Dispositions pénales de la loi d’adaptation au droit de l’Union européenne : une bombe à retardement ?
Pour mettre en conformité le droit français avec plusieurs instruments européens, la loi du 22 avril 2024 modifie différentes dispositions du code de procédure pénale. Celles relatives à la transmission d’informations entre États membres ou au mandat d’arrêt européen ont été adoptées sans réelles contestations, tandis que celles relatives à la garde à vue ont provoqué de vifs débats.
Tic-tac… C’est le son des délais qui courent, qu’ils soient de transposition, de mise en conformité ou d’entrée en vigueur. Il y en a beaucoup dans cette loi, adoptée sous la pression européenne. C’est aussi celui du minuteur d’une bombe à retardement. Il n’est pas rare de voir une loi comparée à cet outil de destruction. Tel est le cas lorsque l’on craint, à tort ou à raison, qu’une réforme entraîne des conséquences graves et non anticipées par le législateur. Les dispositions de la loi du 22 avril 2024 qui prévoient que les salariés en arrêt maladie continuent d’acquérir des droits à congés payés ont pu recevoir cette qualification, même si la déflagration avait déjà été amorcée par des arrêts de la chambre sociale (Soc. 13 sept. 2023, n° 22-17.638, n° 22-17.340 et n° 22-10.529, Dalloz actualité, 28 sept. 2023, obs. C. Martin ; D. 2023. 1936
, note R. Tinière
; ibid. 2024. 373, chron. S. Ala, M.-P. Lanoue et M.-A. Valéry
; JA 2023, n° 686, p. 11, obs. A. Kras
; ibid. 2024, n° 696, p. 40, étude F. Mananga
; RDT 2023. 639, chron. M. Miné
).
La loi du 22 avril 2024 est une loi fourre-tout, dont la cohérence ne tient qu’à la nécessité de mettre en conformité le droit national avec le droit de l’Union européenne. Elle contient ainsi des dispositions relatives au droit social, au droit des sociétés, au droit de la consommation, au droit bancaire… Si l’on se concentre sur les seules dispositions pénales et que l’on tend l’oreille, on entend toujours cet inquiétant tic-tac. Quelle bombe menace la procédure pénale française ? Si l’on en croit les mots d’un rapporteur devant la commission mixte paritaire, c’est « l’essentiel » qui était en péril, c’est-à-dire, « la capacité, pour nos officiers de police judiciaire et nos magistrats, de continuer à mener sereinement des enquêtes » (Ass. nat., Rapp. n° 2439 et Sénat, Rapp. n° 512, 4 avr. 2024, p. 4). Il convient donc de rechercher quelles sont les dispositions explosives, susceptibles de réduire à néant l’efficacité des investigations, ce qui implique de revenir sur les principaux apports de la loi en matière pénale. Ceux-ci découlent de la nécessaire mise en conformité avec plusieurs instruments européens : la directive du 10 mai 2023 relative à l’échange d’informations entre les services répressifs, le règlement du 4 octobre 2023 relatif aux échanges d’informations numériques dans les affaires de terrorisme, la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et la directive du 22 octobre 2013 relative à la communication avec les tiers et l’assistance par un avocat.
Transposition de la directive du 10 mai 2023 relative à l’échange d’informations entre les services répressifs
La loi française doit régulièrement être modifiée pour tenir compte de l’entrée de vigueur de directives européennes. Bien que ces instruments laissent une marge de manœuvre aux États membres, ils n’en requièrent pas moins l’adoption de normes nécessaires à leur mise en œuvre. Pour cela, il est laissé un laps de temps aux législateurs nationaux. Pour la directive de 10 mai 2023, le terme de la période de transposition est fixé au 12 décembre 2024 (Dir. [UE] n° 2023/977, art. 22). C’est donc avec un peu d’avance que la loi française s’est adaptée à ses exigences, relatives à l’échange d’informations entre les États membres aux fins de la prévention ou de la détection des infractions pénales. En l’espèce, la transposition était facilitée par le fait que la directive succède à une décision-cadre de 2006 (Décision-cadre 2006/960/JAI du Conseil du 18 déc. 2006 relative à la simplification de l’échange d’informations et de renseignements entre les services répressifs des États membres de l’UE) à laquelle s’était déjà conformé le droit français. Par conséquent, le législateur n’a pas œuvré ex nihilo, mais a ajusté les articles 695-9-31 et suivants du code de procédure pénale pour les mettre en conformité à la nouvelle directive.
