Diffamation sur internet : la modification du nom du titulaire du site ne constitue pas une nouvelle publication
Lorsque des poursuites pour diffamation publique sont engagées à raison de la diffusion d’un message figurant sur un site internet, le délai de prescription de l’action publique et de l’action civile court à compter de la première mise à disposition du message aux utilisateurs et la modification ultérieure du seul nom du titulaire du site ne constitue pas un nouvel acte de publication.
Après la publication, les 9 août et 16 décembre 2021, de vidéos diffamatoires sur une page Facebook, la victime fit citer à comparaître l’auteur du post pour diffamation publique envers un particulier. Par jugement du 11 avril 2023, le tribunal correctionnel constata la prescription de l’action publique, la citation directe datant du 7 avril 2022, et il renvoya le prévenu des fins de la poursuite sans prononcer sur l’action civile. Saisie par la partie civile, la cour d’appel (Reims, 29 nov. 2023) la débouta à son tour de ses demandes au motif que la décision de relaxe du prévenu était devenue définitive.
Dans son pourvoi, la partie civile invoquait une violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et 593 du code de procédure pénale, la cour d’appel ayant refusé d’examiner la régularité de la procédure et notamment la prescription des faits. Par son arrêt, la chambre criminelle écarte ce moyen et rejette le pourvoi. Si les juges du second degré, qui étaient tenus de vérifier que les faits poursuivis n’étaient pas prescrits, ont mal justifié leur décision, il n’en demeure pas moins que la seule modification du nom du titulaire de la page Facebook, intervenue le 3 mars 2002, n’a pas fait courir un nouveau délai de sorte que la prescription trimestrielle était acquise à la date de la citation.
L’office du juge d’appel saisi par la seule partie civile d’un jugement de relaxe
Dans un premier temps, la Cour de cassation rappelle l’effet dévolutif attaché à l’appel interjeté par la partie civile contre un jugement de relaxe. Ainsi, celui-ci « a pour effet de déférer à la juridiction du second degré l’action en réparation des conséquences dommageables qui peuvent résulter de la faute du prévenu définitivement relaxé, cette faute devant être démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite » (§ 8).
Les pouvoirs de la chambre des appels correctionnels varient selon la qualité de l’appelant (v. not., J. Buisson et S. Guinchard, Procédure pénale, 15e éd., 2022, LexisNexis, n° 2640, p. 1497). Quand la partie civile est seule appelante, l’action publique n’étant plus en cause, la cour d’appel ne peut prononcer aucune peine contre le bénéficiaire de la relaxe ; en revanche, celle-ci doit bien apprécier et qualifier les faits pour condamner le prévenu relaxé à des dommages et intérêts, si une faute civile à l’origine du préjudice invoqué est démontrée, à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.
En l’espèce, la demande de réparation étant fondée sur une infraction déclarée prescrite par les premiers juges, il incombait bien à la cour d’appel de vérifier si les faits n’étaient pas atteints, en tout ou partie, par la prescription de l’action publique.
Pour autant, l’arrêt d’appel échappe à la censure dès lors que la chambre criminelle est en mesure de constater que l’action publique était bien prescrite au jour de la citation.
L’absence de nouvelle publication en cas de modification du nom du titulaire du site
Dans un second temps, la chambre criminelle rappelle les règles de computation du délai de prescription des infractions de presse commises sur internet. Ainsi, « lorsque des poursuites pour diffamation publique sont engagées à raison de la diffusion, sur le réseau internet, d’un message figurant sur un site, le point de départ du délai de prescription de l’action publique et de l’action civile prévu par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit être fixé à la date du premier acte de publication, qui est celle à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs ».
La diffamation publique est une infraction instantanée qui se consomme par la publication du message attentatoire à l’honneur ou à la considération d’une personne identifiée ou identifiable. L’utilisation d’un service de communication au public en ligne ne change pas la nature de l’infraction de sorte que, quel que soit le support utilisé, c’est bien la première mise à disposition du public du propos qui est prise en compte en tant que point de départ du délai de prescription de trois mois qui s’applique tant à l’action publique qu’à l’action civile nées des infractions de presse, dans les termes de l’article 65 précité.
Ici la partie civile faisait valoir, pour dire que l’action publique n’était pas prescrite au jour de sa citation, que la page Facebook sur laquelle avait été postée la vidéo litigieuse avait changé de titulaire le 3 mars 2022, ce qui avait constitué un nouvel acte de publication faisant courir un nouvel délai. Mais, sans surprise, la Cour de cassation rejette cet argument, retenant que « la modification du seul nom du titulaire de ladite page […] ne constitua[i]t pas une nouvelle mise en ligne des propos qui [aurait fait] courir un nouveau délai ».
