Du contenu contractuel d’un contrat de service de communications
Dans un arrêt rendu le 13 mars 2024, la première chambre civile opère plusieurs précisions en matière de licéité du contenu contractuel et de convention sur la prescription dans le contexte d’un contrat de service de communications électroniques.
 
                            Les questions intéressant le contenu du contrat sont essentielles pour la vie des affaires. La Cour de cassation opère, depuis quelques années, des précisions fondamentales quant aux nouvelles dispositions issues de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de sa loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 régissant ce même contenu afin d’en affiner la portée (v. par ex., pour l’art. 1171 c. civ., Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 F-B, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539  , note S. Tisseyre
, note S. Tisseyre  ; ibid. 725, obs. N. Ferrier
 ; ibid. 725, obs. N. Ferrier  ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno
 ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno  ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216)
 ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216)  ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki
 ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier  ; pour l’art. 1165, Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 FS-B, Dalloz actualité, 27 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1783
 ; pour l’art. 1165, Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 FS-B, Dalloz actualité, 27 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1783  , note T. Gérard
, note T. Gérard  ; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki
 ; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; RTD civ. 2023. 862, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2023. 862, obs. H. Barbier  ; ibid. 919, obs. P.-Y. Gautier
 ; ibid. 919, obs. P.-Y. Gautier  ). L’arrêt du 13 mars 2024 permet à la première chambre civile d’opérer des rappels très utiles dans un contexte connu, à savoir celui des contrats de communications électroniques. La convention en cause, antérieure au 1er octobre 2016, intéresse toutefois le droit ancien mais l’intégralité du raisonnement reste transposable au droit nouveau.
). L’arrêt du 13 mars 2024 permet à la première chambre civile d’opérer des rappels très utiles dans un contexte connu, à savoir celui des contrats de communications électroniques. La convention en cause, antérieure au 1er octobre 2016, intéresse toutefois le droit ancien mais l’intégralité du raisonnement reste transposable au droit nouveau.
Les faits sont assez classiques. Une association fait appel à un très grand groupe de télécommunications pour assurer des prestations téléphoniques et internet au sein d’établissements qu’elle gère au titre de son activité. C’est dans ce contexte qu’est conclu le 24 juin 2016 un contrat-cadre qui comprend des conditions générales de vente. Deux clauses de ces conditions générales se sont retrouvées au cœur du débat. L’article 7.1 soumet la société de télécommunication à une « obligation générale de moyen » et indique que la responsabilité de cette dernière ne pourrait être engagée qu’en cas de faute démontrée par le cocontractant.
L’article 7.4 stipule, quant à lui, qu’aucune action judiciaire ou de réclamation ne peut être engagée contre la société plus d’un an après la survenance du fait générateur. L’association se plaint, quelques années après la conclusion du contrat-cadre, de dysfonctionnements quant à la prestation de la société de télécommunication lesquels ont perturbé son activé entre 2017 et 2018. Le 13 décembre 2018, le client assigne donc l’opérateur en communication des contrats signés, en résolution de ceux-ci et en réparation des préjudices subis. En cause d’appel, les juges du fond décident de réputer non écrits l’article 7.1 mais également l’article 7.4 du contrat-cadre. La résiliation est prononcée aux torts de la société de télécommunication.
Nous l’aurons compris, c’est l’opérateur qui se pourvoit en cassation en reprochant plusieurs griefs différemment articulés. On commentera l’arrêt sans le suivre de manière linéaire.
L’article 7.4 et les conventions sur la prescription
Le deuxième moyen, pris en sa deuxième et en sa troisième branche, tentait de mener une argumentation sur l’article 7.4 et sur la prescription extinctive. Cette stipulation du contrat-cadre prévoyait que toute action ou réclamation du client pour n’importe quelle cause ne pouvait intervenir « plus d’un an après la survenance du fait générateur » (pt n° 3). Cette formulation pose assurément problème dans le contexte du droit commun comme du droit spécial.
Cette durée d’un an fera nécessairement penser, d’une part, à la courte prescription de l’article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques. Cet article est d’ailleurs de temps à autres l’objet de décisions publiées au Bulletin, notamment de la part de la chambre commerciale de la Cour de cassation (sur l’application du délai d’1 an aux restitutions de sommes indûment perçues par l’opérateur, Com. 25 oct. 2023, n° 22-17.220 F-B, Dalloz actualité, 9 nov. 2023, obs. C. Hélaine ; sur la nécessité de ne pas étirer cette courte prescription, Com. 29 mars 2023, n° 21-23.104 F-B, Dalloz actualité, 7 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2023. 370, obs. H. Barbier  ). L’article L. 34-2 enferme les actions en restitution du prix des communications électroniques dans le délai d’un an à compter du jour du paiement. Le moyen a donc bondi sur l’occasion pour dénier toute force à cette comparaison et estimer que la clause insérée dans l’article 7.4 ne faisait que d’instituer une sorte de délai de forclusion.
). L’article L. 34-2 enferme les actions en restitution du prix des communications électroniques dans le délai d’un an à compter du jour du paiement. Le moyen a donc bondi sur l’occasion pour dénier toute force à cette comparaison et estimer que la clause insérée dans l’article 7.4 ne faisait que d’instituer une sorte de délai de forclusion.
