Domaine de l’action en restitution et inopportunité d’une action en revendication d’un bien échappant à l’effet réel de la procédure collective

La Cour de cassation rappelle que seul le propriétaire d’un bien faisant l’objet d’un contrat publié est dispensé d’agir en revendication. Elle en déduit que ne répond pas aux exigences de ce principe la publicité d’un avis d’attribution d’un marché public qui n’a ni pour objet ni pour effet de rendre opposable aux tiers le droit de propriété de la personne publique sur les biens confiés par celle-ci au titulaire du marché attribué pour son exécution. Au-delà, lorsque les biens sont destinés à l’exercice d’une mission de service public relevant de la sécurité nationale, ils échappent à l’effet réel de la procédure et ne constituent pas le gage commun des créanciers. Ainsi est-il inutile d’exercer une action en revendication sur ces biens.

La détermination de la composition du patrimoine d’un débiteur placé sous procédure collective est cruciale. Dans cette optique, les règles qui gouvernent la revendication des biens meubles par leur propriétaire tendent à concilier le respect du droit de propriété du revendiquant, les besoins de la poursuite d’activité de l’entreprise et l’intérêt collectif des créanciers. À tout le moins, ces raisons expliquent que l’article L. 624-9 du code de commerce impose au propriétaire de faire reconnaître son droit de propriété, par le biais d’une action en revendication, dans les trois mois suivant la publication du jugement d’ouverture au BODACC à peine d’inopposabilité. C’est dire que la mise en œuvre de cette action est cruciale pour le propriétaire, car à défaut, il prend le risque de voir son bien attrait par l’effet réel de la procédure collective et traité comme un bien relevant du gage commun des créanciers.

Par exception à ce qui précède, le propriétaire peut toutefois être dispensé d’avoir à faire reconnaître son droit de propriété à la procédure collective dans l’hypothèse où le contrat portant sur le bien dont il est propriétaire a fait l’objet d’une publicité (C. com., art. L. 624-10). Dans ce dernier cas, il peut se contenter « d’une simple » demande de restitution qui n’est enfermée dans aucun délai.

Reste que la dichotomie entre action en revendication et action en restitution n’a de sens que pour les biens qui, potentiellement, sont en mesure de constituer le gage commun des créanciers. Au vrai, il ne servirait à rien d’attendre du créancier une démarche tendant à rendre opposable son droit de propriété à la procédure collective, si le bien sur lequel s’exerce son droit ne peut pas, en toute hypothèse, être appréhendé par l’effet réel de la procédure.

Au demeurant, c’est précisément ce qu’affirme la Cour de cassation au sein de l’arrêt sous commentaire.

L’affaire

En l’espèce, la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) a attribué un marché public à un groupement composé de trois sociétés. L’une d’entre elles était chargée d’installer sur les aéronefs de la DGDDI un système de surveillance maritime. Par la suite, cette société a fait l’objet d’un redressement judiciaire le 4 mai 2017 avec un jugement d’ouverture publié au BODACC le 14 mai. Le 20 juillet 2017, la DGDDI a adressé à l’administrateur judiciaire une demande de revendication concernant l’un des aéronefs et le matériel d’équipement.

Une dizaine de jours plus tard, le tribunal a converti le redressement en liquidation judiciaire et le juge-commissaire, par une ordonnance du 26 septembre 2017, a autorisé la vente aux enchères des actifs de la liquidation judiciaire.

Le 25 octobre suivant, le liquidateur a informé la DGDDI qu’à défaut d’acquiescement de l’administrateur à sa demande de revendication et de saisine du juge-commissaire dans le délai légal, il considérait que le droit de propriété de l’État sur le matériel était inopposable à la procédure collective. En réponse, la DGDDI a saisi le juge-commissaire d’une action en revendication de son matériel le 22 novembre 2017. Hélas, la vente aux enchères des actifs mobiliers a eu lieu la semaine suivante et une société tierce a acquis le matériel litigieux.

Dans ce contexte, l’État a demandé la restitution des biens. Il a obtenu gain de cause auprès des juges du fond et l’affaire est portée en appel.

La position retenue par les juges du second degré se résume en deux points.

D’une part, selon la cour d’appel, la DGDDI devait être dispensée d’agir en revendication dans la mesure où le marché public conclu avec cette dernière avait fait l’objet d’une publicité au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP). D’autre part, surtout, les juges ont considéré que le matériel dont la DGDDI sollicitait la restitution était un bien dépendant du domaine public et, partant, hors du commerce juridique, échappant comme tel à l’effet réel de la procédure collective et au gage commun des créanciers. De cet argument, les juges du fond en déduisaient spécialement que la vente aux enchères intervenue était nulle.

