Droit de se taire du notaire poursuivi disciplinairement : la loi muette à ce sujet reste conforme à la Constitution
Par une décision du 8 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a considéré conformes à la Constitution des dispositions législatives encadrant la procédure disciplinaire des notaires et de certains officiers ministériels, bien que muettes quant au droit des personnes poursuivies de se taire, alors même que ce dernier doit leur être notifié.
 
                            La Cour de cassation avait saisi le Conseil constitutionnel le 11 octobre 2023 d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité d’une ordonnance encadrant la discipline des notaires et de certains officiers ministériels.
Les dispositions litigieuses concernent la procédure disciplinaire des notaires et officiers ministériels en cas de contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, ou encore tout fait contraire à la probité.
Le requérant notaire met en exergue que ces dispositions encadrant les poursuites disciplinaires ne prévoient pas la notification du droit de se taire au stade de la comparution devant le tribunal judiciaire, alors même que les déclarations faites à cette occasion peuvent être utilisées dans le cadre de cette procédure ou dans le cadre d’une procédure pénale. Le requérant en déduit une méconnaissance du principe de la présomption d’innocence et des droits de la défense.
Le droit de se taire s’applique aux procédures disciplinaires
Le Conseil constitutionnel s’est fondé sur l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, affirmant le droit à la présomption d’innocence, pour en tirer le principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ».
Ainsi, le Conseil constitutionnel s’inscrit dans sa lignée jurisprudentielle relative à la procédure pénale, selon laquelle le droit de se taire découle du droit de ne pas s’accuser, de ne pas s’auto-incriminer. Le Conseil a censuré diverses dispositions du code de procédure pénale qui contrevenait au droit de se taire (Conseil constitutionnel, Droit de se taire à différents stades de la procédure pénale, Rapport d’activité, 2021).
De plus, la juridiction se prononce très clairement sur l’application de ce droit de se taire aux poursuites répressives, et notamment disciplinaires : « Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire » (consid. 9).
Ainsi, le Conseil constitutionnel affirme qu’au cours d’une procédure disciplinaire, le professionnel poursuivi doit être notifié de son droit de se taire. Il place les procédures disciplinaires au même rang que les procédures répressives, tant pénales qu’administratives, en fondant l’application du droit de se taire aux sanctions « ayant le caractère d’une sanction ».
Pourtant, la loi encadrant la comparution du notaire devant le tribunal judiciaire, muette quant au droit de se taire, est conforme à la Constitution
Toutefois, le Conseil examine les dispositions contestées et affirme qu’elles prévoient certes les modalités encadrant le déroulement d’une procédure disciplinaire, mais qu’elles se bornent à désigner les titulaires de l’action disciplinaire. En effet, le Conseil examine la constitutionnalité de l’article 10 de l’ordonnance du 28 juin 1945, prévoyant que l’action disciplinaire devant le tribunal judiciaire est exercée par le procureur de la République, ou par le président de la chambre de discipline agissant au nom de cette dernière.
Pour le Conseil, ces dispositions ne fixent aucunement les conditions selon lesquelles le professionnel comparaît devant le tribunal judiciaire (consid. 11).
Autrement dit, ces dispositions ne concernent en rien les droits du professionnel poursuivi au stade de la comparution, mais uniquement les titulaires de l’action disciplinaire.
D’autre part, le Conseil constitutionnel souligne le fait que bien qu’elles soient soumises au respect de la présomption d’innocence, dont découle le droit de se taire, ces procédures disciplinaires ne relèvent pas du domaine de la loi mais du domaine règlementaire, sous le contrôle du juge compétent (consid. 12).
Il convient de noter qu’il est prévu que lorsque c’est le pouvoir règlementaire qui fixe les mesures, les décrets doivent respecter les grands principes de la juridiction, consacrés par la Constitution, comprenant les droits de la défense (A. Plantey et F.-C. Bernard, La preuve devant le juge administratif, Economica, 2003, p. 27).
Or, le Conseil en déduit qu’il doit écarter le grief tiré de ce que ces dispositions législatives encadrant la procédure disciplinaire, méconnaissent l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen puisqu’elles ne prévoient pas que le professionnel doit être informé de son droit de se taire lors de sa comparution devant le tribunal (consid. 13).
Ainsi, les dispositions litigieuses ne constituent aucune atteinte aux droits de la défense, ni à aucun droit ou liberté constitutionnellement garanti.
Le domaine règlementaire encadre les poursuites disciplinaires
À la lecture de cette décision, il appert que si les poursuites disciplinaires relevaient du pouvoir législatif, le Conseil constitutionnel aurait probablement considéré les dispositions visées comme contraires à la Constitution, étant muettes s’agissant du droit de se taire de la personne poursuivie.
Ainsi, alors que le notaire n’a pas été notifié de son droit de se taire, et alors même que le Conseil constitutionnel affirme qu’il aurait dû l’être, le Conseil estime que les dispositions litigieuses n’avaient pas à mentionner la notification du droit au silence du professionnel poursuivi.
L’absence de recours constitutionnel sur les procédures disciplinaires ?
Cette décision du Conseil constitutionnel interroge quant à l’accès des professionnels poursuivis disciplinairement au recours de constitutionnalité.
Puisque les mesures encadrant les procédures disciplinaires sont fixées par décrets, le Conseil constitutionnel ne peut en effet être saisi de leur constitutionnalité. Pour autant, des dispositions législatives encadrent également les procédures disciplinaires, y compris celles dont avait été saisi le Conseil en l’espèce.
Malgré tout, puisque la disposition litigieuse se bornait à indiquer les personnes titulaires de l’action disciplinaire, les sages estiment que la loi n’avait pas à mentionner la notification du droit de se taire au notaire poursuivi disciplinairement.
Ainsi, au stade de la comparution devant ses pairs d’un professionnel poursuivi disciplinairement, le choix du législateur de se borner à indiquer les personnes titulaires de l’action, sans encadrer les conditions de leur comparution, permet une absence totale de mention des droits de la défense, auxquels le professionnel poursuivi a pourtant droit.
Une lecture attentive de la jurisprudence future du Conseil constitutionnel concernant l’application du droit de se taire au cours des procédures disciplinaires permettra probablement d’en tisser les contours.
© Lefebvre Dalloz