Ici, la première chambre civile cite la motivation bien choisie de la Cour d’appel de de Paris. Difficile, en effet, de percevoir une forclusion alors que la clause « a pour objet de réduire conventionnellement le délai auquel sont soumises les actions en justice engagées par un client à l’encontre de la société » (pt n° 11, nous soulignons). Sur ce point, le raisonnement du moyen était donc condamné. L’argumentation présentée par les juges du fond tendait à distinguer la réduction du droit d’agir du créancier d’une obligation « pré-déterminée » et la réduction du délai pour toutes les actions en justice engagées. C’est cette dualité qui explique que l’article 7.4 vient spécifiquement intéresser le délai de prescription sans créer une sorte de forclusion. Il n’y a là qu’une application orthodoxe de la distinction entre prescription et forclusion.
Le plus intéressant reste la conséquence de cette précision, d’autre part. On sait que l’article 2254 du code civil permet aux parties de modifier la durée quinquennale de la prescription de l’article 2224 du code civil. C’est nécessairement ce qui s’est passé dans la situation d’espèce si le délai n’était pas de forclusion. Toutefois, la durée minimale retenue par le législateur reste une année à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (v. le pt n° 15 de l’arrêt étudié). L’arrêt du 13 mars 2024 fait preuve d’une motivation développée sur cette thématique en reconnectant la durée plancher d’une année au point de départ de droit commun, comme il est nécessaire de le faire. L’article 2254, alinéa 1er, n’énonce, en effet, que la durée des planchers des conventions sur la prescription : celui maximum de dix ans et celui minimum d’un an.
Or, le point de départ choisi par l’article 7.4 raccourcit drastiquement en pratique cette durée en évoquant la survenance du fait générateur. En sauvegardant la durée plancher d’un an, l’opérateur se pensait probablement à l’abri. Mais ce n’est pas le cas puisque la survenance du fait générateur est presque toujours antérieure au moment de la connaissance de celui-ci. Au mieux, ces deux éléments peuvent être concomitants. L’ensemble aboutit bien à réduire la prescription à moins d’un an à compter du jour où le titulaire de l’abonnement a connu ou aurait dû connaître le sinistre lié audit dysfonctionnement. Le réputé non écrit ne pouvait donc que s’imposer dans ce contexte en raison de la violation de l’article 2254 du code civil.
La clause de l’article 7.4. avait pour effet d’étendre la courte prescription de l’article 34-2 à des horizons non concernés par le texte qui ne vaut que pour les demandes des usagers en restitution du prix de leurs prestations de communications électroniques. La jurisprudence sur le sujet est, en effet, constante et a été rappelée récemment dans une décision que nous avons pu commenter dans ces colonnes (Com. 29 mars 2023, n° 21-23.104 F-B, préc.).
La stipulation de l’article 7.1. posait une difficulté quant à sa licéité.
L’article 7.1. et la contrariété à un texte d’ordre public
Les paragraphes nos 6 à 9 de l’arrêt sont l’occasion de revenir sur la licéité du contenu contractuel et sur sa conformité à l’ordre public. L’article 7.1 soumettait, en effet, la société à « une obligation générale de moyens » alors que la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 impose une responsabilité de plein droit à l’égard du client pour les fournisseurs d’accès à un service de communications électroniques. Une discussion s’était donc ouverte sur la conformité de la stipulation contractuelle avec ce texte, à savoir précisément l’article 15, I, de la loi précédemment citée. La première chambre civile commence donc par poser le caractère d’ordre public des dispositions concernées. Il existait, en effet, une hésitation sur un tel caractère au lendemain de la loi du 21 juin 2004 sans que la Cour de cassation n’ait déjà précisé ce point de manière très claire. Nous laisserons les spécialistes du droit des communications électroniques se saisir utilement de la discussion.
L’article 7.1 de la convention, qui vient ainsi contourner cette disposition légale, avait été réputé non écrit par les juges du fond. La Cour de cassation n’y voit rien à redire en déployant une nouvelle motivation développée faisant échec à la liberté contractuelle prévoyant des contrariétés à cette responsabilité de plein droit.
L’orientation est, en effet, parfaitement conforme au sens de l’article 6 du titre préliminaire du code civil dans la mesure où les conventions ne sauraient déroger à l’ordre public. Le problème de la stipulation en cause résidait dans sa généralité qui heurtait nécessairement le texte de 2004. Le moyen tentait de dénier la qualité de texte d’ordre public de l’article 15, I, ce qui a rendu la précision contraire nécessaire dans cet arrêt publié au Bulletin. Cette donnée est, par conséquent, particulièrement importante pour les praticiens du droit des affaires.
En réputant non écrits les articles 7.1 et 7.4, la Cour d’appel de Paris avait pu appliquer la résiliation sans difficulté puisque d’une part, l’action de l’association ne pouvait pas être considérée prescrite et, d’autre part, l’obligation générale de moyens était également neutralisée en raison de cette contrariété à l’ordre public. La gravité du manquement de la société est particulièrement mise en valeur par les « dysfonctionnements récurrents pendant plusieurs mois entre 2017 et 2018 ».
L’association pouvait donc parfaitement demander la résiliation du contrat pour aboutir à la terminaison de celui-ci et chercher un nouvel opérateur qui lui donnerait davantage satisfaction. Nous l’aurons compris, la difficulté n’est pas de ce côté-là mais plutôt du long chemin argumentatif qu’il a fallu traverser pour aboutir à ce résultat.
Voici donc un bien bel arrêt, aussi pluriel qu’intéressant. Véritable pot-pourri autour du contenu contractuel, la décision applique des constantes essentielles à la vie des affaires tant concernant la prescription extinctive que la conformité des clauses à l’ordre public. Les praticiens sauront utilement s’en saisir.
Civ. 1re, 13 mars 2024, FS-B, n° 22-12.345
© Lefebvre Dalloz