Diffamation : la CEDH valide les règles françaises relatives à la prescription
L’arrêt Diémert du 30 mars 2023 porte sur un sujet des plus épineux : l’acquisition de la prescription dans le cadre d’une action en diffamation. La Cour européenne des droits de l’homme constate l’absence de violation de la Convention. Son raisonnement paraît ambivalent. En effet, il conduit à investir la partie civile d’un rôle très actif y compris en présence d’un dysfonctionnement du service public de la justice.
Ancien Président du Haut-Conseil de la Polynésie française, le requérant avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme après le rejet, par les juridictions nationales, de son action pénale en diffamation à l’encontre d’un ancien membre de l’Assemblée de la Polynésie pour des propos tenus en séance. Après avoir prononcé la relaxe, en première instance, les juridictions nationales ont rejeté l’appel, puis le pourvoi en cassation, du requérant, estimant que la prescription avait été acquise.
Plus précisément, les juges ont constaté que la première audience d’appel fixée le 9 octobre 2014 avait renvoyé, contradictoirement, l’affaire à une date ultérieure, le 12 février 2015. Plus de trois mois s’étend écoulés entre les deux dates, la prescription était acquise conformément à l’article 65, alinéa 1er, de la loi de 1881. Les juges internes reprochaient au requérant de ne pas avoir agi à temps. En effet, il est de jurisprudence constante que, en matière d’action en diffamation, la partie civile doit surveiller la procédure et, le cas échéant, faire citer elle-même la personne poursuivie pour éviter que la prescription ne soit acquise.
Placé face à cette obligation procédurale spécifique, le requérant alléguait une violation de son droit d’accès à un tribunal par l’application de règles jugées formellement excessives. La juridiction européenne était saisie pour la première fois de la compatibilité de ces règles avec les exigences de l’article 6 de la Convention.
Proportionnalité de la mesure
C’est sur le terrain de la proportionnalité que les juges européens se sont placés pour étudier l’allégation de violation qui leur était soumise. En effet, la jurisprudence européenne reconnaît depuis longtemps que le droit d’accès à un tribunal n’est pas un droit absolu et que, dans ce cadre, les règles relatives à la prescription peuvent tout à fait restreindre, de manière légitime, ce droit. Par ailleurs, la Cour avait déjà déterminé que l’existence de délais de prescription vise à garantir la sécurité juridique, principe essentiel dans une démocratie. Dans cette nouvelle affaire, les juges européens ajoutent qu’en matière d’action en diffamation, l’existence d’une prescription (courte) vise également à protéger la liberté d’expression.
Ainsi, c’est bien la proportionnalité de la mesure qui conduit à une analyse précise des faits dénoncés. Plus précisément, « la Cour estime qu’il lui revient de déterminer si la combinaison des règles procédurales en cause a fait peser sur le requérant une charge excessive ».
L’appréciation faite par les juges européens est, comme souvent, casuistique. Elle comporte néanmoins des lignes de force plus générales qui permettront de transposer l’analyse à l’avenir.
En premier lieu, la Cour examine les responsabilités dans l’acquisition de la prescription. En l’espèce, elle considère que les torts sont partagés. D’une part, elle relève que le droit français impose aux juridictions internes « de fixer la date de renvoi en déterminant l’audience à laquelle l’affaire pourra utilement être examinée » (§17). Or en fixant la date de renvoi au-delà de l’échéance du délai de prescription, la Cour d’appel « ne pouvait ignorer qu’une telle décision entraînerait la prescription ». La juridiction européenne estime ainsi que la date fixée n’était pas « utile ». La Cour indique clairement qu’il s’agit là d’un « dysfonctionnement du service public de la justice ».
D’autre part, la Cour relève que le droit interne – par la jurisprudence de la Cour de cassation – impose à la partie civile de s’assurer, de manière active, que l’action menée ne se prescrive pas en cours de procédure. Dans la mesure où la décision de renvoi a été prononcé contradictoirement, le requérant avait les éléments pour faire citer son adversaire et interrompre ainsi la prescription.
En second lieu, la Cour liste les éléments qu’elle prend en considération, lorsque la responsabilité est partagée, pour déterminer si la charge supportée par le requérant était excessive : « i) si le requérant était assisté d’un avocat et s’il a agi avec la diligence requise, ii) si les erreurs commises auraient pu être évitées dès le début, iii) et si les erreurs sont principalement ou objectivement imputables au requérant ou aux autorités compétentes ».
Non-violation de la Convention
En l’espèce, le requérant était bien assisté d’un avocat et il est lui-même un professionnel du droit. « Il ne pouvait ignorer l’étendue de ses obligations procédurales ». Il s’est cependant abstenu de formuler des observations lors de la demande de renvoi de son contradicteur et n’a pas fait citer son adversaire alors même qu’il était informé de la nouvelle date d’audience.
Ces éléments conduisent les juges européens à conclure à la non-violation de la Convention. La démonstration interpelle cependant car elle conduit à faire reposer sur la partie civile la charge de compenser un dysfonctionnement, pourtant reconnu, du service public de la justice.
© Lefebvre Dalloz