Droit commun de la prescription + droit spécial de la réduction = 18/06/2013, 24h
L’action en réduction présente le caractère d’une action personnelle soumise à la prescription quinquennale, quand bien même elle aurait pour effet de résoudre la question de l’existence d’un droit réel sur les biens donnés ou légués. En conséquence, le délai de prescription de l’action en réduction relative à une succession ouverte avant le 1er janvier 2007, qui a été ramené de trente à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, a expiré au plus tard le 18 juin 2013 à 24 heures.
Cela va mieux en le disant ! La prescription des actions en réduction antérieures au premier janvier 2007 a désormais une date d’expiration connue : 18 juin 2013 à 24h !
En l’espèce, un homme avait consenti à deux de ses quatre enfants des donations d’immeubles en plus de les avoir désignés bénéficiaires de contrats d’assurance-vie. Il est décédé le 18 avril 2001 en laissant à sa succession son épouse commune en biens et ses quatre enfants. Les deux gratifiés sont ensuite décédés à leur tour, en laissant épouses et enfants comme ayants droit.
Le 6 septembre 2016, les deux enfants survivants et non gratifiés ont assigné leur mère et les ayants droit de leurs frères en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de leur père, ainsi qu’en réduction des donations d’immeubles et de ce qu’ils considéraient être des donations déguisées sous forme d’assurances-vie.
Le jugement de première instance et l’arrêt d’appel rendu par la Cour d’appel de Bastia le 25 mai 2022 déclarèrent l’action en réduction recevable malgré la tardiveté de l’assignation, postérieure de plus de quinze ans à l’ouverture de la succession. Pour justifier leur solution, les conseillers corses retinrent l’application du délai trentenaire, déclarant inapplicable tant le délai quinquennal spécial du nouvel article 921, alinéa 2, du code civil que le délai quinquennal de droit commun institué à l’article 2224 du code civil.
Le moyen du pourvoi contesta le bien-fondé de cette analyse en rappelant que la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ayant ramené de trente à cinq ans le délai de droit commun est immédiatement applicable à partir du 19 juin 2008, de sorte qu’il devait s’appliquer à compter de cette date.
L’affaire offre à la Cour de cassation l’occasion de préciser enfin clairement le régime de la prescription des actions en réduction pour les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007 et dont l’assignation est postérieure au 19 juin 2008. La rédaction de l’arrêt est soignée au visa des articles 2262 (dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription), et 2224 (dans sa rédaction issue de ladite loi) du code civil et de l’article 26, II, de la loi du 17 juin 2008.
La Cour rappelle tout d’abord la teneur de ces textes, c’est-à-dire le régime de droit commun de la prescription extinctive. L’ancien article 2262 du code civil instituait un délai de prescription de trente ans applicable à l’action en réduction (§ 8). Le nouvel article 2224 du code civil précise quant à lui que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (§ 9). Quant à l’article 26, II, de la loi du 17 juin 2008, il prévoit que les dispositions de cette loi, réduisant la durée d’une prescription, s’appliquent à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi (soit le 19 juin 2008), sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure (§ 10).
Ensuite, la Cour de cassation entreprend d’expliquer la combinaison entre droit commun de la prescription et droit spécial de l’action en réduction. Elle énonce que cette action présente un caractère personnel même lorsqu’elle a pour effet de résoudre la question de l’existence d’un droit réel sur les biens donnés ou légués (§ 11). Partant, cette action est soumise à l’article 2224 du code civil chaque fois qu’un texte spécial n’est pas applicable, ce qui est le cas pour les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007. La Cour de cassation en déduit que « le délai de prescription de l’action en réduction relative à une succession ouverte avant le 1er janvier 2007, ramené de trente à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, a expiré au plus tard le 18 juin 2013 à 24 heures ».
Enfin, la Cour justifie la cassation à l’aune des motifs de la cour d’appel contrevenant aux règles sus-énoncées. La cour d’appel a violé les dispositions visées en considérant que le nouveau délai quinquennal de droit commun n’était pas applicable. L’action en réduction était en l’espèce prescrite depuis le 19 juin 2013. La cassation de ce chef de dispositif emporte celle de la disposition décidant de l’imputation des donations sur la quotité disponible et leur réduction corrélative.