L’étape la plus évidente a été de remplacer les différentes mentions de la décision-cadre de 2006 par une référence à la directive du 10 mai 2023. Il a ensuite fallu repérer les différents changements opérés par cet instrument. Un nouvel article 695-9-31-1 a été créé dans le code de procédure pénale pour instaurer un point de contact unique, une institution chargée de transmettre les demandes d’information des services français et de recevoir les demandes provenant des points de contact uniques des autres États membres ainsi que des services étrangers spécialement habilités. Le point de contact français aura également pour attribution de désigner les services et unités françaises habilités à transmettre des demandes d’informations aux points de contact étrangers (C. pr. pén., art. 695-9-31-1, al. 2) ou aux services étrangers compétents (C. pr. pén., art. 695-9-33), sans passer par son intermédiaire. L’administration jouant le rôle de point de contact unique en France devra être désignée par arrêté interministériel ; jusqu’à présent, cette fonction était attribuée à la section centrale de coopération opérationnelle de police, qui relève de la direction centrale de la police judiciaire, et au bureau de la communication et des relations extérieures (Arr. du 27 sept. 2012 désignant les points de contact habilités à recevoir les demandes d’informations provenant de services d’enquête des États membres de l’UE).
Les données transmises aux fins de prévention ou de détection des infractions pénales sont sensibles. Il faut donc éviter que trop de personnes y aient accès, ce qui implique parfois de ne pas suivre le circuit normal de transmission d’informations. Ainsi, pour la communication directe de service à service, le principe est d’envoyer une copie de la demande (quand la demande est émise par les services français, C. pr. pén., art. 695-9-33) et une copie des informations transmises (quand la demande est reçue par les services français, C. pr. pén., art. 695-9-37) aux points de contact unique concernés. Toutefois, afin de limiter le nombre de personnes ayant accès aux informations, il est possible de déroger à cette obligation pour les enquêtes hautement sensibles, pour les affaires de terrorisme ou lorsque la sécurité des personnes risque d’être compromise (mêmes articles).
La loi nouvelle modifie également le régime de la transmission spontanée d’informations aux unités et services étrangers. Elle reprend la catégorie des informations qui doivent être transmises (C. pr. pén., art. 695-9-38, al. 1er), en modifiant légèrement son domaine : il s’agit des informations qui pourraient être utiles à un autre État membre soit pour prévenir, établir la preuve ou rechercher les auteurs d’une infraction relevant de l’une des catégories énumérées à l’article 694-32 du code de procédure pénale et punie en France d’une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement ou une infraction entrant dans le champ de compétence d’Europol (criminalité grave affectant deux ou plusieurs États membres, terrorisme et formes de criminalité qui portent atteinte à un intérêt commun qui fait l’objet d’une politique de l’Union et infractions connexes). Pour les autres infractions, la transmission d’informations est facultative (C. pr. pén., art. 695-9-38, al. 2).
Pour tenir compte de l’article 6 de la directive du 10 mai 2023 relatif au refus de transmission d’informations, la loi a réécrit l’article 695-9-41 du code de procédure pénale. De nouveaux motifs de refus ont été ajoutés, comme le risque d’indûment porter atteinte aux intérêts importants protégés d’une personne morale, le fait qu’il s’agisse de faits qui ne sont pas réprimés en France ou que les informations ne sont plus à jour. L’allongement de la liste des motifs de refus laisse penser que la loi nouvelle opère une restriction de la communication. Cependant, il faut aussi tenir compte de l’abrogation de l’article 695-9-42 du code de procédure pénale, qui permettait d’opposer un refus lorsque le service à qui la demande était transmise estimait que les informations ne présentaient pas « un intérêt suffisant ».
