Droit d’exception et droit commun de la procédure sans audience et de la transmission effective d’une information
L’article 1er de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés prévoit que ses dispositions du titre 1er sont applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, sans faire d’exception pour les litiges de nature civile dans lesquels le ministère public est partie principale.
L’information par tout moyen de ce que le juge envisage de statuer sans audience peut être communiquée aux avocats des parties, notamment par messages via le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA) conformément à l’article 748-1 du code de procédure civile ou, à défaut, par courriels à leur adresse professionnelle, ou, à défaut encore, par tout autre mode assurant l’effectivité de cette transmission ; la cour d’appel doit vérifier si cette information a bien été portée à la connaissance des parties.
Parmi les arrêts publiés rendus le 23 mai 2024 par la deuxième chambre civile, l’un d’eux apporte une précision pour le passé – puisque mettant en œuvre le droit d’exception de la période covid. L’arrêt rappelle une solution dégagée dans le même type de cas le 16 décembre 2021 (Civ. 2e, 16 déc. 2021, n° 20-20.443 FS-B, Dalloz actualité, 19 janv. 2022, obs. C. Bléry ; D. 2022. 20
) et qui rayonne au-delà de son contexte.
En 2017, une femme assigne le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Marseille aux fins de se voir reconnaître la nationalité française. Déboutée, elle interjette appel. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme en 2021 : l’arrêt est rendu à la suite d’une procédure sans audience dérogatoire, prévue par l’article 6 de l’ordonnance du 18 novembre 2020, affirmant que « les parties ont été avisées de ce que l’affaire serait jugée selon la procédure sans audience ».
La justiciable se pourvoit en cassation :
- la première branche de son premier moyen invoque une violation des articles 6 de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 et 431 du code de procédure civile, en ce que la procédure sans audience dérogatoire « ne peut être appliquée à un litige dans lequel le ministère public, dispensé d’avocat, est partie principale ; que tel est le cas en matière de nationalité » ;
- la seconde branche de son premier moyen invoque à nouveau une violation de l’article 6 de l’ordonnance, cette fois en ce qu’il ne résulte pas de la décision ou des pièces de la procédure que les parties auraient disposé d’un délai de quinze jours pour s’opposer, le cas échéant, à la procédure sans audience.
La Cour de cassation juge que la première branche manque en droit : l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 n’exclut pas de son champ d’application « les litiges de nature civile dans lesquels le ministère public est partie principale ».
En revanche, suivant la deuxième branche, elle casse pour manque de base légale au regard de l’article 6 de l’ordonnance du 18 novembre 2020 : après avoir rappelé le contenu de cet article 6, elle reproche à la cour d’appel d’avoir statué « sans rechercher si l’information définie au paragraphe 8 avait été portée à la connaissance des parties dans des conditions leur permettant de s’opposer à la procédure sans audience dans un délai de quinze jours ».
Procédure sans audience
La procédure sans audience est régie par l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, qui s’applique devant le tribunal judiciaire, le premier alinéa prévoit ses conditions et ses modalités, et l’alinéa 2, un retour à l’audience, à la normalité : « Devant le tribunal judiciaire, la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande ».
La procédure sans audience a été mise en œuvre de manière dérogatoire à l’occasion de la crise du covid. Deux ordonnances se sont succédé – l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et celle n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 – qui ont organisé chacune un régime particulier, celui de l’automne différant quelque peu de celui du printemps : c’est ici l’ordonnance de novembre (qui s’est appliqué jusqu’au 1er juill. 2021) qui est en cause. Dans le régime printanier, le recours à la procédure sans audience était automatique en cas de procédures urgentes et aucun retour à l’audience n’était prévu. Au contraire, en vertu de l’article 6 de l’ordonnance automnale, d’une part, l’automaticité du recours à la procédure sans audience avait disparu, d’autre part, le juge ou le président de la formation de jugement pouvait décider de tenir une audience, comme en droit commun. Selon cet article 6, les parties pouvaient s’opposer à la suppression de l’audience par la voie de l’opposition à former « dans un délai de quinze jour » (sans doute à compter de l’information donnée par le juge de sa décision d’utiliser la procédure sans audience par tout moyen).
Cette réglementation a suscité de la jurisprudence qui a veillé à son « application raisonnée » (A. Bergeaud-Wetterwald, L’application raisonnée de la procédure sans audience, JCP 2022. Étude 536 ; C. Bléry, La comparution sans audience – Le point de vue d’une universitaire, in Comparaître aujourd’hui – La comparution des parties devant le juge, L. Ascensi, C. Duparc et S. Jobert [dir.], Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2023, p. 109 s.) : la première chambre civile a rendu un arrêt le 1er décembre 2021 (Civ. 1re, 1er déc. 2021, n° 20-17.067 FS-B, Dalloz actualité, 7 déc. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 2235
; ibid. 2022. 856, chron. C. Dazzan, I. Kloda, X. Serrier, S. Vitse, E. Buat-Ménard, A. Feydeau-Thieffry et C. Azar
; AJ fam. 2022. 8, obs. F. Eudier
) et la deuxième chambre civile a rendu cinq arrêts le 16 décembre 2021 (Civ. 2e, 16 déc. 2021, nos 20-18.797, 20-18.798, 20-19.488, 20-20.443 et 20-18.237 FS-B ; sur le n° 20-18.237, Dalloz actualité, 14 janv. 2022, obs. N. Hoffshir ; D. 2022. 21
; sur le n° 20-20.443, préc. ; sur les nos 20-18.797 et 20-18.798, Dalloz actualité, 25 janv. 2022, obs. N. Hoffshir ; D. 2022. 21
; sur les 5 arrêts, A. Bergeaud-Wetterwald, étude préc.), puis un autre le 14 mars 2022 (Civ. 2e, 24 mars 2022, n° 20-21.289 F-B, Dalloz actualité, 14 avr. 2022, obs. N. Hoffshir ; D. 2022. 659
; AJ fam. 2022. 243, obs. F. Eudier et D. d’Ambra
) – tous étant publiés. Il faut y ajouter l’arrêt du 23 mai 2024.