Face à cet arrêt, le liquidateur s’est pourvu en cassation.

À l’appui de son pourvoi, le mandataire rappelait qu’en vertu de l’article L. 624-10 du code de commerce, le propriétaire d’un bien n’est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété que lorsque le contrat portant sur ledit bien a fait l’objet d’une publicité. Or, pour le liquidateur, la seule publication d’un avis d’attribution d’un marché public n’était pas de nature à dispenser le propriétaire d’agir en revendication à l’encontre de l’attributaire du marché. Le liquidateur indiquait notamment qu’il manquait à ladite publicité, pour l’application de l’article L. 624-10 du code de commerce, l’identification des parties et du bien dont la restitution était sollicitée.

En outre, le demandeur relevait que seuls faisaient partie du domaine public les biens meubles présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique. Or, selon le mandataire, tel n’était pas le cas du matériel aéronautique dont la DGDDI sollicitait la restitution, car ces biens, à destination militaire ou de surveillance, ne présentaient pas les caractéristiques des biens meubles dépendant du domaine public et susceptibles d’échapper en tant que tel à l’effet réel de la procédure collective.

Malheureusement pour le liquidateur, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

La solution

La solution posée par la Haute juridiction s’opère en deux temps, car si, d’une façon générale, elle approuve la position des juges du fond, elle y apporte néanmoins une correction fort intéressante.

D’une part, la Cour de cassation indique qu’en application de l’article L. 624-10 du code de commerce, seul le propriétaire d’un bien faisant l’objet d’un contrat publié – selon les modalités prévues à l’article R. 624-15 du même code – est dispensé d’agir en revendication. Ce faisant, contrairement à la cour d’appel, elle en déduit que ne répond pas aux exigences de ces dispositions, la publicité d’un avis d’attribution d’un marché public qui n’a ni pour objet ni pour effet de rendre opposable aux tiers le droit de propriété de la personne publique sur les biens confiés par celle-ci au titulaire du marché attribué pour son exécution.

En l’occurrence, la Haute juridiction suit ici la position du demandeur. Pour autant, le pourvoi est tout de même rejeté, et ce, en raison de la nature même des biens au cœur du litige.

Pour ce faire, la Cour de cassation précise que, selon l’article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les biens appartenant à l’État sont insaisissables. Plus encore, elle souligne qu’en vertu de l’article L. 3111-1 du même code, les biens qui appartiennent à l’État et relèvent du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles.

Or, de ces règles, il en est déduit que les biens du domaine public de l’État échappent à l’effet réel de la procédure collective et, partant, ne constituent pas le gage commun des créanciers. À tout le moins, c’est précisément pour cette raison que la DGDDI n’était alors pas tenue de procéder à une action en revendication du matériel litigieux : celui-ci étant insusceptible d’être appréhendé par la procédure collective, une action tendant à rendre opposable le droit de propriété était inutile.

Ce second aspect de la solution est logique : si un bien échappe à l’effet réel de la procédure, la question de sa revendication par son propriétaire n’a pas lieu d’être. À vrai dire, le commentaire pourrait s’arrêter sur ce point, car l’apport de l’arrêt y est logé. Cela étant, nous nous intéresserons tout de même au premier pan de la solution, dans la mesure où l’on y perçoit des précisions intéressantes sur le domaine des actions en restitution.

La logique : un bien échappant à l’effet réel n’a pas besoin d’être revendiqué !

Au regard de l’arrêt sous commentaire, il semblerait que lorsque des biens échappent au périmètre de la procédure collective, il n’est pas nécessaire pour le propriétaire d’exercer une action dont l’objet est de rendre opposable à la procédure son droit sur les biens litigieux.

Ce qui précède est logique, car il ne faut pas perdre de vue que l’objectif d’une action en revendication dans le contexte du droit des entreprises en difficulté est in fine de connaître le périmètre du gage commun des créanciers (Com., QPC, 7 févr. 2024, n° 23-19.029 ). Or, puisque les biens nous intéressant ne peuvent pas, par essence, intégrer ce gage, l’action en revendication perd en quelque sorte son sens !