Adaptation du code de procédure pénale au règlement du 4 octobre 2023 relatif aux échanges d’informations numériques dans les affaires de terrorisme
Le 1er novembre 2023, un règlement européen relatif à l’échange d’informations numériques dans les affaires de terrorisme est entré en vigueur. Cet instrument modifie un précédent règlement (Règl. [UE] n° 2018/1727 du 14 nov. 2018 relatif à l’Agence de l’UE pour la coopération judiciaire en matière pénale et remplaçant et abrogeant la décis. 2002/187/JAI du Conseil) et une décision du Conseil (Décis. n° 2005/671/JAI du 20 sept. 2005 relative à l’échange d’informations et à la coopération concernant les infractions terroristes). Il réforme notamment le régime de transmission d’informations des autorités d’un État à leur représentant national affecté à Eurojust. À nouveau, le législateur français a été contraint de modifier des dispositions préexistantes, ici l’article 695-8-2 du code de procédure pénale. En effet, ce texte entrait en contradiction avec le nouveau règlement sur au moins deux points : il restreignait les cas où les autorités judiciaires françaises devaient informer Eurojust des infractions terroristes susceptibles d’intéresser d’autres États membres, alors que le règlement ne fait pas mention de cette condition, et il ne reprenait pas les mêmes dérogations à l’obligation de transmission d’informations. Par conséquent, la transmission d’informations sur les infractions terroristes est désormais le principe, sauf lorsque les infractions ne concernent manifestement pas les autres États (C. pr. pén., art. 695-8-2, al. 14), et il est devenu possible de ne plus communiquer ces informations lorsque leur transmission risque de compromettre une enquête en cours (C. pr. pén., art. 695-8-2, al. 19). L’article 695-8-2 est donc désormais conforme à l’article 21 bis du règlement du 14 novembre 2018.
Il appert de ce rapide examen que la bombe à retardement ne réside pas dans les nouvelles obligations de transmission d’informations, qui prennent justement en compte le risque de porter atteinte à l’efficacité des investigations.
Mise en conformité avec la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen
Le code de procédure pénale ne doit pas toujours être réformé à cause d’instruments européens récents. Ainsi, bien qu’elle ait déjà été réformée (Décision-cadre 2009/299/JAI du 26 févr. 2009), la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen n’a pas fait l’objet de modifications récentes. C’est pourtant elle qui est en cause ici. L’impérieuse nécessité de corriger les dispositions du code de procédure pénale concernant le mandat européen résulte d’une mise en demeure du gouvernement français par la Commission européenne, le 2 décembre 2021.
Le premier reproche formulé contre la transposition française concernait le délai dans lequel la décision définitive sur l’exécution d’un mandat d’arrêt européen doit intervenir. Selon l’article 695-43 du code de procédure pénale, la décision doit en principe être rendue dans un délai de 60 jours. Il est possible d’obtenir une prolongation de 30 jours si certaines conditions sont remplies. Après 90 jours, il faut informer le ministre de la Justice et Eurojust en précisant les raisons du retard. De prime abord, la durée de ces délais est conforme à la décision-cadre, qui prévoit que, hors le cas où la personne recherchée consent à sa remise, la décision sur l’exécution du mandat doit être prise dans un délai de 60 jours (Décision-cadre n° 2002/584/JAI, art. 17, § 3), et il est possible de le prolonger de 30 jours « dans des cas spécifiques » (ibid., art. 17 §, 4). La difficulté vient de la détermination de ces cas spécifiques. Ainsi, le droit français prévoyait qu’il était possible de déroger à la durée maximale de 60 jours en cas de pourvoi en cassation. Or, pour la Commission, ce recours ne rentre pas dans la catégorie des cas spécifiques. Par conséquent, le pourvoi en cassation ne figure plus à l’article 695-43 du code de procédure pénale et la prorogation des délais subsiste seulement « à titre exceptionnel ».
La seconde critique portait sur les conditions du transfèrement temporaire. En attendant que l’État d’exécution du mandat d’arrêt européen prenne une décision définitive, il est possible de procéder à un transfèrement temporaire auprès de l’État d’émission, à condition que les modalités du transfèrement soient fixées d’un commun accord par les États membres et que la personne concernée puisse retourner dans l’État d’exécution pour assister aux audiences relatives au mandat la concernant (Décision-cadre n° 2002/584/JAI, art. 18). Le droit français ajoutait une condition : la personne recherchée devait consentir à ce transfèrement temporaire. Pour la commission, le texte n’impose pas cette condition, la France aurait donc procédé à une transposition restrictive de décision-cadre. Le législateur a donc supprimé la référence au consentement de la personne concernée (C. pr. pén., art. 695-45).
