Disproportion du cautionnement : des rappels toujours utiles
Dans un arrêt rendu le 4 avril 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur quelques constantes concernant l’engagement disproportionné de la caution à l’aune du droit antérieur à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.
 
                            Les arrêts qui intéressent la disproportion de l’engagement de la caution sont, chaque année, assez nombreux. On sait, en effet, que la jurisprudence est foisonnante sur la fiche de renseignements qui a suscité par ailleurs une décision publiée au Bulletin il y a encore quelques semaines (à propos du caractère postérieur de la fiche par rapport à l’engagement de la caution, Com. 13 mars 2024, n° 22-19.900, Dalloz actualité, 22 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 540  ). Elle l’est tout autant sur la preuve de la disproportion, qui représente régulièrement le nerf de la guerre devant le juge (v. par ex., Com. 30 août 2023, n° 21-20.222, Dalloz actualité, 3 oct. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 96
). Elle l’est tout autant sur la preuve de la disproportion, qui représente régulièrement le nerf de la guerre devant le juge (v. par ex., Com. 30 août 2023, n° 21-20.222, Dalloz actualité, 3 oct. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 96  , note J. de Dinechin
, note J. de Dinechin  ; ibid. 2023. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
 ; ibid. 2023. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers  ; ibid. 2024. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
 ; ibid. 2024. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès  ). L’arrêt rendu le 4 avril 2024 permet de s’en convaincre en proposant diverses précisions connues mais toujours pertinentes eu égard à la grande répétitivité du contentieux en la matière. Les solutions de la décision étudiée sont, pour partie, applicables au droit nouveau issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 aux cautionnements conclus après le 1er janvier 2022, exception faite de la partie concernant le retour à meilleure fortune comme nous allons l’examiner.
). L’arrêt rendu le 4 avril 2024 permet de s’en convaincre en proposant diverses précisions connues mais toujours pertinentes eu égard à la grande répétitivité du contentieux en la matière. Les solutions de la décision étudiée sont, pour partie, applicables au droit nouveau issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 aux cautionnements conclus après le 1er janvier 2022, exception faite de la partie concernant le retour à meilleure fortune comme nous allons l’examiner.
Les faits puisent leur origine dans une situation assez classique. Par acte du 11 avril 2017, une société consent à une autre un prêt d’un montant de 150 000 € afin que l’emprunteur puisse acquérir un fonds de commerce, à savoir une boulangerie. Deux personnes physiques se portent cautions solidaires de la société débitrice et ce à hauteur de 150 360 €. L’acquéreur du fonds de commerce ne parvient pas à rembourser les échéances de sorte que le créancier se retourne contre l’une des cautions solidaires. Un débat s’élève alors en justice autour de la proportionnalité de l’engagement de la caution. Les juges du fond, en cause d’appel, décident de rejeter ce moyen de défense du garant en retenant que la caution n’avait pas déclaré les sept cautionnements personnels qui grevaient son patrimoine avant de souscrire l’engagement litigieux, celle-ci étant d’après la cour d’appel « tenu(e) à une obligation déclarative ». La cour d’appel juge également que le garant ne démontre pas qu’il ne dispose désormais pas des moyens de faire face aux engagements qu’il a pris au titre de son cautionnement.
Nous l’aurons compris, c’est la caution qui se pourvoit en cassation en critiquant la motivation déployée. Le lecteur aguerri au droit des sûretés aura repéré dans les quelques motifs synthétisés de beaux cas d’ouverture à cassation. C’est, en effet, une triple cassation pour violation de la loi qui est prononcée dans l’arrêt rendu le 4 avril 2024 lequel est promis aux honneurs d’une publication au Bulletin.
Pas d’obligation pour la caution de déclaration de ses cautionnements précédents
Une subtilité importante doit être notée dans la situation ayant donné lieu au pourvoi. Aucune fiche de renseignements n’a été dressée par l’établissement prêteur de deniers. Par conséquent, la caution n’avait pas pu déclarer qu’elle s’était déjà engagée pour « sept cautionnements antérieurs au 11 avril 2017, date du cautionnement litigieux, qu’il n’a pas déclarés à la société M… pour un montant de 736 220 euros » (pt n° 6, nous soulignons). Se posait donc la question assez intéressante d’une éventuelle obligation déclarative de la caution à ce titre et ce spontanément en l’absence de toute fiche de renseignements à l’initiative de la banque.