Plus techniquement, la Cour de cassation fonde notamment cette solution sur les dispositions de l’article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques selon lequel tous les biens dont les personnes publiques sont propriétaires sont insaisissables (la référence à ce texte serait critiquable, car il ne concernerait que les biens immobiliers…, L. Erstein, Domaine public mobilier : why not ?, JCP A 2024. 304).

Dans une première approche, l’on comprend par-là que, dès lors qu’un bien est insaisissable, il échappe, par conséquent, au gage commun des créanciers et à l’effet réel de la procédure collective.

Il est vrai que le propos se vérifie, en certaines circonstances, même en présence d’une insaisissabilité qui ne serait que relative. Nous pensons ici à l’insaisissabilité légale de la résidence principale de l’entrepreneur individuel ou au bien immeuble de cette même personne qui aurait fait l’objet d’une déclaration notariée d’insaisissabilité (C. com., art. L. 526-1). Certes, l’insaisissabilité de ces biens n’est opposable qu’aux créanciers professionnels de l’entrepreneur, mais malgré cette relativité, pour la Cour de cassation, la présence de deux catégories de créanciers n’ayant pas les mêmes droits sur ces biens conduit à les exclure du gage commun des créanciers (par ex., Com. 13 avr. 2022, n° 20-23.165 F-B, Dalloz actualité, 12 mai 2022, obs. B. Ferrari ; D. 2022. 790 ; ibid. 1675, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; AJ fam. 2022. 391, obs. J. Casey ; Rev. sociétés 2022. 383, obs. F. Reille ).

En l’espèce, ce qui s’applique à une insaisissabilité « seulement relative » nous semble pouvoir être transposé – même si les logiques à l’œuvre sont fort différentes – à une insaisissabilité qui, au regard de la seule lettre de l’article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques, paraît absolue.

Il nous semble que la solution retenue s’explique encore par le biais de l’idée selon laquelle la procédure de traitement des difficultés serait une forme de voie d’exécution collective des biens qui constituent ce que l’on peut identifier comme étant le gage commun des créanciers. Or, comme toute voie d’exécution, il est logique qu’elle ne puisse concerner que le patrimoine saisissable du débiteur saisi (J.-Cl. Com., Liquidation judiciaire – conséquences de l’ouverture de la procédure – Régime, par J. Vallansan, fasc. 2702, spéc. n° 16).

Pour finir sur cet aspect de la solution, notons qu’un arrêt rendu le même jour que celui commenté permet d’asseoir un peu plus le raisonnement. En effet, il a été jugé qu’un aéronef appartenant au domaine public de l’État et affecté à une mission d’ordre public, lui aussi insaisissable en vertu de l’article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques et lui aussi inaliénable aux termes de l’article L. 3111-1 du même code, échappe au périmètre de la procédure collective de la personne à laquelle il avait été confié. Or, la Cour de cassation en déduit ici qu’il n’est pas susceptible de faire l’objet d’une vente par le liquidateur (Com. 23 mai 2024, n° 22-24.564 F-B, D. 2024. 1014 ).

À ce stade, nous comprenons alors qu’en l’espèce puisque le matériel échappait, par nature, à l’effet réel de la procédure collective, la question de sa revendication par son propriétaire n’avait pas lieu d’être posée.

En poursuivant l’analyse, il est possible de s’intéresser au premier pan de l’arrêt, où la Cour de cassation rejette, contrairement à ce qu’avait jugé la cour d’appel, la possibilité de l’exercice d’une action en restitution. Du reste, même si cela ne change rien à la solution portée par l’arrêt commenté, la formulation employée par la Haute juridiction est intéressante, car elle permet de revenir sur le domaine de l’action en restitution et, en miroir, celui de la dispense de revendication.

Remarques sur le domaine de l’action en restitution

Comme le rappelle la Cour de cassation, il résulte de l’article L. 624-10 du code de commerce que le propriétaire est dispensé d’agir en revendication afin de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur le bien a fait l’objet d’une publicité. Or, appliquant ce texte, la haute juridiction en déduit que la publicité d’un avis d’attribution d’un marché public au BOAMP n’entre pas dans la catégorie de la dispense prévue à l’article L. 624-10 du code de commerce.

Si le principe est clair, une lecture trop littérale de l’article L. 624-10 du code de commerce est toutefois piégeuse. À tout le moins, comme le souligne le professeur Lucas, « la dispense de revendication prévue au bénéfice du propriétaire partie à un contrat publié n’est en définitive qu’une application d’un principe plus général selon lequel lorsque la propriété a été rendue opposable par l’accomplissement de mesures de publicité, le propriétaire n’est pas tenu de revendiquer son bien » (F.-X. Lucas, note ss. Com. 27 mars 2024, n° 22-14.028 FS-B, Dalloz actualité, 29 avr. 2024, obs. L. Ngoune ; D. 2024. 637 ; LEDEN avr. 2024, n° DED202f5).