Bien que la modification des textes français sur le mandat d’arrêt européen ait été réalisée après mise en demeure, on ne peut pas dire que le gouvernement français l’a faite à contrecœur. En effet, l’étude d’impact relève que cet aspect de la réforme n’aura aucun impact, et qu’en pratique, le délai de 60 jours n’a jamais été dépassé (Étude d’impact, Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE, 14 nov. 2023, p. 280 s.).
Remédier à la transposition incorrecte de la directive du 22 octobre 2013 relative à la communication avec les tiers
Le 28 septembre 2023, la Commission européenne a adressé un avis motivé à la France pour transposition incorrecte de la directive relative au droit d’accès à un avocat, en lui laissant un délai de deux mois pour prendre les mesures nécessaires pour remédier aux manquements relevés. La nécessité de légiférer résultant de cette mise en demeure a été la source de plusieurs difficultés.
Premièrement, le caractère limitatif de la liste des personnes que le gardé à vue peut faire prévenir a été remis en cause. Avant d’être réformé, l’article 63-2 du code de procédure pénale disposait que toute personne placée en garde à vue pouvait faire prévenir par téléphone une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l’un de ses parents en ligne directe ou l’un de ses frères et sœurs ainsi que, le cas échéant, son employeur et les autorités consulaires de son pays. Le gardé à vue peut également être autorisé à communiquer avec une de ces personnes, par écrit, par téléphone ou lors d’un entretien (C. pr. pén., art. 63-2, II). Pour la commission, les articles 5 et 6 de la directive du 22 octobre 2013 ne permettent pas d’ériger une liste limitative de personnes à contacter. Par conséquent, le législateur a été contraint d’ajouter que « toute autre personne » pouvait être informée et autorisée à communiquer. Le législateur s’est plié à cette exigence avec un zèle rare, puisqu’il a voté deux lois à cette fin. En effet, les débats parlementaires de la loi du 22 avril 2024 ont été télescopés par la promulgation de la loi du 20 novembre 2023 (Loi n° 2023-1059, 20 nov. 2023, d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027). Or, la loi d’orientation et programmation prévoyait déjà d’ôter à la liste des personnes pouvant être prévenues son caractère limitatif (ibid., art. 6, I, 4°). La seule différence est que cette disposition de la loi du 20 novembre 2023 devait entrer en vigueur le 30 septembre 2024, alors qu’elle est d’application immédiate dans la loi du 22 avril 2024. Par conséquent, pour éviter toute répétition, la disposition en cause de la loi d’orientation a été abrogée. En outre, le législateur a tenu compte des autres apports de la loi du 20 novembre 2023, notamment pour indiquer que toute personne ayant été avertie de la mesure peut demander à ce que le gardé à vue soit examiné par un médecin, mais aussi que cette personne doit donner son accord pour que l’examen soit réalisé par un moyen de télécommunication. Même si cette précision sur l’examen médical dématérialisé entre immédiatement en vigueur, elle ne produira concrètement ses effets que lorsque la disposition qui lui sert de support sera effective, c’est-à-dire le 30 septembre 2024.
En dépit de ces embrouillaminis légistico-temporels, cette réforme ne pose pas de difficultés. En effet, le droit de faire prévenir de nouvelles personnes, et donc éventuellement des complices, est contrebalancé par la possibilité de différer l’information. Les enquêteurs ont trois heures pour accomplir ces diligences, et avec l’autorisation du procureur ou, le cas échéant, du juge des libertés, ils peuvent différer son accomplissement plus longuement (C. pr. pén., art. 63-2, al. 3). Conformément à la directive du 22 octobre 2013, ce report doit être indispensable pour permettre le recueil ou la conservation des preuves ou de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne.