La question de la prescription des infractions de presse commises sur internet est un serpent de mer. À la fin des années 1990, des juges du fond ont qualifié ces infractions de continues, voire de successives, pour prendre en compte la durée de la mise en ligne et faire partir le délai au jour du retrait des messages litigieux. Mais la chambre criminelle, en 2001, a clairement affirmé que c’était le premier acte de publication qui comptait, donc la première mise à disposition du message aux internautes (Crim. 16 oct. 2001, n° 00-85.728, D. 2002. 2770, et les obs.
, obs. C. Bigot
; 27 nov. 2001, n° 01-80.134, D. 2002. 2770, et les obs.
, obs. C. Bigot
; RSC 2002. 621, obs. J. Francillon
). Et le Conseil constitutionnel, dans sa décision relative à la loi pour la confiance dans l’économie numérique (Cons. const. 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, AJDA 2004. 1534
, note J. Arrighi de Casanova
; ibid. 1937
; ibid. 1385, tribune P. Cassia
; ibid. 1497, tribune M. Verpeaux
; ibid. 1537, note M. Gautier et F. Melleray
, note D. Chamussy
; ibid. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert
; D. 2005. 199
, note S. Mouton
; ibid. 2004. 1739, chron. B. Mathieu
; ibid. 3089, chron. D. Bailleul
; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino
; RFDA 2004. 651, note B. Genevois
; ibid. 2005. 465, étude P. Cassia
; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de Munagorri
; RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar
; ibid. 2005. 597, étude E. Sales
), a tout aussi clairement énoncé que consacrer le caractère continu des infractions de presse commises sur internet dépasserait ce qui serait nécessaire pour prendre en compte la situation particulière de messages exclusivement disponibles sur un support numérique.
Reste qu’il peut être possible, le cas échéant, de caractériser un nouvel acte de publication. Mais pour cela, il faudra prouver une véritable réédition ou reproduction d’un message déjà publié pour qu’il y ait une nouvelle infraction faisant courir un nouveau délai (Crim. 7 févr. 2017, n° 15-83.439, Dalloz actualité, 1er mars 2017, obs. S. Lavric ; D. 2017. 409
; ibid. 2018. 208, obs. E. Dreyer
; AJ pénal 2017. 234, obs. N. Verly
; Dalloz IP/IT 2017. 233, obs. E. Derieux
; Légipresse 2017. 125 et les obs.
; ibid. 200, Étude B. Ader
, pour la réactivation volontaire d’un site après l’avoir désactivé ; 10 avr. 2018, n° 17-82.814, Dalloz actualité, 2 mai 2018, obs. S. Lavric ; D. 2018. 1295
, note A. Serinet
; ibid. 2019. 216, obs. E. Dreyer
; Dalloz IP/IT 2018. 563, obs. J. Daleau
; Légipresse 2018. 254 et les obs.
; ibid. 332, comm. G. Beaussonie
, pour la réactivation après retrait d’un contenu illicite ; 2 nov. 2016, n° 15-87.163, Dalloz actualité, 17 nov. 2016, obs. S. Lavric ; D. 2017. 203
, note A. Serinet
; ibid. 181, obs. E. Dreyer
; AJ pénal 2017. 39, obs. J.-B. Thierry
; Dalloz IP/IT 2017. 61, obs. E. Derieux
; Légipresse 2017. 69 et les obs.
; ibid. 200, Étude B. Ader
; RSC 2017. 85, obs. A. Giudicelli
, pour l’insertion, dans un contexte éditorial nouveau, d’un lien hypertexte pointant vers un contenu déjà publié ; 1er sept. 2020, n° 19-84.505, Dalloz actualité, 5 oct. 2020, obs. S. Lavric ; D. 2020. 1680
; ibid. 2021. 197, obs. E. Dreyer
; AJ pénal 2020. 470, obs. J.-B. Thierry
; Dalloz IP/IT 2020. 701, obs. E. Derieux
; Légipresse 2020. 467 et les obs.
; ibid. 544, étude V. Tesnière
; ibid. 2021. 177, étude N. Verly
; ibid. 177, étude N. Verly
; ibid. 291, étude N. Mallet-Poujol
; RSC 2021. 111, obs. E. Dreyer
; Gaz. Pal. 9 févr. 2021, p. 27, n° 6, obs. F. Fourment et P. Piot ; sur cette question, v. E. Raschel, Quelques remarques sur la prescription de l’action publique des infractions de presse, AJ pénal 2021. 513
).
Crim. 11 juin 2024, F-B, n° 23-86.920
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