Didier Migaud avance prudemment en terrain miné
Mardi soir, le nouveau garde des Sceaux Didier Migaud était auditionné par la commission des Lois de l’Assemblée nationale. L’occasion pour lui de lister – prudemment – ses priorités, d’évoquer le budget et les réformes à venir et aussi de montrer sa vision de la justice.
La première audition à l’Assemblée d’un nouveau ministre est un rite de passage, l’occasion d’impulser ses priorités et de montrer son style. Il y a quatre ans, l’audition d’Éric Dupond-Moretti présentait un ministre parfois contraint par sa nouvelle fonction. L’enjeu pour Didier Migaud était inverse. Il connaît bien l’Assemblée. Mais s’il y a siégé comme député socialiste pendant vingt-et-un ans, il l’a quitté en 2010 pour présider la Cour des comptes puis la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Or, la vie politique ressemble à la vie des chats : quatorze années équivalent un siècle et tout a changé depuis 2010. Signe des temps, la seule députée de la commission que Migaud a pu connaître est Brigitte Barèges, députée UMP battue en 2012 et qui vient de le redevenir en étant soutenue par le RN. Jamais les clivages n’ont été aussi forts. Or, Didier Migaud a peu de soutiens. Perçu comme trop à gauche par le RN et le LR, il n’est connu ni par les macronistes, ni par la gauche. Malgré plus de vingt ans en politique, il est vu comme un technocrate, qui, à la tête de la Cour des comptes a souvent eu un discours de gestionnaire.
En propos liminaires, Didier Migaud veut, comme « ancien magistrat financier », indiquer le « regard personnel » qu’il porte sur sa fonction : « Mon rôle est de mieux faire connaître et comprendre la justice. Elle mérite notre reconnaissance pour tout ce qu’elle apporte au pays, d’être davantage respectée et aimée ».
Il se lance dans un exposé sur le rôle des justices judiciaires et administratives. À l’inverse du discours du ministre de l’Intérieur, il martèle que la justice n’est pas laxiste : « J’entends dire parfois que je suis candide ou naïf. Je ne suis ni l’un ni l’autre. Je suis conscient que si les indicateurs montrent qu’il y a une réponse pénale forte, un écart existe avec la perception qu’en ont les Français. […] Il n’y a ni laxisme judiciaire, ni laxisme policier. Il y a un engorgement qui aboutit à une réponse pénale trop lente ». Pour lui, « notre problème n’est pas un manque de sévérité mais notre capacité à traiter cette masse sans précédent de poursuites, tout à fait justifiées. », insistant sur le fait que l’on paye « trente années de sous investissement ».
« Il nous faut des moyens juridiques, financiers et humains »
Pour le garde des Sceaux, « il nous faut des moyens juridiques, financiers et humains ». Sur les moyens financiers, le bilan d’Éric Dupond-Moretti avait été très bon. Profitant d’une période de laxisme budgétaire, il avait obtenu des budgets intéressants poursuivie par une loi de programmation.
Or, après des premières coupes cet hiver, les lettres plafonds du budget 2025 indiquent que la justice perdrait 487 millions d’euros. Pour Didier Migaud, « le budget qui vous sera présenté ne sera pas satisfaisant pour nous. Le Premier ministre s’est engagé à des réajustements. Nous sommes mobilisés pour obtenir les réajustements les plus hauts possibles ».
Sur les moyens juridiques, Didier Migaud reste prudent, faisant un contraste avec l’audition, devant la même assemblée, du tranchant ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui n’hésite pas à avancer des propositions très idéologiques et à sortir de son périmètre ministériel. Didier Migaud, lui, a esquivé certains débats brûlants, sur les données de connexion ou le mécanisme de régulation carcérale. Il s’en est tenu aux annonces faites par Michel Barnier dans sa déclaration de politique générale.
Ainsi, sur la justice des mineurs, la comparution immédiate des mineurs se ferait pour des enfants âgés de seize ans, « déjà connus de la justice, poursuivis pour des faits graves d’atteinte aux personnes ». Sur la réforme de l’excuse de minorité, le ministre prévoit « la possibilité d’écarter au cas par cas cette excuse ». Mais, « ceci doit se faire dans le respect scrupuleux de nos principes constitutionnels ».
Sur la réforme des peines, « une réponse pénale plus rapide passe par des alternatives au jugement, des amendes administratives et l’amende forfaitaire délictuelle mais il faut veiller au recouvrement ». L’idée de peines de prison courtes, avec mandat de dépôt, avance également. Toutefois, il faudra « diversifier les solutions d’enfermement », avec de nouveaux établissements pour les courtes peines. Il reste très prudent sur les peines plancher, poussées par plusieurs groupes de sa coalition : « elles n’ont pas montré leur efficacité ».
Sur la criminalité organisée, Bruno Retailleau le ministre de l’Intérieur avait insisté sur l’urgence d’une loi. Si le gouvernement Attal avait préparé un texte, une proposition de loi transpartisane a été déposée au Sénat. Cette dernière va plus loin, avec notamment l’idée d’un « dossier coffre », qui suscite l’hostilité des avocats. Le gouvernement n’a pas arrêté sa position. « Nous sommes en train d’examiner les différentes propositions avec le ministère de l’Intérieur ».
Le garde des Sceaux soutien l’idée d’intégrer la notion de consentement dans la définition du viol. Mais ici encore, il faudra être prudent. Tout comme pour la définition des infractions en matière de violences intrafamiliales. Une porte ouverte vers le contrôle coercitif.
L’ancien président de la HATVP a insisté sur la nécessité de présenter le Plan national de lutte contre la corruption qui a deux ans de retard. Il y a également « matière à réflexion sur le contour du délit de prise illégale d’intérêts », dont les élus demandent la réforme.
Le ministre s’est peu exprimé sur la justice civile, même s’il a mis en avant le mouvement de codification : droit des entreprises en difficulté, droit des sociétés, mesures alternatives dans le code de procédure civile et peut-être même un code de droit international privé. « La codification est un savoir faire français que le monde entier nous envie ».
Lefebvre Dalloz