Mettre définitivement fin aux gardes à vue à la française en abandonnant le délai de carence
Un autre défaut de transposition de la directive du 22 octobre 2013 a été relevé par la Commission européenne : il s’agit du mécanisme de délai de carence et de pouvoir du procureur de la République d’autoriser l’audition d’un gardé à vue avant que son avocat ne soit arrivé. Selon la précédente version de l’article 63-4-2 du code de procédure pénale, la première audition d’un gardé à vue ne peut débuter sans la présence de son avocat s’il en a fait la demande. Toutefois, si plus de deux heures se sont écoulées depuis le moment où le conseil a été avisé, les enquêteurs peuvent commencer l’interrogatoire sans lui. En outre, le procureur peut décider d’autoriser les officiers de police judiciaire à auditionner le mis en cause sans attendre l’expiration du délai de deux heures, lorsque les nécessités de l’enquête l’exigent. Il peut également différer la présence de l’avocat aux auditions pour une durée de douze heures, lorsque ce report paraît indispensable pour permettre le bon déroulement d’investigations urgentes ou prévenir une atteinte grave et imminente à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne. Dans toutes ces hypothèses, si une personne est entendue sans avoir pu s’entretenir avec un avocat, aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement de ses déclarations (C. pr. pén., art. prélim.).
Selon la directive du 22 octobre 2013, les suspects gardés à vue doivent avoir droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci lors de leur interrogatoire (Dir. 2013/48/UE, art. 3, 3°, b), et il n’est possible de déroger à ce principe que lorsqu’il existe une nécessité urgente de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne ou lorsqu’il est impératif que les autorités qui procèdent à l’enquête agissent immédiatement pour éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale. Or, la possibilité d’entendre le gardé à vue en l’absence de son avocat deux heures après l’avoir avisé et celle de ne pas l’attendre prévues par le droit français ne répondent pas à ces conditions. Le législateur a donc dû procéder à une refonte de grande ampleur des articles relatifs au droit à l’assistance par un avocat en garde à vue.
Le principe prévu par les nouveaux textes est qu’il est interdit d’entendre un gardé à vue sans avocat dès lors qu’il a demandé d’être assisté lors de ses auditions, peu importe la durée que met l’avocat pour se présenter. L’article 63-3-1 du code de procédure pénale mentionne tout de même que l’avocat accomplit les diligences requises pour se présenter sans retard indu. Toutefois, aucune sanction procédurale n’étant prévue dans le cas contraire, cette précision est donc avant tout incantatoire. Le délai de deux heures qui courrait à partir du moment où l’avocat est avisé demeure, mais il a changé d’utilité : à l’avenir, lorsque l’avocat désigné indiquera ne pas pouvoir être présent avant deux heures, ou s’il ne s’est pas présenté à l’expiration de ce délai, le bâtonnier est saisi aux fins de désignation d’un avocat commis d’office. Ainsi, même si le délai de carence ne permet plus de restreindre le droit à l’assistance par un avocat, il est devenu une limite au libre choix du défendeur, en permettant d’écarter l’avocat choisi au profit d’un avocat commis d’office. La même règle s’applique lorsque l’avocat désigné ne peut pas être contacté.
Bien que la présence de l’avocat lors de l’interrogatoire soit le principe, il connaît toujours des exceptions. Tout d’abord, le gardé à vue peut y renoncer. Ensuite, la possibilité qu’a le procureur de différer la présence de l’avocat aux auditions pendant douze heures est maintenue, mais ce report ne pourra plus être justifié par la nécessité de permettre le bon déroulement d’investigations urgentes. À la place, il sera nécessaire d’établir que le report est indispensable pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale (C. pr. pén., art. 63-4-2, al. 2). Le nouvel article 63-4-2-1 du code de procédure pénale permet quant à lui de commencer l’audition sans attendre l’arrivée de l’avocat qui a été avisé. Alors que cette autorisation devait être motivée par les nécessités de l’enquête, elle doit désormais être justifiée par la nécessité d’éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, ou de prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne.
