Distribution d’eau potable : primauté de la responsabilité contractuelle

L’action en réparation d’un dommage causé par une fuite sur une canalisation de distribution d’eau potable est fondée sur les règles de la responsabilité contractuelle et non celle de la responsabilité sans faute des dommages causés par le fonctionnement d’un ouvrage public.

Les propriétaires d’une maison découvrent une fuite d’eau provenant de la canalisation d’eau potable enterrée sous leur propriété. L’origine de la fuite se trouve en amont de leur compteur individuel. Ils en informent la communauté d’agglomération qui gère en régie la distribution d’eau potable. Celle-ci assure une réparation provisoire à ses frais avancés et laisse à la charge des propriétaires victimes des désordres le coût de réfection de la canalisation défectueuse.

Les propriétaires assignent alors la collectivité en remboursement du montant des travaux qu’ils ont dû exposer pour la réparation de la canalisation défectueuse devant le tribunal judiciaire territorialement compétent. Depuis deux arrêts du 20 janvier 2003 du Tribunal des conflits, la question de la compétente du tribunal judiciaire ne fait plus débat puisqu’il est considéré que « eu égard aux rapports de droit privé nés du contrat d’abonnement qui lie le service public industriel et commercial de distribution d’eau potable à l’usage, il n’appartient qu’à la juridiction judiciaire de connaître des dommages causés à ce dernier à l’occasion de la fourniture de la prestation due par le service du fait de la rupture du branchement particulier desservant l’usager » (T. confl. 20 janv. 2003, nos 3327 et 3332, M. et Mme Fernandès c/ Syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable de Montrichard, Lebon ).

Quant à la communauté d’agglomération, elle défend sa position en se prévalant des dispositions du règlement de service d’eau potable lequel précise que le propriétaire de l’immeuble sur lequel est situé un branchement d’eau a la charge de sa garde, sa surveillance, sa réparation et qu’il doit entretenir les canalisations situées sur son terrain privé, y compris pour la partie en amont du compteur. Elle en déduit que l’abonné a donc l’obligation d’effectuer les travaux de réparation en cas de fuite sur cette partie des canalisations. Elle sollicite en outre à titre reconventionnel le remboursement des frais avancés pour la réparation provisoire.

La Cour d’appel de Chambéry a retenu la responsabilité de la communauté d’agglomération en considérant la canalisation défectueuse comme un ouvrage public, ce qui relevait à son sens du régime de responsabilité sans faute. Seule la qualification des canalisations en ouvrage public a conduit la cour d’appel à retenir la responsabilité de la communauté d’agglomération. Elle a donc été condamnée à la prise en charge de l’ensemble des réparations.

Faisant valoir les termes du règlement du service d’eau potable de la communauté d’agglomération, cette dernière se pourvoit en cassation. En effet, elle considère que les dispositions d’un tel règlement prévalent sur le régime de la responsabilité du fait de l’ouvrage public.

La question du fondement de la responsabilité est donc posée à la Cour de cassation qui doit opter entre d’une part, le régime sans faute permettant la condamnation du maître de l’ouvrage public en cause, et d’autre part, la responsabilité contractuelle qui suppose de démontrer une faute en lien avec le préjudice subi pour les propriétaires. Ces derniers faisaient valoir comme élément en faveur de la responsabilité liée à l’ouvrage public que la fuite était située en amont de leur compteur individuel et affirmaient, à l’instar des motifs de la Cour d’appel, qu’il était de jurisprudence constante que les canalisations d’adduction d’eau potable en amont des compteurs individuels sont des ouvrages publics (v. en ce sens, CE 22 janv. 1960, n° 19630 et jurisprudence constante depuis lors).

La prévalence du règlement de service d’eau potable

La Cour de cassation tranche en faveur de la responsabilité contractuelle au visa de notamment de l’article 1147 du code civil et fait totalement fi de la localisation de la fuite sur le réseau puisqu’elle affirme que la cour d’appel se devait de recherche « si le dommage résultait de l’inexécution par l’exploitant de ses obligations telles que définies par le règlement de service applicable ».

Elle considère ainsi que les propriétaires victimes de la fuite sont en relation contractuelle avec la communauté d’agglomération assurant la distribution d’eau potable.

Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence du Conseil d’État (CE 11 juill. 2001, Société des eaux du Nord, n° 221458, Lebon avec les conclusions ; AJDA 2001. 857 ; ibid. 853, chron. M. Guyomar et P. Collin ; ibid. 893, note G. J. Guglielmi ; D. 2001. 2810 , chron. J. Amar ; RTD civ. 2001. 878, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2002. 51, obs. G. Orsoni ) qui avait lui aussi affirmé qu’ « eu égard aux rapports juridiques qui naissent du contrat d’abonnement liant le distributeur d’eau et l’usager, ce dernier ne peut, en cas de dommage subi par lui à l’occasion de la fourniture de l’eau, exercer d’autre action contre son cocontractant que celle qui procède du contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans un vice de conception, de construction, d’entretien ou de fonctionnement de l’ouvrage public qui assure ladite fourniture».

Pour autant, cet arrêt vaut-il validation des clauses d’un règlement de service qui viendrait limiter la responsabilité du service d’eau potable ? En s’inspirant de l’arrêt du Conseil d’État précité, la question du caractère abusif de la clause limitant la responsabilité de la collectivité aurait mérité d’être posée, puisque les propriétaires ont la qualité de consommateurs dans cette affaire. Le juge administratif aurait pu être saisi par la voie d’une question préjudicielle afin qu’il statue sur le caractère abusif de cette clause du règlement au regard des dispositions des articles du code de la consommation, et notamment de son article R. 212-1 qui présume irréfragablement abusive les clauses qui ont pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations » (v. en ce sens, CAA Lyon, 22 sept. 2016, n° 15LY00662).

 

Civ. 3e, 4 sept. 2025, FS-B, n° 24-17.470

par Sandra Auffray, Avocat

© Lefebvre Dalloz