Douanes : pas de prorogation de compétence matérielle en cas d’infraction connexe découverte

Les agents des douanes habilités ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires que sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction visant les infractions mentionnées par l’article 28-1-I, 1° à 7° du code de procédure pénale, et le cas échéant, en application du I, 8°, les infractions qui leur sont connexes.

L’hypothèse d’une prorogation de compétence matérielle dérogatoire aux règles de la saisine in rem en cas de découverte d’infraction connexe est une question qui a animé la doctrine, mais dont la Cour de cassation n’avait, à notre connaissance, pas encore eu à répondre. C’est maintenant chose faite, du moins en matière de compétence des agents des douanes.

Les faits de l’espèce

Les 31 août et 15 octobre 2012, le traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) a émis deux notes pourtant sur l’acquisition d’un terrain à bâtir par la société SMA Environnement (SMAE).

Le 6 novembre 2012, à la suite de ces notes, le procureur de la République a, par soit-transmis saisi le Service national des douanes judiciaires (SNDJ) pour enquêter sur ces faits susceptibles de caractériser le délit d’abus de biens sociaux et de blanchiment d’abus de biens sociaux.

Le 20 février 2015, dans un rapport de synthèse, le SNDJ a conclu à l’absence d’abus de biens sociaux. Néanmoins, il a fait état d’investigations complémentaires pouvant révéler d’autres acquisitions illicites. Il a notamment établi que le président de la SMAE avait fait acheter à la société un terrain dont il était propriétaire avec son épouse, à un prix supérieur à celui du marché, pour ensuite continuer d’occuper seul le logement, en vertu d’un bail d’habitation conclu avec la SMAE, pour un loyer anormalement faible. Afin d’établir ces faits, les enquêteurs du SNDJ avaient procédé à des réquisitions à la brigade de contrôle et de recherche de la direction générale des finances publiques, réalisé un transport sur les lieux et entendu le président de la société et son épouse sous le régime de la garde à vue.

Faisant suite à ce rapport, le procureur de la République a saisi le SNDJ, afin de poursuivre l’enquête sur ces faits.

La procédure

Le président de la société a finalement été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d’abus de biens sociaux pour avoir acheté pour le compte de la société SMAE un bien immobilier, dont il était propriétaire avec son épouse, à un prix supérieur à celui du marché et bénéficié après cette vente d’un contrat de bail à des conditions contraires à l’intérêt social.

Le 23 septembre 2021, le tribunal correctionnel a prononcé l’annulation de l’ensemble de la procédure. Appel de cette décision a été interjeté par le procureur de la République.

Par arrêt du 5 avril 2022, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé le jugement et rejeté l’exception de nullité selon laquelle l’enquête du SNDJ n’avait pas été régulièrement menée. Les juges du fond ont estimé que les faits objets de la poursuite étaient connexes à ceux visés dans le soit-transmis initial et en a déduit que les enquêteurs du SNDJ étaient compétents pour conduire les investigations sur ces faits antérieurement à la réquisition supplétive.

Le président de la société a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Au soutien de son pourvoi, il estime en substance qu’en application de l’article 28-1 du code de procédure pénale, les agents des douanes ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires sur des infractions connexes à celles énumérées dans l’article 28-1, I, 1° à 7°, que sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction. Il considère donc que l’éventuelle connexité des faits ne leur permettait pas d’enquêter sur des faits non visés dans le soit-transmis initial en l’absence de toute nouvelle réquisition du parquet et qu’en statuant en sens contraire, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

La question de la prorogation de compétence matérielle en cas de découverte de faits connexes

Se posait ainsi à la Cour de cassation la question de savoir si les enquêteurs du SNDJ pouvaient enquêter sur des faits non prévus dans le soit-transmis, mais connexes avec ceux visés par ce dernier. La connexité des faits nouveaux avec les faits visés par le soit-transmis permettait-elle d’étendre la compétence des agents des douanes, sans réquisitions supplétives du ministère public ?

Par son arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation répond par la négative. Elle casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Au visa de l’article 28-1 du code de procédure pénale et d’un attendu de principe, elle rappelle qu’il résulte de ce texte que les agents des douanes habilités ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires que sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction visant les infractions mentionnées par le I, 1° à 7°, et le cas échéant, en application du I, 8°, les infractions qui leur sont connexes. Elle ajoute qu’en acceptant la prorogation de compétence des agents à des faits non visés par le soit-transmis initial, en se fondant sur la connexité de ces derniers avec les faits nouveaux objets de la poursuite, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants et méconnu le texte et le principe susvisé.

La Haute juridiction va plus loin et casse sans renvoi, appliquant directement la règle de droit pour mettre fin au litige comme lui permet l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire.

Il résulte ainsi de cet arrêt que les enquêteurs du SNDJ ne sauraient enquêter sur des faits dont ils ne sont pas saisis, même si ces derniers présentent un lien de connexité avec les faits pour lesquels ils sont compétents.

