Double délai de prescription pour l’action judiciaire en rétrocession !

L’action judiciaire en rétrocession doit être engagée dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet et dans le délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation.

 

 

Civ. 3e, 19 sept. 2024, FS-B, n° 23-20.053

Des parcelles font l’objet d’une procédure d’expropriation et leurs propriétaires en sont déclarés expropriés par une ordonnance du 15 mars 1988 du juge de l’expropriation précisant la destination des parcelles.

Quelques années plus tard, ces expropriés s’aperçoivent que la destination prévue à la déclaration d’utilité publique n’avait pas été entièrement respectée. Ils sollicitent alors la rétrocession auprès de la mairie par un courrier du 26 février 2018.

La commune n’ayant pas donné suite à cette demande, les anciens propriétaires l’assignent le 27 juin 2018, devant le tribunal judiciaire, aux fins de rétrocession des parcelles.

Ils sont déboutés de leur demande tant en première instance qu’en appel au motif qu’elle est irrecevable en raison de la prescription attachée à l’action en rétrocession.

Le droit de rétrocession

Le droit de rétrocession est encadré par les dispositions de l’article L. 421-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Ce droit permet de s’assurer du respect de l’équilibre entre le droit de propriété et la réalisation d’un projet d’intérêt public. En effet, le transfert forcé de la propriété ne peut être fondé que sur la réalisation d’un projet d’intérêt public (Protocole additionnel à la Conv. EDH, art. 1er ; C. expr., art. L. 132-1). Aussi, il est logique qu’en cas de non-réalisation de ce projet, le propriétaire bénéficie d’un droit de rétrocession.

Aux termes de l’article L. 421-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, l’action est conditionnée à la preuve de la non-réalisation de la destination ayant fondé l’expropriation au terme d’une période de cinq ans à compter de l’ordonnance du juge de l’expropriation et doit être introduite dans un délai de trente ans à compter de cette même ordonnance.

L’article R. 426-1 du même code ajoute une condition puisque le recours en rétrocession doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision administrative de rejet.

C’est ce double délai qui a mal été appréhendé par les demandeurs expropriés.

En effet, ils considéraient que la demande préalable au recours judiciaire, faite auprès de la mairie, était interruptive de prescription et faisait donc courir un nouveau délai de prescription.

La Cour de cassation rejette ce moyen considérant que cette demande préalable n’est pas interruptive (ni même suspensive) du délai d’action de trente ans.

Il en résulte que le recours en rétrocession doit être introduit dans le double délai de deux mois à compter de la notification de la décision administrative de rejet (C. expr., art. R. 421-6) et de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation (art. L. 421-1 du même code).

La Cour de cassation est décidément stricte sur le régime de l’expropriation (en ce sens, Civ. 3e, 4 juill. 2024, n° 23-16.019, Dalloz actualité, 20 sept. 2024, obs. S. Auffray ; D. 2024. 1334 ; 23 mai 2024, n° 22-24.183, RDI 2024. 444, obs. R. Hostiou ).

Conseil pratique

Il faut donc avoir à l’esprit le rétroplanning suivant : le recours auprès de la mairie doit être engagé à vingt-neuf ans et dix mois maximum de sorte qu’au plus tard la décision de rejet implicite intervienne dans le délai de recours de trente ans.

 

© Lefebvre Dalloz