La question peut sembler de prime abord complexe, mais la réponse ici apportée par la Cour est parfaitement logique. Elle était particulièrement attendue par les observateurs et praticiens qui étaient nombreux à l’avoir prophétisée, notamment à la suite d’un arrêt rendu en 2019 qui n’avait pas frontalement remis en cause le raisonnement de la cour d’appel l’ayant fait sienne (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-19.783, inédit, RTD civ. 2020. 439, obs. M. Grimaldi
; Dr. fam. 2019. Comm. 244, note M. Nicod ; Defrénois 23 janv. 2020, n° 156e8, p. 33, obs. S. Gaudemet ; v. aussi, Civ. 1re, 22 févr. 2017, n° 16-11.961 F-P+B, Dalloz actualité, 15 mars 2017, obs. D. Louis ; AJ fam. 2017. 256, obs. S. Ferré-André
; RTD civ. 2017. 463, obs. M. Grimaldi
; RJPF 2017-4/42, note F. Sauvage ; et Civ. 1re, 7 févr. 2024, n° 22-13.665 FS-B, ne censurant pas la CA de Grenoble quant à l’irrecevabilité de la prescription de l’époux prémourant, Dalloz actualité, 6 mars 2024, obs. M. Jaoul ; D. 2024. 716
, note P. Bouathong
; ibid. 1974, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier
; AJ fam. 2024. 172, obs. N. Levillain
; en ce sens égal., Rép civ., v° Réserve héréditaire – Réduction des libéralités, par M. Nicod et S. Deville, n° 142 ; M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », 2020, n° 905, p. 719). Elle s’inscrit dans une actualité jurisprudentielle source de sécurité et de prévisibilité juridique. On se souvient en effet que le 7 février dernier, la Cour de cassation avait coupé court à une interprétation toulousaine jugée « audacieuse » (D. Autem, JCP N 2024. 1077) de l’alinéa 2 de l’article 921 du code civil (Toulouse, 1er juin 2023, n° 20/01684 ; JCP 2023. Act. 1213, obs. Q. Guiguet-Schielé ; Gaz. Pal. 12 déc. 2023, n° 457l3, p. 60, obs. Q. Guiguet-Schielé ; v. déjà, Toulouse, 22 mars 2022, n° 21/01768) en précisant que « l’action en réduction doit être intentée dans les cinq ans à compter du décès ou, au-delà, jusqu’à dix ans après le décès à condition d’être exercée dans les deux ans qui ont suivi la découverte de l’atteinte à la réserve » (Civ. 1re, 7 févr. 2024, n° 22-13.665 FS-B, Dalloz actualité, 6 mars 2024, obs. M. Jaoul ; Dr. fam. 2024. Comm. 55, note M. Nicod ; JCP N 2024. Act. 328, obs. A. Alvarez-Elorza ; LEFP mars 2024, n° 202C6, p. 7, obs. N. Pétroni-Maudière ; Lexbase Droit privé, 14 mars 2024, n° 977, n° N8719BZX, obs. J. Casey ; AJ fam. 2024. 172, obs. N. Levillain). Ce faisant, elle considérait que le délai biennal n’a pas pour fonction d’accélérer le temps mais de le rallonger puisqu’il ne s’applique jamais au sein du délai quinquennal mais à son issue et uniquement en guise de « session de rattrapage » pour les titulaires de l’action demeurés dans l’ignorance légitime de leur droit.
Point de délai biennal dans cet arrêt du 23 octobre 2024, l’article 921, alinéa 2, n’étant pas applicable puisque le décès était ici antérieur au 1er janvier 2007, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. La solution peut certes sembler plus sévère que celle rendue l’hiver dernier, puisqu’elle ferme l’action au lieu d’en prolonger la disponibilité. En réalité, les deux espèces sont si différentes que les fondements juridiques applicables ne sont pas les mêmes. Il n’était question dans notre affaire que de droit commun de la prescription. En effet, antérieurement à la loi du 23 juin 2006, il n’existait aucun délai de prescription spécifique à l’action en réduction. Celle-ci était donc régie par le droit commun, et continue de l’être pour les successions ouvertes avant le 1er janvier 2007 (Civ. 1re, 22 févr. 2017, n° 16-11.961, préc. ; 23 mars 1994, n° 92-14.370, D. 1995. 333
, obs. B. Vareille
; RTD civ. 1994. 920, obs. J. Patarin
; 24 nov. 1987, n° 86-10.635 P, JCP 1989. II. 21214, note F.-X. Testu ; RTD civ. 1989. 203, obs. J. Patarin ; 29 janv. 1958 P). Or, ce droit commun de la prescription a lui-même fait l’objet d’une réforme par la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008 et applicable immédiatement aux situations juridiques en cours.
