolution du droit moral aux « héritiers légaux » en l’absence de volonté contraire de l’auteur
La transmission testamentaire des droits patrimoniaux n’inclut pas la dévolution du droit moral de l’auteur aux successeurs désignés par testament. Les héritiers légaux sont donc titulaires post mortem du droit moral en l’absence de volonté contraire exprimée par l’auteur de son vivant.
La dévolution des droits moraux, l’extension du caractère anomal de la dévolution du droit de divulgation
En l’espèce, il s’agissait d’un musicien marié quatre fois et père de quatre enfants nés de ses trois premières unions. Sa quatrième et dernière épouse a eu deux enfants d’un précédent mariage et ensemble ils ont recueilli l’enfant de son beau-frère décédé.
Par testament l’auteur a légué à parts égales les sommes et les biens en sa possession lors de son décès à ses quatre enfants, aux enfants de sa dernière épouse et à l’enfant qu’ils ont recueilli ensemble.
Le litige opposait les héritiers réservataires de l’auteur aux successeurs testamentaires à propos de l’attribution des sommes perçues au titre du droit moral dont la valeur a été estimée à 3 082,22 € par expertise au jour du décès. Les héritiers réservataires soutenaient qu’en l’absence de volonté testamentaire contraire ils étaient attributaires du droit moral et que les droits d’auteur perçus à ce titre devaient être exclus de l’actif successoral ; les seconds que la transmission testamentaire des droits d’exploitation devait inclure les revenus associés à l’exercice du droit moral et leur partage à parts égales sans qu’il y ait lieu d’opérer une distinction entre les droits patrimoniaux et le droit moral.
La question était donc celle de savoir si la répartition testamentaire des sommes possédées par l’auteur à son décès incluait les revenus perçus au titre du droit moral. Précisons qu’en l’espèce par droit moral il faut comprendre droit de divulgation. En effet, le droit au respect et à l’intégrité de l’œuvre et le droit à la paternité sont certes également transmissibles mais non générateurs de redevances, leur objet étant la protection morale de l’auteur et de son œuvre dans l’hypothèse d’une dénaturation, d’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre ou du lien qui l’unit à elle.
De plus, le litige concernait non pas l’exercice conjoint des droits moraux par les héritiers réservataires et les successeurs testamentaires, mais l’attribution des sommes perçues par l’auteur avant son décès au titre de la divulgation de l’œuvre. La question était donc celle de l’attribution des sommes générées par l’exercice du droit de divulgation (il aurait été d’ailleurs plus explicite de le préciser, les termes « droits d’auteur des œuvres en qualité de droit moral » mentionnés dans le jugement du tribunaI de grande instance étant assez obscurs (TGI Digne-Les-Bains, 19 févr. 2020, n° 14/00714).
En première instance et en appel les juges ont rejeté les prétentions des héritiers non réservataires après avoir rappelé que le droit moral est par nature « personnel, imprescriptible et inaliénable » pour en conclure qu’en l’absence de volonté contraire du de cujus « le droit moral ne peut qu’être transmis à ses seuls héritiers légaux ». Les juges du fond ont donc fait une interprétation restrictive, voire réductrice, du testament qui, si elle n’est pas habituelle en droit commun, est plus classique en droit d’auteur. En droit civil, lorsqu’il s’agit d’une succession non artistique l’interprétation restrictive du testament est proscrite, de même que l’interprétation dénaturante (Civ. 1re, 13 janv. 2021, n° 19-16.392). Le principe est donc celui du respect de la volonté du testateur dans une perspective, privilégiée, d’efficacité du testament.
Or, en l’espèce les juges du fond refusent d’intégrer dans la masse successorale le droit moral alors que le testament mentionne le partage à parts égales des « biens et sommes » disponibles au décès de l’auteur.
