Disproportion du cautionnement : indemnités kilométriques et revenus de l’époux séparé de biens

Dans un arrêt rendu le 9 juillet 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise que l’indemnité kilométrique n’est pas un revenu et que celle-ci ne peut être prise en compte pour les calculs de la disproportion du cautionnement. Elle rappelle également que les revenus de l’époux séparé de biens n’entrent pas dans ledit calcul.

La thématique de la disproportion du cautionnement est, en droit ancien comme en droit nouveau des sûretés, fondamentale pour les praticiens. Sa mise en jeu est devenue un moyen de défense quasiment incontournable dans de très nombreux dossiers, avec plus ou moins de succès selon les situations. La Cour de cassation en offre fréquemment des illustrations, lesquelles sont régulièrement étudiées au sein de ces colonnes (v. par ex., Com. 18 déc. 2024, n° 22-13.721, Dalloz actualité, 8 janv. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 430 , note J.-M. Chandler ; 11 déc. 2024, n° 23-15.744, Dalloz actualité, 18 déc. 2024, obs. C. Hélaine ; 9 oct. 2024, n° 23-15.346, Dalloz actualité, 15 oct. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 572 , note M. Zaffagnini ; 4 avr. 2024, n° 22-21.880, Dalloz actualité, 3 mai 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 676 ; ibid. 1793, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RCJPP 2024, n° 03, p. 61, chron. S. Piédelièvre et O. Salati ).

Un nouvel arrêt, publié au Bulletin, rendu par la chambre commerciale le 9 juillet 2025 éclaire utilement cette question. À l’origine du pourvoi, on retrouve un établissement bancaire qui accorde le 9 février 2012 un prêt de 100 000 € à une société. L’opération, conclue par acte authentique, est garantie par un cautionnement personnel d’une personne physique mariée en séparation de biens. Relevons d’ailleurs qu’une fiche de renseignements a été remplie par le garant.

Au fil du temps, certaines échéances ne sont pas honorées par la société débitrice. Le créancier se retourne donc contre sa caution. Dans ce contexte, le juge de l’exécution fixe en 2014 la créance de la banque à un montant de 107 481,59 €. En décembre 2018, la créance de l’établissement bancaire est cédée. À la fin de l’année 2021, le cessionnaire décide de saisir le juge de l’exécution afin de saisir les rémunérations de la caution. Cette dernière oppose, alors, la disproportion de son engagement sur le fondement de l’ancien article L. 332-1 du code de la consommation.

En cause d’appel, il est considéré par les juges du fond que l’engagement pris par la caution n’est pas manifestement disproportionné aux éléments déclarés dans sa fiche de renseignements (Poitiers, 10 oct. 2023, n° 23/00319). Le garant est ainsi condamné à régler à la banque la somme de 140 366,20 €, le cautionnement ayant été conclu pour le principal (soit 100 000 €) mais également pour les intérêts, commissions, frais et accessoires pour 30 % de la dette. La saisie de ses rémunérations est ainsi autorisée.

La caution se pourvoit en cassation en avançant que l’appréciation de la disproportion n’a pas été correctement réalisée par la cour d’appel. Le pourvoi sera rejeté malgré plusieurs difficultés relevées par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet 2025.

L’indemnité kilométrique n’est pas un revenu

Pour refuser de considérer disproportionné l’engagement de la caution, la Cour d’appel de Poitiers s’est référée à la fiche de renseignements remplie par le garant en 2012. Ce document est, bien souvent, le nerf de la guerre car il peut entraîner des difficultés liées à sa complétude ou au moment de sa rédaction (v. par ex., lorsqu’elle est rédigée postérieurement au cautionnement, Com. 13 mars 2024, n° 22-19.900, Dalloz actualité, 22 mars 2024, obs. C. Hélaine). Toutefois, en l’espèce, c’est plutôt sur l’appréhension par le juge des éléments issus de cette fiche que l’attention se concentre. Les magistrats avaient, en effet, pris en compte l’existence d’indemnités kilométriques pour 24 000 €, à côté du salaire de la caution de 31 200 €. Voici donc une partie du problème car ladite caution estimait que la cour ne pouvait pas considérer la somme de 55 200 € pour établir ses revenus (soit 24 000 + 31 200 préc.). La question se concentre donc sur l’assimilation des indemnités kilométriques à des revenus au sens des textes applicables à la disproportion du cautionnement. Vaste problème à la solution, pour l’heure, incertaine.