La règle stricte de la saisine in rem

Selon l’article 28-1 du code de procédure pénale, les agents des douanes de catégories A et B, spécialement désignés par arrêté des ministres chargés de la Justice et du Budget, pris après avis conforme d’une commission dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par décret en Conseil d’État, peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction. Ces agents sont compétents pour rechercher et constater, sur l’ensemble du territoire national, des infractions limitativement énumérées par le texte (C. pr. pén., art. 28-1, I, 1° à 7°) et les infractions leur étant connexes (C. pr. pén., art. 28-1, I, 8°). Cet article prévoit donc des règles de saisine in rem. Les agents sont saisis des faits mentionnés dans le réquisitoire ou la commission rogatoire. Ils ne sont pas saisis in personam. Leurs pouvoirs d’enquête ne s’étendent pas à toutes les infractions ayant pu être commises par la personne objet du réquisitoire ou de la commission rogatoire, ils sont limités aux faits visés dans ces actes. Ainsi, en cas de faits nouveaux, les agents auraient dû en référer au procureur pour que ce dernier les saisisse de ces faits, quand bien même il existait une relation de connexité avec les faits objet de leur saisine initiale. Il se déduit de cet arrêt que le huitièmement de l’article 28-1, I du code de procédure pénale n’a pas pour effet une prorogation de compétence dérogatoire aux règles de la saisie in rem. Il permet seulement aux agents des douanes d’enquêter sur des infractions non comprises dans la liste limitative de l’article 28-1, I, si elles sont connexes à l’une des infractions y étant mentionnées. Ainsi, un agent des douanes régulièrement saisi pourrait enquêter sur un abus de faiblesse (infraction non énumérée par l’art. 28-1, I), mais connexe à des faits de blanchiment (infraction mentionnée à l’art. 28-1, I, 5°).

Parallèle avec les règles de compétence du juge d’instruction

L’article 80 du code de procédure pénale prévoit également la saisie in rem du juge d’instruction. Le troisième alinéa de ce texte prévoit qu’en cas de faits nouveaux portés à la connaissance du juge d’instruction, celui-ci doit immédiatement communiquer au procureur de la République les plaintes ou les procès-verbaux qui les constatent. Dans ce cas, le procureur de la République peut notamment requérir du juge d’instruction, par réquisitoire supplétif, qu’il informe sur ces nouveaux faits. Antérieurement à ce réquisitoire supplétif, le juge d’instruction ne peut effectuer que des vérifications sommaires exclusives de toute contrainte, pour apprécier la vraisemblance des faits (Crim. 6 févr. 1996, n° 95-84.041 P, D. 1996. 198 , note J. Pradel  ; ibid. 262, obs. J. Pradel  ; Rev. sociétés 1997. 125, note B. Bouloc  ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac  ; Justices 1996, n° 4, p. 286, chron. Rebut ; JCP 1996. II. 22634, note Chambon ; Procédures 1996. Comm. 94, obs. Buisson ; Dr. pénal 1996. Comm. 74, obs. Maron ; 30 mai 1996, n° 95-85.954 P, D. 1996. 167  ; ibid. 167  ; RSC 1996. 880, obs. J.-P. Dintilhac  ; Dr. pénal 1996. Comm. 169 et 174, note Maron ; 1er déc. 1998, n° 98-83.566 P, RTD com. 1999. 777, obs. B. Bouloc  ; JCP 1999. I. 151, chron. Maron ; 10 mai 2001, Procédures 2001. Comm. 180, obs. Buisson ; Dr. pénal 2002. Chron. 7, obs. Marsat). En l’espèce, les agents des douanes avaient dépassé les simples vérifications sommaires puisqu’ils avaient, entre autres, entendu le mis en cause et son épouse sous le régime de la garde à vue.

En matière de compétence du juge d’instruction, la seule exception concerne les faits indivisibles. La Cour de cassation a pu affirmer que lorsque la compréhension du mécanisme de blanchiment ne peut être conçue à compter des seuls actes commis sur le territoire national, qui ne prennent sens qu’au regard de la mise en évidence des actes commis à l’étranger, ces actes étant indivisibles et constituant une opération unique, le juge d’instruction est autorisé à informer sur l’ensemble des faits, alors même que le réquisitoire n’aurait visé que les faits commis sur le territoire national. (Crim. 13 oct. 2020, n° 20-81.199 P, Dalloz actualité, 24 nov. 2020, obs. M. Dominati ; RSC 2021. 132, obs. P.-J. Delage ).

Néanmoins, la question reste entière en matière de connexité, la Cour de cassation n’ayant jamais été amenée à répondre à cette interrogation (H. Christodoulou, Analyse critique des notions de connexité et d’indivisibilité en procédure pénale, Dr. pénal 2022, n° 12). La doctrine, quant à elle, émet des opinions différentes (H. Christodoulou). Si le professeur Pradel estimait que « le juge peut étendre sa saisine aux infractions connexes à celle dont il était initialement saisi, sans réquisitions supplétives du ministère public » (J. Pradel, L’instruction préparatoire, Cujas, 1990, p. 262), d’autres auteurs s’opposent à tout effet dérogatoire de la connexité (v. not., C. Guéry, Aux confins du droit et de la procédure pénale : la relative liberté de qualification du juge d’instruction, D. 1996. 335  ; O. Décima, L’identité de faits en matière pénale, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèses », 2008, vol. 74, 119, § 786). Sans pêcher par excès d’analogie, cet arrêt semble aller dans le sens d’une absence d’effet de la connexité sur les règles de saisine du juge d’instruction.

En tout état de cause, il faut retenir que la connexité ne permet pas de déroger aux principes de saisie in rem, posés par l’article 28-1 du code de procédure pénale.

 

© Lefebvre Dalloz