Droit de l’étranger d’être entendu dans une procédure d’éloignement

Le droit de l’étranger d’être entendu est satisfait lorsqu’il a présenté ses observations sur l’irrégularité du séjour, même s’il n’a pas été mis à même de les réitérer sur la décision l’obligeant à quitter le territoire.

Le droit d’être entendu préalablement à une mesure d’éloignement n’impose pas à l’autorité de permettre au demandeur d’asile, ayant usé de son droit à ce titre puis faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), de réitérer ses observations ou d’en présenter de nouvelles.

M. C., ressortissant de la République démocratique du Congo, est entré sur le territoire français accompagné de deux de ses enfants de nationalité congolaise. Leur demande d’asile a été successivement rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, puis par la Cour nationale du droit d’asile. Par deux arrêtés, la préfète des Vosges a procédé au retrait de leur attestation de demande d’asile, leur a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Saisi par les consorts C., le Tribunal administratif de Nancy a annulé les décisions fixant le pays de renvoi, puis la Cour administrative d’appel de Nancy a, d’une part, rejeté l’appel principal des consorts C. et, d’autre part, sur appel incident de la préfète des Vosges, annulé l’article 2 du jugement prononçant l’annulation des décisions fixant le pays de renvoi. Les requérants soutenaient que leur droit d’être entendu par l’administration avait été méconnu.

Appliquant le mode d’emploi du droit d’être entendu préalablement à une mesure d’éloignement posé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 10 sept. 2013, Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, aff. C-383/13, Dalloz actualité, 15 sept. 2013, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2013. 2307, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2013. 2103 ; AJ pénal 2013. 616, obs. C. Saas ; RFDA 2014. 335, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz et F. Martucci ; Rev. UE 2015. 324, chron. V. Giacobbo-Peyronnel et V. Huc ; 5 nov. 2014, aff. C-166/13, Dalloz actualité, 7 nov. 2014, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2014. 2158 ; ibid. 2015. 329, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2014. 2305, obs. J.-M. Pastor ; RTD eur. 2016. 372, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2016. 239, étude Krisztian Kecsmar ), et visé par sa jurisprudence (CE 4 juin 2014, n° 370515, Dalloz actualité, 9 juin 2014, obs. J.-M. Pastor ; Lebon ; AJDA 2014. 1183 ; ibid. 1501 , concl. X. Domino ; D. 2015. 450, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RTD eur. 2014. 952-1, obs. D. Ritleng ; ibid. 952-11, obs. D. Ritleng ; 9 août 2023, n° 455146, Lebon ; AJDA 2023. 1530 ; Rev. crit. DIP 2024. 449, étude T. Fleury Graff ; RTD eur. 2024. 217, obs. D. Ritleng ), le Conseil d’État énonce que ce droit implique que « l’autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l’irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l’autorité s’abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n’implique toutefois pas que l’administration ait l’obligation de mettre l’intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l’obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu’il a pu être entendu sur l’irrégularité du séjour ou la perspective de l’éloignement ».

Respect du droit d’être entendu

Lorsqu’il présente une demande d’asile, l’étranger « ne saurait ignorer qu’en cas de rejet de sa demande, il pourra faire l’objet d’une mesure d’éloignement. À l’occasion de l’enregistrement de sa demande d’asile, lequel doit en principe faire l’objet d’une présentation personnelle du demandeur en préfecture en vertu de l’article R. 521-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il doit être informé, en application des dispositions de l’article L. 431-2 […], des conditions dans lesquelles il peut solliciter son admission au séjour sur un autre fondement et, le cas échéant, être invité à déposer une telle demande dans le délai fixé par l’article D. 431-7 ». Et il lui est loisible, au cours de la procédure d’asile, de faire valoir auprès de l’autorité compétente une circonstance de fait ou une considération de droit nouvelle, c’est-à-dire un motif de délivrance d’un titre de séjour apparu postérieurement à l’expiration du délai dont il disposait en vertu de l’article D. 431-7. « Le droit de l’intéressé d’être entendu, ainsi satisfait avant qu’il ne soit statué sur sa demande d’asile, n’impose pas à l’autorité administrative de mettre l’intéressé à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l’obligation de quitter le territoire français qui est prise, sur le fondement du 6° de l’article L. 611-1, lorsque la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire lui a été définitivement refusé ou lorsqu’il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 », indique le Conseil d’État.

Liens étroits entre OQTF et pays de renvoi

La Cour administrative d’appel de Nancy a relevé que les consorts C. avaient pu être entendus lors de la présentation de leurs demandes d’asile et faire valoir auprès de l’administration tous éléments utiles à la compréhension de leur situation, et qu’ils ne pouvaient raisonnablement ignorer qu’ils pourraient faire l’objet d’une mesure d’éloignement en cas de rejet de leurs demandes. En jugeant que leur droit d’être entendus par l’administration n’avait pas été méconnu alors même qu’ils n’ont pu réitérer leurs observations ou en présenter de nouvelles avant l’intervention des décisions portant obligation de quitter le territoire français, la cour n’a pas commis d’erreur de droit.

Elle n’a pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant recevable l’appel incident de la préfète des Vosges, qui ne soulevait pas un litige distinct de celui relatif au rejet, par ce même jugement, des conclusions à fin d’annulation des OQTF, et ce, « eu égard aux liens étroits qui existent entre l’obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi ».

 

CE 5 juin 2025, n° 493675

© Lefebvre Dalloz