L’hésitation s’explique en raison des liens étroits de l’indemnité kilométrique avec le salaire. Pour autant, difficile de concevoir cette indemnité comme un revenu conformément à l’article L. 332-1 du code de la consommation alors applicable. Comme le souligne la première branche du moyen, celle-ci n’opère qu’un remboursement. En d’autres termes, il ne s’agit pas de rémunérer le travail du salarié mais seulement de rééquilibrer l’appauvrissement de celui-ci qui a utilisé un moyen de transport à des fins professionnelles. La tentation est toutefois assez grande de considérer l’ensemble comme un tout plus ou moins indivisible. Le problème se pose, d’ailleurs, exactement avec la même acuité au sein du nouvel article 2300 du code civil applicable aux cautionnements conclus après le 1er janvier 2022.

La chambre commerciale règle de manière lapidaire le problème en précisant que « c’est à tort que l’arrêt a pris en considération des indemnités kilométriques comme étant des revenus » (pt n° 7). Précision étant faite, celle-ci n’a aucune conséquence sur la solidité de la motivation déployée par les juges du fond qui avaient rappelé en outre que le patrimoine de la caution était de 194 000 €. On peut, au moins légèrement, peiner à suivre complètement et correctement le raisonnement. Cette somme de 194 000 € correspond, en effet, à la valorisation des parts sociales détenues par le garant additionnée à ses revenus (soit 142 000 + 52 200, nous soulignons). La caution considérait toutefois qu’il convenait de ne prendre en compte que la somme de 140 580 € puisqu’elle ne détenait que 99 % de ladite société. Pourquoi avoir alors précisé en fin de motivation « même ramené à la somme de 192 580 € (140 580 + 52 200) » (pt n° 7, in fine, nous soulignons). Si les indemnités kilométriques ne sont pas des revenus, il n’aurait pas fallu prendre en compte la somme de 52 200 € mais seulement celle de 31 200 €. Quoi qu’il en soit, l’engagement serait plus ou moins proportionné puisque l’on aboutirait à une somme de 171 780 € (140 580 + 31 200) par rapport à un engagement cautionné de 130 000 €.

Ces données chiffrées doivent être mises de côté car elles n’ont qu’un faible intérêt au demeurant. Il était probablement très important que la chambre commerciale de la cour de cassation opère l’exclusion des indemnités kilométriques des revenus cités par l’article L. 332-1 ancien du code de la consommation. Le problème se pose, en effet, dans de nombreuses situations et cette clarification est la bienvenue. Intégrer cette somme dans les revenus de la caution reviendrait à gonfler artificiellement l’assiette alors que l’indemnité kilométrique ne fait que de compenser un appauvrissement lié à l’utilisation d’un véhicule personnel. Si la solution reste heureuse pour le droit ancien, elle n’en est pas moins pleinement transposable au droit nouveau de l’article 2300 du code civil issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés. La nouvelle mouture du texte évoque, en effet, comme référentiel les revenus et le patrimoine de la caution. Hier exclue de la base de calcul de la disproportion, l’indemnité kilométrique doit l’être aujourd’hui encore pour les cautionnements conclus après le 1er janvier 2022.

Quant aux revenus de l’époux n’ayant pas contracté, on retrouve une confirmation de jurisprudence désormais bien établie.