Autrement dit, la dispense de revendication nous paraît moins dépendre du fait qu’il s’agisse ou non d’un contrat publié que de l’objet et du but même de la publicité. En l’espèce, l’idée trouve son prolongement dans la formulation employée par la Cour de cassation qui, après avoir rappelé la lettre de l’article L. 624-10, indique que la publicité litigieuse n’avait ni pour objet ni pour effet de rendre opposable aux tiers le droit de propriété de la personne publique sur les biens confiés par celle-ci au titulaire du marché attribué pour son exécution.

Pour bien comprendre ce dont il est question, il faut revenir à l’essence des actions en revendication et restitution. En l’occurrence, il s’agit d’une action en reconnaissance du droit de propriété afin de rendre opposable ce droit à la procédure collective. Or, lorsqu’il existe, en marge de la procédure collective, une mesure qui rend le droit de propriété opposable à tous, le propriétaire du bien doit logiquement être dispensé d’avoir à revendiquer. Dans ce cas, il serait inutile d’imposer une démarche inhérente à la procédure collective au propriétaire du bien tendant au même but qu’une mesure qu’il a prise « en dehors » de cette procédure.

Mais encore faut-il que la démarche du propriétaire tende véritablement à l’opposabilité de son droit de propriété aux tiers ! Là était notamment le problème en l’espèce et c’est pour cette raison que la Cour de cassation précise logiquement que la publicité d’un avis d’attribution d’un marché public n’a ni pour objet ni pour effet de rendre opposable aux tiers le droit de propriété de la personne publique sur les biens confiés par celle-ci au titulaire du marché. Du reste, ladite publicité résulte des dispositions de l’article L. 2183-1 du code de commande publique qui prévoit que l’acheteur rende public le choix de l’offre retenue. Or, cette publicité ne tend pas à créer une quelconque opposabilité aux tiers du droit de propriété des biens qui sont l’objet du marché.

Pour ces raisons, il était donc impossible de reconnaître, sur ce fondement, une dispense d’agir en revendication au bénéfice du propriétaire des biens. Au demeurant, si la solution retenue est logique, elle s’accorde surtout parfaitement avec le sens de la jurisprudence quant au domaine de l’article L. 624-10.

D’abord, suivant la même logique que l’arrêt sous commentaire, l’on songe à une décision qui avait exclu du giron de l’article L. 624-10 du code de commerce l’enregistrement d’un contrat de cession auprès des services des impôts qui n’a pour seul effet que de donner date certaine à l’acte enregistré, mais non de permettre l’opposabilité du droit de propriété aux tiers (Com. 5 nov. 2013, n° 12-25.765, Dalloz actualité, 19 nov. 2013, obs. A. Lienhard ; Clavic (Sté) c/ Ramadier (Mme), D. 2013. 2638, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2014. 694, obs. A. Martin-Serf ).

Ensuite, pour confirmer l’idée selon laquelle la logique de la matière paraît davantage gouvernée par le sens de la mesure rendant opposable le droit de propriété que par la présence à proprement parler d’un contrat publié, la Cour de cassation a récemment jugé que puisque l’inscription d’un aéronef au registre français d’immatriculation ouvert à la Direction générale de l’aviation civile rendait le droit de propriété portant sur le bien opposable à tous, son propriétaire était dispensé d’avoir à revendiquer, et ce, même en l’absence d’un contrat publié à proprement parler (Com. 27 mars 2024, n° 22-14.028 FS-B, Dalloz actualité, 29 avr. 2024, obs. L. Ngoune ; D. 2024. 637 ; LEDEN avr. 2024, n° DED202f5, note F.-X. Lucas).

En définitive, envisager une dispense de revendication en prenant pour motif la publicité de l’avis d’attribution du marché public était donc impossible. Cette dernière ne permettait pas notamment l’accès à tous à l’information de l’identité du propriétaire du bien. Mais était-ce à dire que l’État devait revendiquer ses biens ? Non, car, comme nous l’avons vu, le bien échappait, par essence, à l’effet réel de la procédure collective !

 

Com. 23 mai 2024, F-B, n° 22-24.565

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