Dans une première approche l’explication semble fondée sur les spécificités des règles applicables aux successions artistiques. D’une part, ces règles sont complexes, pour partie civilistes, pour partie spéciales. D’autre part, les enjeux de la succession artistique ne sont pas seulement patrimoniaux. Les héritiers sont d’abord investis d’une mission de protection de l’auteur et du lien indissoluble qui l’unit à son œuvre, dans le respect de sa volonté réelle ou présumée.
La conséquence en est que les droits patrimoniaux, le droit à la paternité et le droit au respect et à l’intégrité de l’œuvre sont dévolus selon les règles civilistes, tandis que le droit de divulgation, prérogative considérée comme la plus personnelle et la plus intime, est dévolu selon des règles spéciales qui privilégient la volonté de l’auteur et la désignation d’une personne de confiance (CPI, art. L. 121-2, « Après sa mort, le droit de divulgation de ses œuvres posthumes est exercé leur vie durant par le ou les exécuteurs testamentaires désignés par l’auteur. À leur défaut, ou après leur décès, et sauf volonté contraire de l’auteur, ce droit est exercé dans l’ordre suivant : par les descendants, par le conjoint contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n’a pas contracté un nouveau mariage, par les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession et par les légataires universels ou donataires de l’universalité des biens à venir »).
En l’absence d’une volonté testamentaire relative à la dévolution du droit de divulgation, les juges ont retenu une application stricte du testament limitée à la répartition des droits patrimoniaux d’exploitation entre les héritiers réservataires et les successeurs testamentaires. Les héritiers réservataires sont donc désignés comme seuls héritiers du droit moral et en cette qualité attributaires des redevances issues du droit de divulgation.
Cette lecture du testament par la cour d’appel pourrait sembler conforme à l’article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle et aux règles de dévolution anomale du droit de divulgation qui placent au deuxième rang les « descendants » après l’exécuteur testamentaire. Toutefois, la cour d’appel occulte la distinction entre la titularité post mortem du droit de divulgation et l’attribution des sommes perçues par l’auteur avant son décès au titre de ce droit, la seconde hypothèse n’impliquant pas nécessairement la première. On a donc le sentiment d’une confusion entre la dévolution du droit de divulgation et les redevances perçues dans le cadre de son exercice et arrêtées au jour du décès, confortée par l’imprécision et la mutabilité des termes mentionnés dans le jugement puis l’arrêt de la cour d’appel. La somme litigieuse est tour à tour qualifiée de « droits d’auteur des œuvres en qualité de droit moral », puis de « droits de propriété littéraire et artistique », puis de « droits d’auteur », puis finalement désignée comme « droit moral » par la cour d’appel qui conclut sur la question en rappelant que « le testament ne concerne que le droit moral de l’artiste-auteur qui doit être transmis à ses héritiers légaux ».
L’absence de distinction entre la titularité du droit de divulgation et la perception des redevances associées
L’application d’une dévolution disjonctive des droits d’auteur met en exergue le caractère doublement anomal de la dévolution du droit de divulgation à la fois spirituelle, parce que la succession artistique est tournée en premier lieu vers l’auteur et la protection de son œuvre, et juridique par l’application de règles spéciales.
Spirituelle en ce que la confiance de l’auteur placée en l’exécuteur testamentaire, premier des successibles au droit de divulgation, est privilégiée. L’exécuteur testamentaire dépositaire de cette confiance se trouve ainsi investi de la mission de protection des œuvres anthumes et posthumes en devenant le « gardien naturel de la mémoire de l’auteur » (Paris, 9 juin 1964, JCP 1965. II. 14172, note A. Françon)
Ce n’est qu’à défaut d’exécuteur testamentaire que les descendants de l’auteur sont attributaires de ce droit. Cette finalité spécifique de même que le contrôle judiciaire de son exercice post mortem sur le fondement de l’abus de droit, permettent d’en déduire un changement de nature de ce droit (CPI, art. L. 121-3, « En cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé visés à l’article L. 121-2, le tribunal judiciaire peut ordonner toute mesure appropriée (…) ». Discrétionnaire du vivant de l’auteur, le droit de divulgation devient un droit-fonction à son décès et l’instrument du devoir de fidélité à l’égard des intentions de l’auteur (H. Desbois, Le droit d’auteur en France, 3e éd., Dalloz, 1978, n° 466, p. 569).
