Droit à un tribunal impartial : la Cour de cassation confirme sa jurisprudence
Par un arrêt du 6 mars 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence quant à la notion d’impartialité d’un magistrat et la demande de récusation d’un magistrat devant la Cour de cassation, ainsi que sur l’erreur matérielle causant une contradiction entre la motivation et les motifs d’un arrêt d’appel.
Le tribunal correctionnel a condamné le demandeur pour harcèlement moral à une peine de huit mois d’emprisonnement avec sursis probatoire de trois ans avec exécution provisoire et a prononcé sur les intérêts civils. Le condamné a interjeté appel de ce jugement et le ministère public a formé appel incident. La cour d’appel a confirmé la condamnation. Le demandeur a formé un pourvoi en cassation.
La demande de récusation d’un magistrat devant la Cour de cassation
Or, dans cette affaire, le président de la chambre correctionnelle de la cour d’appel ayant prononcé la condamnation précitée était également le juge de l’application des peines dans le même dossier. Selon le moyen, en se prononçant avec une telle composition, la chambre correctionnelle a violé le droit à un tribunal impartial.
Ici, la Cour de cassation affirme que la demande tendant à voir prononcer l’impartialité du magistrat est irrecevable au stade de la cassation, car le demandeur n’a pas exercé de demande de récusation dudit magistrat au stade de l’appel. La Cour se fonde sur l’article 668 du code de procédure pénale, disposant que tout juge peut être récusé s’il a « connu du procès comme magistrat, arbitre ou conseil, ou s’il a déposé comme témoin sur les faits du procès » (C. pr. pén., art. 668). En effet, toute partie à l’instance qui veut récuser un ou plusieurs juges du tribunal correctionnel, des conseillers de la cour d’appel ou de la cour d’assises doit présenter une requête en ce sens au premier président de la cour d’appel, à peine de nullité (C. pr. pén., art. 669).
La Cour reste dans la lignée de sa jurisprudence constante, selon laquelle le demandeur ne saurait mettre en cause devant la Cour de cassation l’impartialité des juges composant le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels, dès lors qu’il n’a pas usé de la possibilité d’en obtenir le respect en récusant ces magistrats en application de l’article 668 (Crim. 9 sept. 2009, n° 08-87.312 ; 2 mars 2011, n° 10-83.257, Dalloz actualité, 8 avr. 2011, obs. M. Léna ; AJ pénal 2011. 533, obs. M. Herzog-Evans
; 5 avr. 2018, n° 17-83.166, Dalloz actualité, 30 avr. 2018, obs. W. Azoulay ; D. 2018. 851
; RSC 2018. 457, obs. F. Cordier
).
Le demandeur n’est pas recevable à mettre en cause, devant la Cour de cassation, les magistrats de la cour d’appel en invoquant l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’il n’a pas usé de la faculté de demander la récusation en application de l’article 668 (Crim. 12 mars 2014, n° 13-81.273, Dalloz actualité, 31 mars 2014, obs. C. Fonteix ; D. 2014. 724
).
L’impartialité d’un magistrat composant une chambre correctionnelle et ayant statué en tant que juge d’application des peines
La Cour de cassation estime ici que l’impartialité du magistrat ne peut être remise en cause du fait qu’il ait statué sur les modalités de la peine prononcée en premier ressort à l’encontre du demandeur. En effet, la Cour affirme qu’il n’a pas connu de l’affaire au sens de l’article L. 111-9 du code de l’organisation judiciaire. Cet article dispose que « Ne peut faire partie d’une formation de jugement du second degré le juge qui a précédemment connu de l’affaire en premier ressort » (COJ, art. L. 111-9). Ainsi, il est nécessaire que le magistrat n’ait pas précédemment « connu de l’affaire en premier ressort » pour faire partie de la composition de la chambre correctionnelle de la cour d’appel. En l’espèce, le demandeur estime que le magistrat avait bel et bien connu de l’affaire en premier ressort puisqu’il s’était prononcé sur les modalités de la peine prononcée à son encontre. À l’inverse, la Cour estime que le magistrat n’avait pas connu de l’affaire en premier ressort, au sens des dispositions précitées, puisqu’il n’avait pas statué sur la culpabilité en tant que telle du demandeur.
Ainsi, avoir « connu de l’affaire en premier ressort » signifie avoir connu de l’affaire sur le fond, et non sur l’application des peines prononcées. Dans le même sens, il a été jugé qu’un magistrat composant la juridiction correctionnelle et ayant précédemment statué en qualité de juge des référés sur l’action civile opposant le prévenu aux parties civiles ne viole pas le principe d’impartialité (Crim. 16 juin 1988, n° 87.82-682).
La contradiction entre les motifs et la motivation de l’arrêt d’appel
En l’espèce, l’arrêt d’appel a confirmé le jugement, en condamnant le demandeur à un emprisonnement de huit mois, assorti d’un sursis probatoire de trois ans. Or, l’arrêt d’appel énonçait que le jugement avait prononcé une peine de dix mois d’emprisonnement et une durée de suivi de trois ans. Le demandeur affirme donc que l’arrêt d’appel se contredit entre, d’une part, sa motivation et, d’autre part, son dispositif. Cette contradiction vaut défaut de motifs, en violation de l’article 593 du code de procédure pénale.
Cet article dispose que les arrêts sont déclarés nuls « s’ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle » (C. pr. pén., art. 593). En invoquant le moyen précité, le demandeur suit une jurisprudence constante selon laquelle « la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à leur absence » (Crim. 27 juin 2001, n° 00-87.414, Rev. sociétés 2001. 873, note B. Bouloc
; RSC 2002. 339, obs. J.-F. Renucci
; RTD com. 2002. 180, obs. B. Bouloc
; ibid. 694, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard
; 3 oct. 2012, n° 12-82.498, Dalloz actualité, 6 nov. 2012, obs. M. Bombled ; D. 2012. 2450
; ibid. 2013. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin
).
Toutefois, la Cour de cassation juge ici que la mention d’une mesure de sursis probatoire de dix mois dans la motivation de l’arrêt relève manifestement d’une erreur matérielle, et que seul le dispositif exprime la décision. La Cour reste par là même dans sa ligne jurisprudentielle selon laquelle l’erreur matérielle ne saurait donner ouverture à cassation. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante de la chambre criminelle que lorsque la contradiction entre les motifs et la motivation d’un arrêt d’appel résulte d’une erreur matérielle, cette contradiction ne peut entraîner la cassation de l’arrêt (Crim. 16 déc. 1992, n° 92-80.696). Il importe que l’arrêt contienne les éléments permettant de rendre le dispositif conforme à ce qu’ont manifestement voulu les juges du fond. C’est effectivement ce qui transparaît en l’espèce.
Crim. 6 mars 2024, F-B, n° 23-80.543
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