Dès lors, si le champ d’application du régime de la prescription de droit commun à l’action en réduction est délimité d’après la date du 1er janvier 2007, la teneur de ce droit est déterminée en considération de celle du 19 juin 2008. Dans notre espèce, non seulement le décès était antérieur au 1er janvier 2007, mais de surcroît l’assignation était postérieure au 19 juin 2008. Il n’existait donc aucune raison valable d’exclure l’application du nouvel article 2224 et ses dispositions transitoires. Le délai applicable ayant été réduit de trente à cinq ans, l’article 26, II, de la loi du 17 juin 2008 devait nécessairement s’appliquer. En d’autres termes, le nouveau délai quinquennal commençait à courir le 19 juin 2008 et la prescription était acquise, au plus tard, au 19 juin 2013.
Il faut en tirer les conséquences s’agissant des actions connexes à l’action en réduction. D’une part, les actions en déclaration de simulation sont elles-mêmes prescrites au plus tard au 19 juin 2013 si l’ouverture de la succession est antérieure au 1er janvier 2007. La Cour de cassation a en effet depuis longtemps aligné le délai de l’action en requalification sur celui de l’action en réduction (Civ. 1re, 23 mars 1994, préc. ; v. déjà, Civ. 12 mai 1834, S. 1834. 1. 333 ; 11 avr. 1927, DP 1929. 1. 28, obs. Pic ; 13 mars 1934, DP 1936. 1. 79 ; Civ. 1re, 20 janv. 1958 P).
D’autre part, les droits des tiers acquéreurs sont eux-mêmes sécurisés puisque l’action en revendication envers les tiers n’est recevable qu’autant que l’action en réduction dirigée contre les gratifiés le soit. Ainsi, lorsque le donataire ou légataire est décédé avant le 1er janvier 2007 et qu’aucune assignation en réduction n’a été délivrée avant le 19 juin 2008, il n’est plus nécessaire de faire intervenir les héritiers réservataires à l’acte d’aliénation du bien donné ou légué comme le prévoit l’alinéa 2 de l’article 924-4 du code civil. La pratique notariale s’en trouvera soulagée et les mutations de propriété quelque peu libéralisées.
En définitive, voici parachevée l’ambition de la loi du 23 juin 2006 d’accélérer le règlement successoral et de réduire l’insécurité juridique. Cette décision confirme en outre la singularité de l’action en réduction. Ni nullité (Civ. 1re juin 1932, DP 1932. 169, obs. R. Savatier ; 12 mars 1985 P) ni résolution (Civ. 1re, 9 oct. 1985, n° 84-12.073 P ; 9 oct. 1985, n° 84-12.073 ; 11 juill. 1977, Bull. civ. I, n° 324 P ; contra G. Ripert et J. Boulanger, Traité élémentaire de droit civil, t. IV, LGDJ, 1959, n° 2733), elle est considérée comme personnelle alors même qu’elle peut avoir de nombreuses incidences sur la pérennité des droits réels (v. déjà, Civ. 1re, 14 avr. 2021, n° 19-24.773 FS-P, Dalloz actualité, 27 avr. 2021, obs. F. Mélin ; D. 2021. 798
; ibid. 2064, obs. S. Godechot-Patris
; ibid. 2022. 915, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke
; Rev. crit. DIP 2021. 904, note E. Fongaro
; Com. 2 mars 2022, n° 20-20.173 FS-B, Dalloz actualité, 22 mars 2022, obs. B. Ferrari ; D. 2022. 460
; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno
; ibid. 1675, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; AJ fam. 2022. 289, obs. J. Casey
; ibid. 176, obs. D. D’Ambra
; Dr. fam. 2022. Comm. 78, obs. A. Tani ; Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-19.783, préc.), notamment lorsqu’elle s’exerce en nature. Le présent arrêt neutralise d’ailleurs explicitement ce dernier argument : la nature de l’action est personnelle et son régime de prescription est quinquennal, « quand bien même elle aurait pour effet de résoudre la question de l’existence d’un droit réel sur les biens donnés ou légués ». Un nouvel argument à opposer à la distinction entre droits réels et droits personnels ?
Civ. 1re, 23 oct. 2024, FS-B, n° 22-19.365
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