Du contenu de l’obligation de mise en garde pour les crédits in fine

Dans un arrêt rendu le 8 novembre 2023, la chambre commerciale refuse de consacrer une obligation de mise en garde spécifique pour les crédits in fine. Le devoir de mise en garde ne porte donc que sur les capacités financières de l’emprunteur et sur le risque d’endettement qui résulte de son octroi.

Les arrêts portant sur l’obligation de mise en garde de l’établissement de crédit sont nombreux chaque année à être publiés sur le site internet de la Cour de cassation. Plus précisément, la chambre commerciale ou la première chambre civile rendent un certain nombre de décisions concernant le croisement précis entre le droit des clauses abusives d’une part et le devoir de mise en garde d’autre part, véritable nid à contentieux ces dernières années (v. par ex., Com. 25 janv. 2023, n° 20-12.811 FS-B, Dalloz actualité, 2 févr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 172  ; RTD civ. 2023. 379, obs. P. Jourdain  ; Civ. 1re, 9 nov. 2022, n° 21-16.846 FS-B, Dalloz actualité, 5 déc. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1964  ; ibid. 2023. 1869, obs. D. R. Martin et H. Synvet ).

L’arrêt rendu le 8 novembre 2023 permet de trancher une question intéressante et, finalement, assez peu souvent sous le feu des projecteurs contrairement au contentieux des clauses abusives : existe-t-il un devoir de mise en garde spécifique pour les crédits dits in finei.e. ceux remboursables en une seule fois à l’issue du terme décidé par les parties ?

Pour répondre à cette question, commençons déjà par comprendre d’où provient le pourvoi n° 22-13.750 qui a donné lieu à l’arrêt que nous étudions aujourd’hui. Une personne physique souscrit auprès d’un établissement bancaire deux prêts remboursables in fine. Le 15 mars 2018, l’emprunteur assigne son créancier en nullité des contrats de prêt (pour des raisons qui ne nous intéressent pas dans l’étude de l’arrêt à hauteur de cassation et qui ne sont de toute manière pas indiquées) tout en invoquant un manquement à l’obligation de mise en garde de l’établissement bancaire. Les juges du fond, décident en cause d’appel, de rejeter les demandes sur ce dernier point. Ils estiment, en effet, que l’emprunteur était en l’espèce propriétaire d’un immeuble dont la valeur se trouvait en adéquation avec la somme empruntée et qu’ainsi il n’existait pas de risque d’endettement particulier. Voici que notre débiteur, mécontent de cette solution qui n’est pas en sa faveur, décide se pourvoir en cassation soutenant que les crédits dits in fine comportent une obligation de mise en garde spécifique liée au risque inhérent à ce type de contrat.

La décision rendue le 8 novembre 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation aboutit à un rejet du pourvoi avec une motivation assez rapide mais fort intéressante qui explique sa publication au Bulletin.

Nous allons étudier pourquoi une telle solution s’imposait.

Un devoir de mise en garde unique aux crédits remboursables par échéances et aux crédits in fine

Toute l’économie de l’arrêt commenté repose au point n° 5 quand la chambre commerciale précise que « l’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenu un établissement de crédit à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement qui résulte de son octroi, et ce, que le prêt soit remboursable par échéances ou en une seule fois à la fin » (nous soulignons). De cet énoncé, on comprend que la Cour de cassation ne souhaite pas donner à sa création, à savoir le devoir de mise en garde, une extension de son territoire déjà au demeurant suffisamment large.

L’idée que sous-tendait le pourvoi était toutefois intéressante, au demeurant, car il postulait que dans les crédits in fine, il existe un devoir de mise en garde spécifique ou du moins dont l’appréciation devrait l’être et fait ainsi dérogation par rapport à celui envisagé dans les crédits remboursables par échéances au long de la durée du contrat. Pour le demandeur à la cassation, une telle argumentation repose sur « le risque particulier » sur lequel s’appuie le crédit in fine. On peut comprendre une telle construction car effectivement il existe bien une certaine dangerosité de ce genre de contrat dans la mesure où l’emprunteur doit faire face à un remboursement intégral d’une somme à un moment précis.

Contrairement à la division de la créance qu’implique le crédit remboursable par échéances, le crédit in fine suit une logique du tout ou rien impliquant que le créancier faisant face à un débiteur défaillant poursuivra ce dernier pour l’intégralité de la somme, avec d’éventuels intérêts de retard. Tout ceci peut signer une dangerosité accrue.

Pour autant, même si l’idée peut paraître séduisante, ce n’est probablement pas suffisant pour diversifier la prise en compte du devoir de mise en garde. En refusant de distinguer entre les différents types de crédits, la chambre commerciale de la Cour de cassation invite ainsi à une solution vecteur de simplicité et de sécurité juridique.

Une solution garante d’uniformité

Il faut remarquer que l’arrêt du 8 novembre 2023 invite à une certaine harmonisation entre les différents types de crédits laquelle est utile pour la pratique de la vie des affaires. Qu’ils soient in fine ou remboursables par échéances, leur devoir de mise en garde est unique. Il ne porte que sur l’adaptation de l’emprunteur non averti aux capacités financières de l’emprunteur ainsi que sur le risque d’endettement qui résulte de son octroi. Si « le droit commun se spécialise » selon l’expression de MM. Collart-Dutilleul et Delebecque (Contrats civils et commerciaux, 11e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, p. 11, n° 8), il n’en reste pas moins qu’il se complexifie également de plus en plus. La solution choisie doit donc être accueillie avec bienveillance pour éviter de sombrer dans un écueil de distinction entre crédits simples et crédits in fine rendant le droit moins lisible sur ces points.

On pourra remarquer que l’arrêt étudié ne se livre pas à une motivation extrêmement développée, arrêt de rejet pour moyen non fondé oblige. Mais le paragraphe n° 5 de son contenu reste une leçon de droit des contrats spéciaux intéressante en ce qu’elle replace le devoir de mise en garde à sa juste place de pièce maîtresse du contrat de prêt sans pour autant lui donner une envergure qu’il ne pourrait pas bien occuper. On soulignera qu’eu égard à la simplicité de la chose, l’arrêt aurait pu être un rejet non spécialement motivé. La simple présence de cette décision destinée au Bulletin doit certainement être comprise comme un rappel important autour de la construction du devoir de mise en garde.

La pratique en sera donc avertie. Le crédit dit in fine vient créer exactement la même obligation de mise en garde qu’un crédit classique remboursable par échéances. On doit probablement s’en féliciter pour la fluidité de la vie des affaires.

 

© Lefebvre Dalloz