Par « descendants » il faut comprendre les héritiers qui entretiennent un lien de parenté avec l’auteur, donc les enfants nés de ces trois premières unions et présumés légalement les plus dignes de confiance, soit en l’espèce les « héritiers légaux ».
C’est sans doute ce paradigme du droit de divulgation qui a conduit les juges du fond à exclure de la masse successorale les sommes perçues par l’auteur de son vivant au titre du droit de divulgation. Par une extension de l’article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle aux revenus associés au droit de divulgation, la cour d’appel en déduit que seuls les héritiers réservataires en sont attributaires comme ils sont les seuls titulaires post mortem de ce droit.
Pourtant la dévolution anomale a pour objet le droit de divulgation, soit le pouvoir d’autoriser la communication de l’œuvre au public et d’en définir les modalités, pas les redevances associées dont l’attribution n’emprunte pas nécessairement le même chemin. Concrètement le titulaire du droit d’autoriser n’est pas toujours le destinataire des redevances associées. L’auteur peut ainsi investir de sa confiance une personne en lui attribuant son droit de divulgation tout en gratifiant une ou plusieurs autre(s) personne(s) des redevances associées. Or, en l’espèce le sort des redevances litigieuses a été tranché de la même façon que l’attribution du droit moral sur le fondement de l’article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle mais par une interprétation extensive discutable. De plus, l’auteur n’a pas exprimé de volonté testamentaire quant au sort des sommes perçues au titre de ses droits d’auteur en distinguant celles qui seraient issues des droits d’exploitation ou du droit moral.
Par ailleurs, la théorie de l’épuisement du droit de divulgation, non consensuelle en doctrine (P. Gaudrat, Épuisement du droit de divulgation doublement disqualifié…, RTD com. 2024. 323
), mais appliquée par la jurisprudence (Paris, pôle 5 - ch. 2, 18 juin 2021, n° 19/14268, Légipresse 2021. 395 et les obs.
; LEPI oct. 2021, n° 200h5, p. 2, obs. S. Carre « (si) le droit de divulgation s’épuise par la première communication au public, le droit à la paternité exige la mention du nom des auteurs lorsqu’elle est possible et l’utilisation de l’œuvre pour promouvoir une émission, sans lien avec elle et sans autorisation, porte atteinte à leur droit moral dès lors que l’exploitation publicitaire n’est pas sa finalité artistique (…) »), tend à conforter l’attribution des redevances perçues au titre du droit de divulgation aux héritiers et aux successeurs testamentaires. Selon cette théorie le droit de divulgation s’épuise par la première communication de l’œuvre au public. Par suite, toute reproduction ou représentation de l’œuvre ne s’inscrit plus dans le périmètre de ce droit mais relève de l’exercice des droits patrimoniaux. Partant de ce principe, les héritiers non légaux ne pouvaient donc invoquer la titularité du droit de divulgation sur les œuvres anthumes qui ont généré la somme contestée en raison de son épuisement mais pouvaient percevoir les redevances associées en l’absence de cette qualité.
Dans la même logique de dissociation entre la titularité du droit et l’attribution des redevances, répartir équitablement les redevances au titre des droits d’auteur entre tous les enfants de l’auteur ou qu’il considérait comme tels, n’exposait pas sa succession au risque d’une indivision élargie, donc potentiellement plus complexe à gérer. S’agissant de la dévolution du droit de divulgation sur les œuvres posthumes seuls les héritiers réservataires en sont attributaires par application de l’article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle et sur ce point-là décision de la cour d’appel ne peut qu’être approuvée.
Aix-en-Provence, 18 sept. 2024, n° 24/02277
© Lefebvre Dalloz