Dissolution d’une société créée de fait : compétence dans l’Union européenne
Sont compétentes les juridictions françaises saisies d’une demande de dissolution d’une société créée de fait dont le siège réel, défini comme le lieu de la direction effective de la société, est situé en France, en application de l’article 24, point 2, du règlement Bruxelles I bis.
Le règlement (UE) Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale énonce des cas de compétence exclusive par son article 24.
Ce dernier prévoit, en son point 2, qu’en matière de validité, de nullité ou de dissolution des sociétés ou personnes morales, ou de validité des décisions de leurs organes, sont seules compétentes, sans considération de domicile des parties, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel celles-ci ont leur siège ; et que pour déterminer le siège, le juge applique les règles de son droit international privé.
Ces dispositions visent les personnes morales mais également les sociétés sans autre précision, ce qui conduit à admettre qu’il importe peu qu’elles aient ou non la personnalité morale (H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 7e éd., LGDJ, 2024, n° 124 ; Rép. internat., v° Compétence judiciaire européenne, reconnaissance et exécution des décisions en matières civile et commerciale, par D. Alexandre et A. Huet, n° 71 ; J.-Cl. Europe Traité, v° Règlements CE n° 44/2001 et UE n° 1215/2012, par J.-P. Beraudo et M.-J. Beraudo, fasc. 3010, n° 53).
La Cour de cassation a précisément été saisie d’une affaire dans laquelle la société en cause était dépourvue d’une telle personnalité, s’agissant d’une société créée de fait, étant rappelé que l’article 1873 du code civil soumet les sociétés créées de fait aux dispositions régissant les sociétés en participation (sur l’ensemble, P. Merle et A. Fauchon, Droit commercial. Sociétés commerciales, 26e éd., Dalloz, 2022/2023, nos 724 s.).
Deux personnes physiques avaient en effet commencé l’activité sociale de la société qu’ils avaient décidé de constituer, avant d’être rejointes par trois autres personnes, dont l’une était domiciliée au Portugal et la seconde au Royaume-Uni, alors que la troisième était une société de droit britannique. En raison d’un désaccord sur la répartition du capital, l’une d’entre elles a saisi le Tribunal de commerce de Nanterre d’une action en dissolution de la société.
Or, la compétence de ce tribunal a été discutée, au motif que le siège de la société n’était pas situé en France, alors que l’article 26, point 2, du règlement Bruxelles I bis donne compétence, en matière de dissolution des sociétés, aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le siège est situé.
La question de la localisation du siège social est, il est vrai, récurrente en matière de sociétés, en particulier pour les sociétés pourvues de personnalité morale, le plus souvent lorsqu’il apparait que le siège statutaire et le siège réel sont situés dans deux États de l’Union européenne différents, avec le risque que les juridictions de ces deux États soient parallèlement saisies et retiennent des appréciations divergentes de la situation (sur cette difficulté, P. de Vareilles-Sommiers et S. Laval, Droit international privé, 11e éd., Dalloz, 2023, nos 1688 s.). La particularité de l’affaire jugée le 17 septembre 2025 provient toutefois de ce qu’il s’agissait d’une société créée de fait et que l’appréciation ne pouvait porter que sur la détermination du siège réel, en l’absence de siège statutaire.
L’arrêt mérite l’attention car même si la solution qu’il retient n’est pas surprenante, il semble que la Cour de cassation ne s’était pas encore prononcée à ce sujet.
Dans la mesure où l’article 24, point 2, renvoie au droit international privé du juge saisi pour déterminer la localisation du siège, l’arrêt se réfère au critère classique utilisé sur ce point en droit international des sociétés, notamment en matière de nationalité des sociétés, en rappelant que le siège réel correspond au « lieu de la direction effective de la société » (Cass., ass. plén., 21 déc. 1990, n° 88-15744, D. 1991. 305
, concl. H. Dontenwille
; AJDI 1993. 316
et les obs.
; Rev. crit. DIP 1992. 70, note G. Duranton
; RTD com. 1991. 506, obs. R. Blancher
; pour une présentation d’ensemble, M. Menjucq, Droit international et européen des sociétés, 7e éd., LGDJ, 2024, n° 23).
Or, en l’espèce, il résultait des constatations des juges du fond que ce lieu était situé en France, ce qui permettait de fonder la compétence des juridictions françaises en application de l’article 24, point 2, du règlement Bruxelles I bis.
Com. 17 sept. 2025, F-B, n° 23-17.595
par François Mélin, président de chambre à la Cour d'appel de Reims, Chargé d'enseignement à l'Université de Paris 8
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