À ce stade, deux remarques peuvent être faites : on constate que le report de la présence de l’avocat pendant douze heures (voire plus si l’autorisation est donnée par le JLD) et l’autorisation de commencer l’audition sans attendre sont soumis aux mêmes conditions de fond, alors que le premier semble bien plus attentatoire aux droits de la défense que le second. En effet, dans la deuxième hypothèse, le droit à l’assistance par un avocat est restauré dès que le conseil se présente au commissariat, ce qui peut arriver rapidement. Toutefois, la restriction n’a pas la même intensité. En effet, le report de douze heures ne vaut que pour la présence de l’avocat lors des interrogatoires, il ne remet pas en cause le droit à un entretien préalable de trente minutes (C. pr. pén., art. 63-4), tandis que l’autorisation de commencer l’interrogatoire immédiatement permet de passer outre cet entretien.
Quoi qu’il en soit, rien n’interdit de combiner l’interrogatoire immédiat et le report de la présence de l’avocat, ce qui sera facilité par l’unification des conditions de fond. La seconde remarque porte justement sur la condition de nécessité « pour éviter de compromettre sérieusement une procédure pénale ». Cette expression fait son apparition dans le code de procédure pénale. Comment la définir ? Selon la directive, elle fait référence à un risque de destruction de preuve ou de pression sur les témoins (Dir. 2013/48/UE, consid. 32). On peut postuler que cette condition est plus restrictive que celle de « nécessité de l’enquête » qu’elle remplace. Mais pour le reste, doit-elle être distinguée du risque « de porter atteinte à l’efficacité des investigations » (C. pr. pén., art. 77-2), du risque « de nuire au bon déroulement de l’enquête » (C. pr. pén., art. 62-2) ou des nécessités de « la recherche de la manifestation de la vérité » (C. pr. pén., art. 80-5) ? On ne reprochera pas au législateur d’avoir joué la carte de la sécurité en reprenant exactement les termes de la directive. Pour autant, on ne peut que regretter la profusion d’expressions analogues dans le code, qui contribue à une certaine insécurité juridique. D’autant plus qu’il était possible de retenir d’autres formulations figurant dans le code. En effet, dans la procédure applicable à la criminalité et délinquance organisée, il est possible de différer l’intervention de l’avocat en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête pour permettre le recueil ou la conservation des preuves (C. pr. pén., art. 706-88), ce à quoi la Commission européenne n’a rien trouvé à redire.
Ces nouvelles dispositions ont fait couler beaucoup d’encre. Certains articles de presse ont relevé qu’elles allaient occasionner des difficultés pratiques (P. Gonzalès, La future réforme de la garde à vue fait craindre une baisse de l’efficacité des enquêtes, Le Figaro, 26 déc. 2023, p. 8). Des députés ont aussi fait part de leurs inquiétudes, de manière assez virulente (JORF, Ass. nat., 19 mars 2024, p. 2174 s.). Les barreaux et les parquets vont devoir faire face à des sollicitations nouvelles, qu’ils ne sont actuellement pas en mesure de traiter. C’est donc cet aspect de la réforme qui aurait pour certains les effets d’une bombe, avec un retardateur programmé au 1er juillet 2024, date d’entrée en vigueur de ces dispositions.
Pour autant, ces craintes peuvent être désamorcées. Chacune des réformes du régime des gardes à vue a été accompagnée de discours alarmistes, mais à chaque fois, les enquêteurs ont fait preuve de la résilience nécessaire pour se conformer aux nouvelles exigences tout en maintenant l’efficacité des enquêtes. Surtout, seules la France et la Tchéquie ont fait l’objet d’une mise en demeure par la Commission européenne. Dans les autres États membres, le droit à l’assistance par un avocat pendant les auditions est garanti depuis de nombreuses années, sans délai de carence (Étude d’impact, Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE, 14 nov. 2023, p. 270). L’expression « garde à vue à la française » n’a jamais été une source d’orgueil patriotique ; elle a toujours désigné une mesure qui, par comparaison avec les autres États, comprend des restrictions injustifiées au droit à l’assistance par un avocat. À la réflexion, on peut se dire que le tic-tac qui rythme la loi du 22 avril 2024 ne vient pas d’une bombe à retardement, mais d’un réveil : celui des droits de la défense.
Loi n° 2024-364, 22 avr. 2024, JO 23 avr.
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