Dommages aux existants nés des travaux neufs : la ligne de partage confortée

Conformément à l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances, l’assurance obligatoire ne garantit les dommages à l’ouvrage existant provoqués par la construction d’un ouvrage neuf que dans le cas d’une indivisibilité technique des deux ouvrages et si celle-ci procède de l’incorporation totale de l’existant dans le neuf. Ces deux conditions sont, ainsi, cumulatives et les dommages subis par l’ouvrage existant ne sont pas garantis lorsque c’est l’ouvrage neuf qui vient s’y incorporer.

La définition des frontières entre le droit commun et le droit spécial est toujours délicate. Elle génère en matière de construction depuis quelques années d’intenses débats. Si la Cour de cassation a clairement pu avoir une tendance à l’extension du champ des responsabilités des constructeurs et des assurances obligatoires y afférentes (assurance de responsabilité décennale et assurance dommages ouvrages), l’année 2024 est marquée par un retour à une certaine orthodoxie par un meilleur respect des limites légales du champ du droit spécial de la construction. On ne peut en effet commenter cet arrêt sans évoquer le lien qu’il entretient avec celui rendu le 21 mars dernier (Civ. 3e, 21 mars 2024, n° 22-18.694 FS-BR, Dalloz actualité, 5 avr. 2024, obs. G. Casu ; D. 2024. 640 ; RDI 2024, p. 184, note C. Charbonneau ). Dans cet arrêt, la Cour de cassation a abandonné sa jurisprudence très contestée ayant admis l’application de la responsabilité décennale pour des travaux ne relevant pourtant pas de la qualification d’ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil. Revenant à l’épure originelle, elle a admis à nouveau que les dommages affectant les travaux ayant conduit à la pose d’un équipement dissociable dans un immeuble existant ne pouvaient relever de la qualification d’ouvrage et devaient donc être soumis à la seule responsabilité de droit commun.

C’est dans cette perspective que s’inscrit le présent arrêt qui, cette fois-ci en matière d’assurance construction, écarte l’application de l’assurance de responsabilité décennale pour réparer les dommages nés de travaux neufs dès lors que les conditions expressément exigées par le législateur à l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances ne sont pas remplies.

En l’occurrence, il s’agissait de savoir si les dommages affectant la charpente d’un immeuble existant, non objet des travaux, pouvaient relever de l’assurance de responsabilité décennale du constructeur qui avait posé une nouvelle couverture en tuile.

Il convient, en premier lieu, d’indiquer que l’applicabilité de la responsabilité décennale ne faisait pas débat ici. Changer la couverture d’un immeuble conduit à la réalisation d’un ouvrage de construction de manière certaine dès lors que la nouvelle couverture relève des fonctions essentielles du bâtiment (clos-structure-couvert).

Aussi, il ne fait pas de doute que le dommage qui affecterait cette nouvelle couverture relèverait de la responsabilité décennale si la gravité requise était démontrée. Il serait encore certain que l’assurance obligatoire du constructeur trouverait alors à s’appliquer.

En revanche, la couverture des dommages affectant les parties existantes du bâtiment est plus délicate. Il est, à ce jour, acquis que la Cour de cassation a eu, concernant ces dommages affectant les existants, une lecture extensive du champ d’application de la responsabilité décennale. La question traitée par l’arrêt considéré tenait cependant, non au régime de la responsabilité, mais à la couverture assurantielle de ces dommages. L’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005 a en effet introduit dans le code des assurances un article L. 243-1-1 dont le second paragraphe encadre strictement l’application des assurances obligatoires pour les dommages causés aux existants.

Le principe est simple : l’assurance obligatoire n’a pas vocation à garantir les dommages aux existants. Le texte énonce ainsi que « Ces obligations d’assurance [assurance dommages ouvrage et assurance de responsabilité décennale] ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier ».

Ce n’est qu’à titre d’exception (dont il doit être rappelé qu’elle est d’interprétation stricte comme l’a d’ailleurs rappelée la Cour de cassation en interprétant le paragraphe du même article L. 243-1-1 du code des assurances, Civ. 3e, 22 juin 2023, n° 21-10256 P, Dalloz actualité, 12 juill. 2023, obs. C. Charbonneau ; D. 2023. 1262 ; RDI 2024. 96, obs. J. Roussel ) que la loi envisage l’application des assurances obligatoires en énonçant, « à l’exception de ceux [les ouvrages existants] qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».

Ce sont ces conditions qui étaient ici discutées. La cour d’appel avait cru pouvoir condamner l’assureur de responsabilité décennale du couvreur en estimant que « la couverture installée sur la charpente forme avec elle un tout indivisible pour constituer la toiture, de sorte que la garantie décennale doit s’appliquer, sans que puissent être opposées les dispositions de l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances ».

Cette lecture, défiant les conditions d’application du texte, est ici clairement censurée par la Cour de cassation, qui casse l’arrêt d’appel pour n’avoir pas caractérisé les conditions exigées par la loi qu’elle rappelle à l’occasion de deux motifs enrichis. Le motif 8 est un simple rappel à la loi : « Conformément à l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances, l’assurance obligatoire ne garantit les dommages à l’ouvrage existant provoqués par la construction d’un ouvrage neuf que dans le cas d’une indivisibilité technique des deux ouvrages et si celle-ci procède de l’incorporation totale de l’existant dans le neuf ». Le motif 9 est, quant à lui, aussi conforme au texte mais son rappel conduit à souligner la stricte rigueur exigée pour admettre l’application de l’assurance de responsabilité décennale pour les dommages affectant les existants : « Les deux conditions sont, ainsi, cumulatives et les dommages subis par l’ouvrage existant ne sont pas garantis lorsque c’est l’ouvrage neuf qui vient s’y incorporer ».

