Dispense d’obligation de déclaration de cessation des paiements pendant le cours de la conciliation

Le débiteur est dispensé de déclarer sa cessation des paiements née pendant le cours de la procédure de conciliation, tant que dure cette procédure ; il doit en revanche y procéder sans délai à son expiration.

On sait que la cessation des paiements remplit plusieurs fonctions. Outre son rôle dans les conditions d’ouverture des procédures du livre VI du code de commerce, elle est également régulièrement scrutée pour savoir si le chef d’entreprise a commis ou non une faute en ne s’adressant pas rapidement aux tribunaux pour leur demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Le débiteur a en effet l’obligation de demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire dans les quarante-cinq jours de la cessation des paiements si, dans ce délai, il n’a pas demandé le bénéfice d’une procédure de conciliation (C. com., art. L. 631-4). Le non-respect de cette obligation est potentiellement sanctionné par une sanction d’interdiction de gérer, si l’omission a été faite sciemment (C. com., art. L. 653-8, al. 3) et par une condamnation au comblement de l’insuffisance d’actif, pour le dirigeant de la personne morale liquidée, si elle s’analyse en une faute de gestion dépassant la simple négligence (C. com., art. L. 651-2, al. 1er ; comp., pour l’entrepreneur individuel, C. com., art. L. 651-2, al. 2).

L’espèce soumise à la Cour de cassation est d’abord l’occasion de rappeler ces principes dans un contexte assez proche. En l’occurrence, le dirigeant d’une société avait sollicité et obtenu le bénéfice d’une procédure de conciliation, laquelle fut ouverte le 7 septembre 2015. Ce même dirigeant déposa, le 3 février 2017, sa déclaration de cessation de paiement. Une procédure de redressement judiciaire fut ouverte le 16 mars 2017, rapidement convertie en liquidation judiciaire. Le liquidateur désigné forma alors une action en comblement de l’insuffisance d’actif contre ce dirigeant. Une cour d’appel lui fit droit, retenant plusieurs fautes de gestion. La cour se fonda notamment sur le retard du dirigeant à déclarer la cessation des paiements de sa société, qu’elle considéra comme fautif. Pour ce faire, elle observa que la cessation des paiements était fixée le 16 septembre 2015 (soit 9 jours après l’ouverture de la conciliation) et retint que « la mise en place d’une procédure de conciliation quelques jours avant la cessation des paiements n’exonère pas le dirigeant des responsabilités qui sont les siennes ».

Sur pourvoi du dirigeant condamné, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en indiquant, au visa des articles L. 611-4 et L. 631-4 du code de commerce, que « lorsque le délai de quarante-cinq jours prévu par le second (de ces articles) expire au cours de la procédure conciliation, le débiteur est dispensé d’exécuter son obligation de demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire. À l’expiration de la procédure de conciliation, le débiteur est en revanche tenu d’exécuter cette obligation sans délai ». Considérant l’une des fautes retenues par la cour d’appel non caractérisée, elle retient ainsi le caractère disproportionné de la condamnation prononcée contre le dirigeant, selon un raisonnement désormais bien connu. Ainsi, à la question posée de savoir si le dirigeant est tenu de déclarer la cessation des paiements dans les quarante-cinq jours de celle-ci, lorsqu’elle survient pendant le cours de la conciliation, la Cour de cassation répond par la négative, tout en précisant que cette obligation renaît aussitôt une fois la procédure terminée.

L’absence d’obligation de déclarer une cessation de paiements intervenue au cours d’une conciliation

La logique du raisonnement de la Cour de cassation nous semble à vrai dire imparable. L’article L. 611-4 du code de commerce traduit une innovation majeure de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Avec cette réforme, le législateur a entendu permettre au débiteur d’utiliser la procédure de règlement amiable de ses difficultés, rénovée et renommée conciliation, alors même qu’il est en cessation des paiements, pourvu que ce soit depuis très peu de temps. La loi a entendu rompre avec la logique ancienne, qui voulait que ces procédures ne soient possibles qu’en l’absence de cessation des paiements, tandis que s’appliquaient les procédures judiciaires et collectives, en cas de cessation des paiements avérée, même récente.

Second texte visé par la Cour de cassation, l’article L. 631-4 du code de commerce tient compte de cette possibilité. L’obligation de déclarer sa cessation des paiements, passé le délai de quarante-cinq jours, n’existe qu’autant que le débiteur n’a pas, dans ce même délai, sollicité le bénéfice d’une procédure de conciliation. La règle est d’ailleurs rappelée par l’article L. 653-8, alinéa 3, du code de commerce, pour ce qui est de la sanction d’interdiction de gérer. Autrement dit, celui qui a demandé le bénéfice d’une procédure de conciliation, alors qu’il était en cessation des paiements depuis moins de quarante-cinq jours, n’encourt aucun reproche. Et, dans l’esprit du législateur, il faut évidemment laisser à la procédure de conciliation le temps de se dérouler pour lui permettre d’atteindre son but, à savoir dégager un accord amiable mettant fin aux difficultés de l’entreprise.

