Du choix des mesures visant à assurer le redressement de la situation du débiteur surendetté

Dans un arrêt du 4 juillet 2024, la deuxième chambre civile rappelle que le juge du surendettement détermine, dans le cadre du redressement de la situation du débiteur, les mesures propres à assurer ledit redressement sans être tenu par les dispositions de l’article 2285 du code civil.

Le droit du surendettement est à l’honneur dans deux arrêts de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rendus le même jour, à savoir le 4 juillet 2024. Les deux décisions sont promises à une publication au Bulletin en raison de la rareté des thématiques abordées qui, pourtant, intéressent un certain nombre de situations pratiques. La première concerne une question traitant de l’omission d’une sûreté par le créancier dans la déclaration de créances de l’article R. 742-12 du code de la consommation (Civ. 2e, 3 juill. 2024, n° 22-16.021, Dalloz actualité, nos obs. à paraître). Le second arrêt permet de revenir sur le croisement entre l’article 2285 du code civil, lequel prévoit le gage des créanciers ainsi que la distribution du prix entre ceux-ci, et le surendettement notamment quand certains créanciers voient leurs créances effacées tandis que d’autres restent dans l’attente d’un paiement seulement rééchelonné. C’est la décision que nous allons examiner aujourd’hui.

Rappelons les faits pour comprendre le point ayant suscité le pourvoi. Une personne physique saisit une commission de surendettement des particuliers concernant sa situation financière. La commission impose un rééchelonnement du paiement des créances sur une durée de 84 mois avec un effacement des soldes restant à régler après cette période. Le pôle de recouvrement spécialisé de Dordogne conteste les mesures ainsi imposées.

Le juge des contentieux de la protection fixe les créances ainsi que la capacité de remboursement de la débitrice. En cause d’appel, la cour considère que cette dernière ne pouvait pas s’acquitter de toutes ses dettes dans le délai maximum imparti par la loi. Les juges du fond ont donc prévu un remboursement échelonné de 84 mois de la créance du pôle de recouvrement spécialisé de Dordogne mais un effacement total des autres créances.

Un établissement bancaire créancier considère que cette décision viole à la fois l’article L. 733-4 du code de la consommation mais également l’article 2285 du code civil. Il se pourvoit donc en cassation. Invoquant la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi de l’article L. 733-4, la banque élève par ailleurs une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Un premier arrêt de la deuxième chambre civile, non publié, a refusé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel (Civ. 2e, 18 janv. 2024, n° 23-17.625 renvoyant à la décision n° 2016-739 DC jugeant conforme à la Constitution les dispositions critiquées).

Dans un second arrêt rendu le 4 juillet 2024, la deuxième chambre civile statue désormais au fond en rejetant le pourvoi élevé par l’établissement bancaire. Nous allons examiner pourquoi une telle décision doit être accueillie favorablement.

La question sous-tendue : le traitement égalitaire des créanciers

Le fond de l’affaire ayant donné lieu au pourvoi est intrinsèquement lié à la QPC qui prenait comme point de départ le traitement inégalitaire des créanciers dans la procédure de surendettement. Le moyen soulevait ainsi un certain paradoxe, assez implicite dans les trois branches reproduites dans l’arrêt étudié (pt n° 6), entre d’une part l’article L. 733-4 du code de la consommation et l’article 2285 du code civil.

Il est vrai qu’il existait, en l’espèce, une grande disparité entre le pôle de recouvrement spécialisé de Dordogne, qui bénéficiait d’un rééchelonnement de sa dette, et les autres créanciers qui devaient subir de plein fouet l’effacement pur et simple de leurs créances. Le problème suscité par le moyen réside, par conséquent, dans l’interrogation qu’entretient le code de la consommation sur la mise en mouvement des mesures égrenées dans les articles L. 733-1, L. 733-4 et L. 733-7 du code de la consommation.

Le moyen défendait l’idée selon laquelle la commission de surendettement, et en phase contentieuse, le juge des contentieux de la protection ne pouvaient pas utiliser une telle forme de disparité. D’après l’argumentation déployée, ces différents acteurs ne pourraient que prononcer un « effacement partiel de toutes les créances au prorata du montant restant dû de chacune, sauf cause légitime de préférence sur les sommes à répartir » (pt n° 6, 4e branche du moyen).

Le code de la consommation ne donne, en effet, pas de réponse à cette interrogation précise. Mais elle ne paraît pas impossible à dépasser. L’arrêt du 4 juillet 2024 donne une clef de lecture parfaitement claire de la marge de manœuvre du juge du surendettement.

Un choix libre des mesures par le juge

L’économie de la solution est parfaitement résumée dans la phrase suivante : « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que le juge du surendettement détermine, pour chacune des dettes, les mesures propres à assurer le redressement de la situation du débiteur, sans qu’il soit tenu par les dispositions de l’article 2285 du code civil » (pt n° 10 de l’arrêt étudié, nous soulignons). Pourquoi doit-on approuver une telle affirmation ? La première raison, et peut-être la principale, se trouve dans la lettre de l’article 2287 du code civil qui prévoit que les dispositions « du présent livre », à savoir le Livre IV « Des sûretés », ne peuvent pas faire obstacle aux règles prévues dans le cadre d’une procédure de surendettement des particuliers. Or, c’est dans ce livre précisément que sont enfermés les articles 2284 et 2285, en fronton de celui-ci par ailleurs. 

Cet argument de pur texte suffit, très probablement à lui seul, pour dépasser très largement le raisonnement défendu par le moyen. Il ne peut pas être reproché à une commission ou à un juge des contentieux de la protection de différencier les mesures que le code de la consommation prévoit puisque l’objectif du surendettement des particuliers est d’apurer la situation du débiteur (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 498, n° 361). Le traitement est donc individualisé en fonction de la situation de la personne physique et en fonction des créances de celle-ci, ce qui explique le recours au motif de l’appréciation souveraine des juges du fond qu’emploie la deuxième chambre civile dans la décision étudiée.

Un débiteur peut, en effet, être pleinement en possibilité de régler mensuellement un créancier pendant plusieurs années (ici le Trésor Public, pour une somme finale qui n’est pas précisée dans l’arrêt) mais dans l’impossibilité, dans le même temps, de pourvoir s’acquitter de ses autres créances. L’application de l’article 2285 du code civil, et sa distribution par contribution, reviendrait, en l’état, à nier l’efficacité et l’originalité même des procédures de surendettement.

Voici donc un arrêt intéressant et original surtout par l’approche développée par le moyen. Bien souvent, les mesures imposées lors d’un surendettement sont inégalitaires. Certains créanciers devront, alors, subir l’effacement de leurs dettes tandis que d’autres pourront être réglés mais de manière rééchelonnée. Il n’y a là guère que l’application des textes du code de la consommation.

 

Civ. 2e, 4 juill. 2024, F-B, n° 23-17.625

© Lefebvre Dalloz