Quand bien même cet arrêt ne fait que rappeler les conditions qui figurent dans la loi, il est bienvenu. La Cour rappelle les conditions nécessaires pour admettre l’application de l’assurance de responsabilité décennale.

L’assurance de responsabilité décennale suppose, d’abord, que soient caractérisées les conditions d’admission de la responsabilité décennale : les travaux neufs doivent constituer un ouvrage et cet ouvrage neuf doit causer aux existants un dommage de gravité décennale.

Elle suppose, ensuite, que les deux ensembles (parties existantes et parties neuves) soient totalement incorporées, de sorte qu’elles soient toutes deux indivisibles. C’est en effet là un point central qui justifie l’extension de l’assurance de responsabilité décennale. C’est cette impossibilité de distinguer l’ancien du neuf qui conduit à l’applicabilité de l’assurance obligatoire. Telle est la première condition.

En l’espèce, il est patent que cette condition n’est pas réalisée. Il s’agit en effet de la « pose » de tuile sur une charpente existante. La cour d’appel de renvoi ne pourra que constater que la condition n’est pas caractérisée.

Elle suppose, encore, que l’incorporation réponde aux exigences de la loi. En effet, l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances exige que ce soit l’existant qui s’incorpore dans le neuf, et non l’inverse. Là encore, la Cour de cassation se montre légaliste et respecte strictement, littéralement la loi en affirmant que « les dommages subis par l’ouvrage existant ne sont pas garantis lorsque c’est l’ouvrage neuf qui vient s’y incorporer ».

En l’espèce, la condition ne pourra donc en aucune manière être caractérisée. En effet, il est certain que, et sauf à abolir les règles de l’apesanteur, ce sont bien les existants qui ont accueilli la nouvelle couverture. À supposer même qu’il soit considéré que les nouvelles tuiles sont incorporées à la charpente, ce qui est déjà impossible, il est acquis que ce sont les tuiles qui se seraient incorporées à la charpente et non l’inverse. Pour cette raison encore, la cour de renvoi ne pourra que constater que la seconde condition cumulative n’est pas caractérisée.

Quelle est donc la portée de cet arrêt ? Majeure, mais attendue et légitime, si l’on croit encore qu’il appartient au juge d’appliquer la loi en l’interprétant, certes, mais sans jamais en dénaturer la portée.

L’assurance de responsabilité décennale couvre les dommages affectant l’ouvrage réalisé mais pas les dommages aux existants. Tel est le principe posé par le législateur. Pour admettre, à titre d’exception, son extension aux existants, le juge doit constater l’incorporation de l’existant dans le neuf. Dans les deux derniers arrêts rendus, cette condition n’était pas réalisée, qu’il s’agisse de l’arrêt du 25 juin 2020 (charpente neuve posée sur les murs périphériques existants, Civ. 3e, 25 juin 2020, n° 19-15.153, RDI 2020. 604, obs. J. Roussel ) ou celui du 16 février 2022 (Civ. 3e, 16 févr. 2022, n° 20-20.988, RDI 2022. 231, obs. C. Charbonneau ). En revanche, elle avait été caractérisée dans le troisième et dernier arrêt (Civ. 3e, 14 sept. 2017, n° 16-23.020 ; RGDA 2017. 558, obs. P. Dessuet) rendu sur le fondement de ce texte.

Par ailleurs, et c’est là une première affirmation prétorienne, le sens de l’incorporation est aussi essentiel. C’est l’existant qui doit s’incorporer dans le neuf, ce qui n’est pas le cas d’un insert dans une maison existante ou d’un panneau photovoltaïque sur une toiture d’un immeuble existant ou encore, comme en l’espèce, de tuiles posées sur une charpente existante. C’est de manière rare que la situation sera caractérisée, comme par exemple la réfection du siège du Crédit Lyonnais après son incendie, les travaux neufs ayant incorporé les façades et l’escalier monumental, seules parties ayant résisté à l’incendie.

Les dommages aux existants non incorporés ne pouvant pas relever de l’assurance de garantie décennale des constructeurs, ils ne pourront relever que de la garantie facultative des dommages, qui peut être souscrite dans les polices d’assurance obligatoire. Cette garantie a justement pour finalité de couvrir les existants non incorporés.

Il doit enfin être souligné que la garantie principale n’étant pas applicable, l’applicabilité de la garantie facultative dommages immatériels consécutifs est également remise en cause dans le cas d’espèce (motif n° 14). Il est donc probable que le juge du fond constatera que l’assurance de garantie décennale obligatoire n’est pas applicable (faute d’incorporation a fortiori de l’immeuble existant dans la couverture). Il devra donc rechercher si une garantie facultative couvrant les existants a été souscrite et a vocation à s’appliquer au regard des règles d’application dans le temps des garanties facultatives. Il pourra ensuite déterminer si la garantie dommages immatériels consécutifs peut trouver à s’appliquer en raison de l’application de la garantie dommages aux existants si elle a été souscrite et, là encore, en considérant les règles d’application dans le temps de la police (base réclamation en l’occurrence).

 

Civ. 3e, 30 mai 2024, FP-B, n° 22-20.711

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