Ces solutions s’imposent a fortiori lorsque le débiteur a sollicité une procédure de conciliation alors qu’il n’est pas en cessation des paiements, et que celle-ci ne survient que pendant le cours de la procédure ainsi ouverte. Tel était le cas dans la présente espèce et la cassation était dès lors inéluctable.

Certes, certains éléments de motivation de l’arrêt d’appel étaient à l’abri de la critique. Ainsi, il est vrai que, de façon générale, « la mise en place d’une procédure de conciliation n‘exonère pas le dirigeant des responsabilités qui sont les siennes ». Ainsi encore, il est exact que le débiteur profitant d’une procédure de conciliation « conserve toutes ses attributions et sa totale indépendance quant à la gestion de sa société ». De même encore, on peut suivre la cour d’appel lorsqu’elle énonce que le dirigeant, à raison de la procédure de conciliation, « avait conscience de la très grande vulnérabilité de son entreprise ». Mais on ne peut évidemment pas l’approuver lorsqu’elle déduit de ses éléments que « le retard du dirigeant dans le dépôt de bilan lui est d’autant plus reprochable ».

Pareille conclusion méconnaît la variété des outils mis à la disposition du débiteur par le législateur, pour traiter une même situation de difficultés. En présence d’une cessation des paiements de moins de quarante-cinq jours, la loi permet au débiteur de demander le bénéfice d’une procédure de redressement judiciaire ou celui d’une procédure de conciliation. En présence de difficultés insurmontables sans qu’il y ait pour autant cessation des paiements, comme dans la présente espèce, le débiteur peut solliciter tant une procédure de sauvegarde qu’une procédure de conciliation, pour traiter au mieux ses difficultés. Le débiteur peut ainsi solliciter la procédure qui lui semble la plus conforme à ses intérêts. Ce sera une conciliation s’il entend privilégier la confidentialité ; une procédure collective, s’il souhaite avant tout imposer à ses créanciers une discipline collective. Lorsque le débiteur sollicite et obtient le bénéfice d’une procédure de conciliation, il faut attendre son issue, avant de lui reprocher un éventuel retard dans sa déclaration de cessation des paiements.

Un autre élément doit également être tenu pour indifférent. Il importe peu, selon la Cour de cassation que cette cessation des paiements, survenue au cours de la conciliation, provienne pour l’essentiel de dettes nées pendant le cours de cette procédure. Peu importe, donc, que la survenance de la cessation des paiements pendant la conciliation s’explique par des dettes nées avant l’ouverture de la conciliation, mais arrivées à échéance pendant cette procédure, ou qu’elle provienne de dettes nées et arrivées à échéance au cours de cette même procédure.

La précision est importante et l’on se gardera de distinguer entre le débiteur vertueux anticipant les difficultés – celui pour qui la cessation des paiements naîtrait à raison de dettes antérieures à l’ouverture de la procédure, mais venues à échéance pendant cette procédure – et le dirigeant que certains pourraient être tentés de qualifier d’imprudent, pour lequel la cessation des paiements s’expliquerait par de nouvelles dettes nées au cours de la procédure de conciliation. La solution de la Cour de cassation présente le mérite de la simplicité. Elle n’est du reste que la conséquence de la liberté de gestion reconnue au débiteur pendant procédure de conciliation.

Pendant le cours de la procédure de conciliation, donc, le dirigeant est dispensé d’exécuter son obligation de déclaration de la cessation des paiements. On observera ici la différence qui existe avec l’hypothèse d’un mandat ad hoc, pour laquelle cette solution n’est nullement transposable. Si plusieurs auteurs acceptent l’idée que la demande de mandat ad hoc puisse être formulée par un débiteur dont la cessation des paiements date de moins de quarante-cinq jours, le juge étant libre de refuser d’y faire droit (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., Dalloz Action, 2023-2024, n° 123-114 ; F.-X. Lucas, Manuel de droit de la faillite, 5e éd., PUF, 2024, n° 46 ; P. Le Cannu et D. Robine, Droit des entreprises en difficulté, 9e éd., Dalloz, 2022, n° 95), la Cour de cassation considère que le débiteur bénéficiant d’un mandat ad hoc reste tenu de déclarer sa cessation des paiements, dès lors qu’elle dépasse cette durée (Com. 17 juin 2020, n° 19-10.341 F-PB, D. 2020. 1357 ; Rev. sociétés 2020. 508, obs. P. Roussel Galle ; ibid. 613, note T. Massart ; RTD com. 2021. 421, obs. F. Macorig-Venier ; BJE nov. 2020. 46, note T. Favario ; sous l’empire de la loi de 1985, v. Com. 10 mai 2005, n° 04-11.554 NP). La différence de solutions s’explique aisément : dans la conciliation comme dans le mandat ad hoc, le dirigeant conserve l’exercice de ses pouvoirs et reste tenu de ses obligations (pour ce dernier, v. Com. 18 mai 2016, n° 14-16.895 NP, Rev. sociétés 2016. 621, note N. Morelli ; RTD com. 2017. 172, obs. F. Macorig-Venier ). Mais dans le mandat ad hoc, ces devoirs ne sont contredits par aucun texte comparable aux articles L. 631-4 et L. 653-8, alinéa 3, du code de commerce, justifiant la dispense d’obligation déclarative pendant le cours de la procédure.