D’une manière assez étonnante, les juges du fond avaient considéré qu’une telle obligation pesait sur la caution. Pourtant, aucun texte ne vient prévoir une telle charge déclarative. Il ne faut pas ici inverser la difficulté puisque c’est à l’établissement bancaire de s’enquérir de la santé financière de son client ou de son garant et non l’inverse. Ne voit-on pas, cependant, poindre une certaine mauvaise foi dans le comportement de la personne physique déjà sept fois caution avant un huitième cautionnement qui tairait l’existence de ses engagements toujours en cours, pour plus de 700 000 €, avant d’invoquer au titre du moyen de défense tiré de la disproportion l’existence de tels engagements ? La question se discute.
En tout état de cause, la cassation intervient puisque la caution établissait parfaitement ses biens et revenus concernant l’engagement souscrit le 11 avril 2017. Il n’y a pas de possibilité, en définitive, de passer sous silence dans l’appréciation de la situation les cautionnements antérieurs et ce pour la simple raison qu’ils n’ont pas été spontanément indiqués à l’établissement bancaire. La réponse n’aurait, sans doute, pas été la même si une fiche de renseignements avait été dressée, d’où l’intérêt de recourir à ce document fort utile ! La discussion se serait alors reportée sur l’exactitude de la fiche de renseignements faisant également l’objet d’une jurisprudence foisonnante autour de la notion d’anomalie apparente (v. concernant un arrêt inédit récent, Com. 20 sept. 2023, n° 22-14.751, « la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine, dépourvue d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier », pt n° 13, nous soulignons).
Une deuxième cassation intervient sur la lecture d’un document produit aux débats. Sur ce point, il s’agit simplement d’une dénaturation des termes clairs et précis d’une pièce (à savoir, le bilan d’une société mentionnant la valorisation du fonds de commerce). L’intérêt de ce passage est résiduel.
La publication de l’arrêt s’explique toutefois également en raison de la deuxième question principale suscitée par le pourvoi, celle de la preuve de la disproportion.
Sur la preuve : de la rigueur quant au retour à meilleure fortune
Une troisième cassation intervient concernant un élément précis de la motivation utilisée en appel qui peut étonner le lecteur habitué au droit du cautionnement personnel. Les juges du fond avaient, en effet, estimé que « M. O E (ndlr : la caution) n’a pas apporté d’éléments supplémentaires probants, alors qu’il lui appartenait de le faire à présent (de sorte) qu’il n’est pas avéré que les deux cautions ne disposent pas à présent des moyens de faire face aux engagements qu’elles ont pris » (pt n° 11, moyen de la caution demanderesse à la cassation, nous soulignons). Une telle affirmation est étonnante à plusieurs égards. La première réside dans l’état plutôt bien fixé de la jurisprudence à ce sujet qui répartit ainsi la charge de la preuve :
- lorsque la caution invoque la disproportion, bien souvent en qualité de défenderesse à un procès (mais pas toujours, v. par ex., Com. 8 avr. 2021, n° 19-12.741 F-P, Dalloz actualité, 3 mai 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1702  , note N. Picod , note N. Picod ; ibid. 1879, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; ibid. 1879, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 2022. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ), c’est à elle de démontrer que le cautionnement est disproportionné à ses biens et revenus. Elle supporte donc la charge de la preuve dans ce contexte. ), c’est à elle de démontrer que le cautionnement est disproportionné à ses biens et revenus. Elle supporte donc la charge de la preuve dans ce contexte.
- lorsque la caution doit faire face à une contre-argumentation du créancier qui argue que désormais elle peut faire face à l’engagement en cas de retour à meilleure fortune, c’est celui-ci qui supporte la charge de la preuve de cette possibilité précisément.
C’est exactement ce que rappelle la chambre commerciale dans le paragraphe n° 14 de son arrêt du 4 avril 2024. Nihil novi sub sole sur la question puisque la formulation utilisée est, inlassablement, la même. Ce rappel sera toujours utile pour apurer le stock de cautionnements antérieurs au 1er janvier 2022 et donc régis par le droit de la consommation. Ceux qui sont conclus sous l’empire de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés ne sont plus concernés par cette idée du retour à meilleure fortune qui a été purement et simplement supprimée dans le nouvel article 2300 du code civil (L. Bougerol et G. Mégret, Le guide du cautionnement 2022/2023, Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2022, n° 22.232, p. 221).
Voici donc un arrêt aux intérêts pluriels sur la disproportion de l’engagement. Thématique fondamentale du droit du cautionnement, les praticiens ne seront pas étonnés par l’orientation donnée par la première chambre civile, conforme à la ligne jurisprudence de ces dernières années.
Com. 4 avr. 2024, F-B, n° 22-21.880
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