Droit de communication au comité social et économique et caractérisation du trouble manifestement illicite
Un comité social et économique (CSE) disposant de la liste nominative des salariés dans son périmètre ainsi que la liste des sites clients dans lesquels ces salariés sont affectés ne peut valablement invoquer un trouble manifestement illicite en la circonstance que l’employeur refuse de lui communiquer la liste nominative des salariés par « site client » et les lieux de leur intervention.
L’article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile permet à la juridiction des référés, même en présence d’une contestation sérieuse, de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Mais encore faut-il caractériser ledit trouble manifestement illicite. La question peut se poser avec une acuité particulière lorsqu’est en débat l’existence ou non d’une obligation, pour l’employeur, de transmettre aux membres du comité des informations individuelles sur l’affectation de chaque salarié ou la liste nominative des salariés travaillant sur chacun des sites d’une entreprise cliente, en particulier lorsque le code du travail autorise les membres du comité à se déplacer librement dans l’entreprise et hors de l’entreprise et prendre tout contact nécessaire à l’accomplissement de leur mission, notamment auprès des salariés à leur poste de travail. Tel est en effet la faculté que leur offre l’article L. 2315-14 du code du travail, qui dispose que pour l’exercice de leurs fonctions, les membres élus de la délégation du personnel du comité social et économique et les représentants syndicaux au comité peuvent, durant les heures de délégation, se déplacer hors de l’entreprise. À défaut de leur laisser cette liberté, l’employeur s’exposera en effet à un délit d’entrave (Crim. 22 févr. 1962, n° 92-45.960, D. 1962. 253, note Rouast ; JCP 1962. II. 12633, note H. Blaise ; Dr. soc. 1962. 622, note D. Legeais ; Dr. ouvrier 1962. 100, note Cohen). C’est dans ce contexte qu’a émergé l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 27 novembre 2024.
En l’espèce, l’un des six CSE d’établissement (celui d’Île-de-France) que compte l’unité économique et sociale (UES) rassemblant plusieurs sociétés du groupe Altran a saisi la juridiction des référés invoquant une entrave à l’exercice de ses fonctions que constituerait le refus de l’employeur de lui communiquer la liste nominative des salariés par « site client » et les lieux de leur intervention, aux fins d’obtenir communication de ces éléments des sociétés Altran.
La plupart des salariés de l’UES rattachés à l’établissement d’Île-de-France exerçaient en effet leurs missions au sein d’entreprises clientes.
Les juges du référé firent droit à la demande du CSE en ordonnant de transmettre, pendant deux ans, au plus tard le 10 de chaque mois, au comité, la liste des salariés par « site client » et les lieux de leur intervention dans le périmètre du comité, sous astreinte de 500 € par jour de retard tout en les condamnant in solidum à payer au comité une somme à titre de provision sur les dommages-intérêts résultant de l’entrave constituée par le trouble manifestement illicite.
Insatisfaite de cette décision, les sociétés formèrent un pourvoi en cassation, que la chambre sociale de la Cour de cassation va accueillir en cassant l’arrêt d’appel au visa des articles L. 2315-14 du code du travail et 835 du code de procédure civile.
Les prérogatives des représentants du CSE hors de l’entreprise rappelées
La cour d’appel avait en effet considéré l’existence d’un trouble manifestement illicite résultant de l’impossibilité pour les membres élus du comité de prendre tout contact nécessaire à l’accomplissement de leur mission auprès des salariés à leur poste de travail dans une entreprise tierce. Or, l’éminente juridiction va censurer cette appréciation en rappelant que les membres du comité disposaient de la liste des sites d’intervention des salariés rattachés au périmètre du comité ainsi que du nombre des salariés présents sur ces sites et pouvaient prendre contact avec les salariés par leur messagerie professionnelle.
Il faut en effet rappeler que l’article L. 2315-14 du code du travail prévoit que pour l’exercice de leurs fonctions, les membres élus de la délégation du personnel du CSE et les représentants syndicaux au comité peuvent, durant les heures de délégation, se déplacer hors de l’entreprise. Ils peuvent également, tant durant les heures de délégation qu’en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l’entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission, notamment auprès d’un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l’accomplissement du travail des salariés.
De cette faculté, combinée à la possibilité qu’avaient les membres du CSE de contacter les salariés concernés via leurs adresses professionnelles, les Hauts magistrats en ont conclus que les conditions de l’article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile n’étaient pas réunies. La juridiction des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L’absence de caractérisation du trouble manifestement illicite
L’argument retenu par les juges du fond était que la possibilité qu’ont les membres élus de prendre tous contacts nécessaires à l’accomplissement de leur mission, notamment auprès d’un salarié à son poste de travail, suppose une individualisation du contact qui doit pouvoir se faire sur site, entre un salarié déterminé et les élus, imposant ainsi à l’employeur de faire connaître régulièrement à ces derniers la position de chaque salarié, sur chacun des sites, un échange de courriels ne pouvant suppléer la spontanéité d’un contact sur place. Était aussi avancé le fait que les missions des consultants, amenés à changer régulièrement de lieux de travail, soient d’une durée déterminée impose seulement un suivi des missions que l’employeur assure par ailleurs et n’est nullement un obstacle à la communication d’une liste nominative par site.
Cette solution rappelle ainsi que la caractérisation du trouble manifestement illicite, si elle repose sur des éléments de preuve appréciés souverainement par le juge du fond, n’en demeure pas moins un exercice juridique au travers duquel le caractère « manifeste » commande de caractériser une véritable violation d’une obligation de l’employeur. La solution retenue ne surprendra pas dès lors qu’il n’existait pas une telle obligation imposant à l’employeur de transmettre aux membres du CSE la liste nominative des salariés affectés sur chacun des sites d’entreprises clientes, ces informations pouvant être recueillies par le CSE de manière licite par des moyens existants.
Soc. 27 nov. 2024, FS-B, n° 22-22.145
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