Les revenus de l’époux séparé de biens ne doivent pas être pris en compte

La question des revenus de l’époux est, elle aussi, délicate. Elle dépend, en l’état, du régime matrimonial choisi puisque dans les régimes communautaires le salaire est un acquêt de source qui vient augmenter la masse commune (v. sur la problématique un temps liée à l’application éventuelle de l’art. 1415 c. civ., P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 139, n° 126). Ce n’est évidemment pas le cas pour un régime séparatiste dans lequel une telle masse n’existe pas. Il est ainsi jugé que « la disproportion éventuelle de l’engagement d’une caution mariée sous le régime de la séparation des biens s’apprécie au regard de ses seuls biens et revenus personnels » (Com. 24 mai 2018, n° 16-23.036, nous soulignons, Dalloz actualité, 18 juin 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1148 ; ibid. 1884, obs. P. Crocq ; AJ fam. 2018. 482, obs. J. Casey ; ibid. 315, édito. V. Avena-Robardet ; AJ contrat 2018. 323 , obs. D. Houtcieff ; RDP 2018, n° 07, p. 132, obs. O. Salati ). L’arrêt du 9 juillet 2025 aboutit, au moins implicitement, à la même solution.

Là encore, toute la discussion repose sur une mention de la motivation de la décision d’appel qui n’a pas induit pour autant une erreur de calcul. Les juges du fond avaient simplement relevé que l’épouse percevait la somme de 32 000 € de revenus par an. Pourquoi avoir noté un tel élément sans pour autant s’en servir dans les calculs postérieurs ? La Cour d’appel de Poitiers ne prend, en effet, pas en compte ces 32 000 €. À raison d’ailleurs puisque, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, les revenus de l’époux séparé de biens qui n’est pas partie à l’acte de cautionnement n’ont pas à entrer dans la base de calcul. Le raisonnement du demandeur à la cassation était ainsi voué à l’échec car « il résulte de l’arrêt que la cour d’appel n’a pas pris en considération les revenus de l’épouse de la caution dans l’appréciation de la disproportion manifeste de l’engagement » (pt n° 8, nous soulignons). L’information relevée par les juges du fond n’aurait pas dû l’être mais elle n’a entraîné aucune conséquence pratique. Il n’y avait donc concrètement que peu de risques de cassation.

Rendu sous le prisme du droit ancien et de l’article L. 332-1 du code de la consommation applicable à la cause, l’arrêt étudié aujourd’hui est là encore parfaitement transposable au droit issu de l’ordonnance du 15 septembre 2021 (L. Bougerol et G. Mégret, Le guide du cautionnement 2022/2023, Dalloz, p. 226, n° 22.238). Le principal mérite de cette partie de l’arrêt reste de rappeler une solution bien connue mais qui engendre toujours son flot continuel de litiges devant les juridictions du fond. Les difficultés propres du droit patrimonial de la famille s’ajoutent, en effet, à la complexité du droit des sûretés. Le carrefour n’en reste pas moins essentiel pour la pratique. Dans le même ordre d’idées, rappelons par exemple que l’éventuelle disproportion de la caution séparée de biens s’apprécie également au regard de la quote-part de ladite caution dans les biens indivis (Civ. 1re, 19 janv. 2022, n° 20-20.467, Dalloz actualité, 31 janv. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 164 ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; ibid. 1828, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; Rev. prat. rec. 2022. 23, chron. O. Salati ; RTD civ. 2022. 181, obs. C. Gijsbers ).

Voici donc un arrêt fort intéressant aux enjeux pluriels, unis sous la même bannière de la disproportion du cautionnement. Les indemnités kilométriques, tout comme les revenus de l’époux séparé de biens qui n’est pas partie à l’acte, ne doivent pas entrer dans les calculs de l’article L. 332-1 ancien du code de la consommation ou du nouvel article 2300 du code civil applicable aux cautionnements conclus après le 1er janvier 2022.

 

Com. 9 juill. 2025, F-B, n° 23-24.019

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille

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