Si le débiteur est ainsi dispensé de son obligation déclarative pendant le cours de la procédure de conciliation, il ne l’est plus à son expiration. Tel est le second apport du présent arrêt.

L’obligation de déclarer sans délai la cessation des paiements intervenue au cours de la conciliation, une fois celle-ci expirée

Si la Cour de cassation réfute une quelconque obligation, pour le débiteur, de déclarer sa cessation des paiements pendant le cours de la conciliation, elle précise également que « À l’expiration de la procédure de conciliation, le débiteur est en revanche tenu d’exécuter cette obligation sans délai ». Le sens de cette formule doit être bien compris. Elle suppose naturellement que la cessation des paiements, intervenue pendant la procédure de conciliation, demeure à son issue. L’expiration de la procédure de conciliation s’entend alors essentiellement de son échec, puisque la conciliation a précisément pour objet de mettre fin aux difficultés de l’entreprise. Pour ces raisons, le constat ou l’homologation d’un accord dégagé, qui mettent fin à la procédure de conciliation (C. com., art. L. 611-8, I, et L. 611-10, al 1er), ne nous semblent pas constituer les hypothèses visées par la formule du présent arrêt. Dans les deux cas, il est d’ailleurs constaté que la cessation des paiements n’existe pas ou n’existe plus.

L’expiration de la procédure, telle que visée par le présent arrêt, intègre en revanche parfaitement l’hypothèse dans laquelle survient le terme fixé par l’ordonnance présidentielle ayant ouvert la procédure, alors qu’aucune demande de constat ou d’homologation d’un éventuel accord n’est formulée (C. com., art. L. 611-6, al. 2), ainsi que celle dans laquelle le président met fin à la procédure, à la suite du rapport du conciliateur mentionnant l’impossibilité de parvenir à un accord (C. com., art. L. 611-7, al. 6). Dans les deux cas, la procédure de conciliation prend fin. La cessation des paiements subsistante doit alors être déclarée « sans délai ».

La formule est précise et s’applique, selon nous, tant pour l’hypothèse soumise à la Cour de cassation, dans laquelle la date de cessation des paiements est fixée pendant le cours de la conciliation, que dans le cas d’une cessation des paiements datant de moins de quarante-cinq jours lors de l’ouverture de la conciliation et dont la durée se prolonge nécessairement pendant le cours de cette même procédure. Il ne s’agit, peut-on penser, ni d’un cas de suspension du délai de quarante-cinq jours ni d’un cas d’interruption de ce même délai. Une analyse en termes d’interruption du délai conduirait en effet à ouvrir au débiteur un nouveau délai de quarante-cinq jours à l’issue de la procédure de conciliation. Une suspension de ce délai conduirait au même résultat, s’agissant d’une cessation des paiements intervenue pendant la conciliation, et imposerait, pour le cas d’une cessation intervenue avant l’ouverture de la conciliation, de tenir compte du temps de cessation des paiements ayant précédé l’ouverture de la procédure. Par exemple, pour une cessation des paiements survenue quinze jours avant l’ouverture de la conciliation, le débiteur disposerait encore de trente jours pour déposer son bilan à son expiration.

Les techniques de la suspension, de l’interruption et du report du point de départ du délai sont en réalité écartées par la formule utilisée par la Cour de cassation. Le débiteur doit déposer « sans délai », c’est-à-dire immédiatement, sa déclaration de cessation des paiements, à l’expiration de la procédure de conciliation. Ce choix nous semble bienvenu car, presque toujours, la durée totale de la cessation des paiements, aura largement dépassé quarante-cinq jours lorsque prendra fin la procédure de conciliation. L’immunité dont profite le débiteur pendant la procédure de conciliation, rendant non fautive son absence de déclaration, doit être strictement cantonnée aux besoins de cette procédure. Lorsque celle-ci s’achève par un échec, il y a lieu de protéger au plus vite le tissu économique.

Pour terminer, on notera un cas dans lequel le tribunal pourra être conduit à porter son regard avant l’ouverture de la procédure de conciliation, pour apprécier la faute du dirigeant. Une action en report de la date de cessation des paiements peut en effet conduire à fixer celle-ci plus de quarante-cinq jours avant l’ouverture de la procédure de conciliation. L’ordonnance présidentielle ouvrant la conciliation ne constitue en effet pas un obstacle au report de la date de cessation des paiements à une date antérieure à son prononcé (Com. 22 mai 2013, n° 12-18.509 P, Dalloz actualité, 4 juin 2013, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2013. 519, obs. L. C. Henry ; RTD com. 2013. 803, obs. F. Macorig-Venier ). En cette hypothèse, le retard initial du débiteur ne sera pas nécessairement purgé de son éventuel caractère fautif par une déclaration de cessation des paiements, même faite sans délai à l’issue de la procédure de conciliation.

 

Com. 20 nov. 2024, FS-B, n° 23-12.297

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