Les enseignements des arrêts dépassent la parenthèse « covidienne », sauf celui relatif au ministère public dans l’arrêt de 2023 : celui-ci n’était pas exclu du champ d’application de l’ordonnance de novembre 2020. À vrai dire, le grief était voué à l’échec et ce n’est certainement pas lui qui a justifié la publication. La Cour de cassation a en revanche dû estimer important le rappel effectué par l’arrêt de 2023 : comme en 2021 – où c’était l’ordonnance printanière qui était en cause –, « la Cour de cassation exige que la transmission d’une information par tout moyen soit effective, efficace – en ce sens qu’elle a bien été portée à la connaissance des parties –, ce que le juge doit vérifier » (C. Bléry, Dalloz actualité, 19 janv. 2022, préc.).
Information par tout moyen effective
Rappelons (Dalloz actualité, 19 janv. 2022, préc.) que la notion de « tout moyen » est apparue en 2005 dans le code de procédure civile, mais qu’elle a surtout été réglementée en 2015, où elle s’est « incarnée » dans les textos et courriels. De leur côté, les deux ordonnances « covid », ont permis un recours plus libéral à des notifications ou transmissions d’information par tout moyen. Pour autant, la Cour de cassation veille à ce que la transmission d’une information « par tout moyen » ne soit pas ineffective. Il faut qu’un « message », à elles destiné, leur parviennent ou plus exactement, leur soit correctement transmis, avec un minimum de précautions. C’est finalement ce qui importe, surtout si ce qui est véhiculé – ici, une information – constitue un point de départ, à l’instar d’une notification. C’est l’apport de l’arrêt du 16 décembre 2021 rappelé par celui du 23 mai 2024 : tout vecteur est utilisable s’il achemine – nous ajouterons avec suffisamment de garanties – l’information afin qu’elle… informe et puisse constituer un dies a quo.
Rappelons encore (Dalloz actualité, 19 janv. 2022, préc.) que la circulaire du 26 mars 2020 de présentation de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 […] et celle du 20 novembre 2020 de présentation de l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 citaient des « moyens » pour la procédure sans audience. S’en inspirant, la Cour de cassation a apporté en 2021 des éléments tout en étant très ouverte – apports confirmés en 2023 (v. châpo). Une nouvelle fois, il faut sans doute nuancer et dire que c’est à condition de présenter de suffisantes garanties d’acheminement de l’information.
En 2021, le moyen utilisé était « une note transmise au bâtonnier de l’ordre des avocats par un magistrat chargé de la coordination du pôle civil de la cour d’appel »… dont on ne sait pas si elle avait été transmise par courriel, par courrier ; sans doute pas remise en main propre en tout cas. En 2023, rien n’est dit du moyen utilisé pour informer ! La cassation « disciplinaire » de l’arrêt d’appel s’imposait encore plus qu’en 2021…
Au-delà, la notification du jugement d’un tribunal de commerce, par Sécurigreffe, en matière de procédures collectives mérite qu’on lui prête attention. Ce cas a donné lieu à un arrêt de la Cour d’appel de Douai, rendu le 14 septembre 2023 (Douai, 2e ch., sect. 1, 14 sept. 2023, n° 22/05651, APC 2024. Comm. 27, obs. C. Delattre) : un jugement a débouté un liquidateur de son action en responsabilité contre le dirigeant ; cette décision a été notifiée au liquidateur dans sa boîte aux lettres sécurisée, son « coffre Sécurigreffe ». Or, le liquidateur a interjeté appel bien au-delà du délai de dix jours, de sorte que son appel a été déclaré irrecevable comme tardif. « La question pourrait se poser de l’effectivité de la notification, en ce sens que le liquidateur n’a pas vu que le jugement lui avait été notifié et a donc réagi trop tard. Il semble pourtant que le destinataire soit bien averti par un message des notifications ; en outre, ne doit-il pas vérifier son coffre ? Des magistrats du parquet, pour leur part, estiment ne pas pouvoir consulter le coffre-fort Sécurigreffe tous les jours, la charge de travail étant trop lourde. Il n’est pas exclu que la Cour de cassation soit amenée à statuer sur la question… » (C. Bléry, La dématérialisation du procès : de la communication par voie électronique à la cyberprocédure civile - L’exemple de la procédure devant le tribunal de commerce, Gaz. Pal. 2024, HS n° 3, à paraître).
Pour finir, nous conclurons comme en 2021 : « le tout moyen/tous moyens est une simplification bienvenue (parfois) lorsqu’il s’agit de réaliser une transmission. Cette notion ne doit cependant pas permettre de faire “tout et n’importe quoi”. Il reste une notion de procédure civile… et l’on sait que “ennemie jurée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté” (R. von Ihering, L’esprit du droit romain). La Cour de cassation le rappelle heureusement… »,… une fois de plus.
Civ 2e, 23 mai 2024, FS-B, n° 22-15.264
© Lefebvre Dalloz