Du devoir d’information de la banque prêteuse de deniers quant aux risques de ne pas adhérer à une assurance de groupe

Dans un arrêt rendu le 2 mai 2024, la chambre commerciale revient sur les devoirs de l’établissement bancaire dispensateur de crédit quand ce dernier propose à son client une assurance de groupe pour garantir divers risques durant l’exécution du remboursement et, plus précisément, lorsque la banque se heurte à un premier refus d’adhésion de son futur emprunteur.

L’arrêt rendu le 2 mai 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation permet de mettre en lumière toute la complexité des décisions de justice portant sur la responsabilité de l’établissement de crédit prêteur de deniers. Les difficultés s’accumulent quand le prêteur propose, comme bien souvent, une adhésion à son emprunteur à un contrat d’assurance de groupe. Les contours du devoir de la banque d’éclairer son client sur l’adéquation d’un défaut d’assurance à sa situation personnelle peuvent alors être bien brumeux. On peut ici rappeler une jurisprudence désormais constante (v. sur ce devoir, N. Eréséo, M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, J.-P. Kovar et M. Storck, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 1454, n° 2995) depuis un arrêt d’assemblée plénière du 2 mars 2007 qui avait précisé que « le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d’adhérer au contrat d’assurance de groupe qu’il a souscrit à l’effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l’exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l’éclairer sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation » (Cass., ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, nous soulignons, D. 2007. 985 , note S. Piédelièvre ; ibid. 863, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 120, obs. H. Groutel ; ibid. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2007. 319, obs. L. Grynbaum ; RTD com. 2007. 433, obs. D. Legeais ). L’arrêt du 2 mai 2024 vient apporter un éclairage intéressant à la question pour déterminer le périmètre dudit devoir d’information quand l’emprunteur refuse dans un premier temps l’adhésion à l’assurance de groupe proposée.

Les faits débutent autour de la souscription par une personne physique de vingt-et-un prêts immobiliers entre 2001 et 2008 auprès d’un établissement bancaire. Le but de ces crédits est de financer l’acquisition ainsi que les travaux de rénovation de différents biens immobiliers et ce afin d’en faire des immeubles de rapport. L’emprunteur n’adhère pas à l’assurance de groupe proposée par la banque. Le 29 octobre 2010, le créancier et son débiteur décident de convenir d’un protocole d’accord pour rééchelonner la totalité des prêts conclus. Toutefois, le 27 septembre 2012, l’emprunteur est placé en arrêt de travail à la suite d’une maladie dégénérative. Le 14 décembre suivant, il décide de faire assigner l’établissement bancaire dispensateur de crédit afin de rechercher sa responsabilité pour défaut au devoir de mise en garde sur les risques encourus de ne pas souscrire à l’assurance décès, invalidité et incapacité totale de travail proposée en amont de la signature des contrats. En cause d’appel, les juges du fond écartent la responsabilité de la banque en retenant notamment que l’emprunteur reconnaissait avoir été informé des conditions de l’assurance de groupe et que celui-ci y avait renoncé en toute connaissance de cause. La cour d’appel décide ainsi que la banque n’avait pas manqué à son obligation d’information et de conseil s’agissant de l’assurance de groupe proposée à son emprunteur.

Le débiteur se pourvoit en cassation. Son obstination sera récompensée puisque le moyen présenté parviendra à obtenir une cassation pour violation de la loi. Nous allons examiner pourquoi deux enseignements se dégagent principalement de cette décision publiée au Bulletin.

Le périmètre du devoir d’information quant à l’assurance de groupe

La chambre commerciale rappelle très clairement que la banque est « tenue, en l’absence d’adhésion de l’emprunteur à cette assurance, de l’éclairer sur les risques d’un défaut d’assurance au regard de sa situation personnelle » (pt n° 9, nous soulignons). Ce devoir porte donc sur les risques d’un comportement négatif, à savoir ne pas adhérer à l’assurance de groupe. Ce point de vue visant à éclairer l’emprunteur sur le défaut d’assurance peut rappeler une décision du 14 juin 2007 rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation qui avait décidé que « le banquier, qui mentionne dans l’offre de prêt que celui-ci sera garanti par un contrat d’assurance souscrit par l’emprunteur auprès d’un assureur choisi par ce dernier, est tenu de vérifier qu’il a été satisfait à cette condition ou, à tout le moins, de l’éclairer sur les risques d’un défaut d’assurance » (Civ. 2e, 14 juin 2007, n° 03-19.229, nous soulignons, D. 2007. 1868, obs. X. Delpech ).

Dans l’arrêt du 2 mai 2024, l’originalité tient dans l’application du devoir de mise en garde quant au refus de l’emprunteur d’adhérer à l’assurance de groupe. C’est pour cette raison que le point précédemment cité doit être combiné avec les textes cités au visa, au moins sur l’interprétation faite de la responsabilité de droit commun par la chambre commerciale. On comprend cette application du devoir d’information pour plusieurs raisons. La première, et la principale, reste que l’emprunteur ne peut pas refuser d’adhérer à l’assurance en toute connaissance de cause s’il n’a pas été bien éclairé par la banque des risques de ce potentiel refus. Le raisonnement des juges du fond aboutissait à une sorte de cabinet aux miroirs, justifiant la cassation prononcée. En jugeant que l’emprunteur avait renoncé en toute connaissance de cause à adhérer à l’assurance de groupe sans matérialiser l’information effective par la banque sur ce comportement risqué, impossible de savoir si ce refus était la conséquence d’un devoir de mise en garde bien réalisé ou non.

La chambre commerciale profite également de l’arrêt pour asseoir sa jurisprudence sur les documents contractuels en précisant que « la remise d’une notice claire ne (suffit) pas à satisfaire à cette obligation » (pt n° 6). L’argument permet de consommer un peu plus la violation de la loi prononcée dans l’arrêt étudié puisque les juges du fond avaient considéré que les documents contractuels (et donc les supports des 21 prêts) comportaient « une information sur l’assurance de groupe souscrite par la banque et la possibilité pour l’emprunteur de souscrire une garantie équivalente auprès de l’assureur de son choix » (pt n° 8). L’ensemble s’apparente, en effet, à une notice et celle-ci ne peut pas être suffisante pour justifier de l’obligation d’éclairer l’emprunteur sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle. Cette orientation est connue, au moins depuis 2007, et plus précisément, depuis l’arrêt d’assemblée plénière cité précédemment.

Le périmètre étant dessiné, c’est surtout en raison des règles de droit de la preuve que la cassation s’imposait d’autant plus.

La preuve de l’information délivrée

De la motivation employée, telle que rapportée dans l’arrêt étudié, on comprend que les juges du fond avaient renversé la charge de la preuve dans cette affaire. Le moyen profitait de cette faille dans sa cinquième branche pour solliciter une cassation pour violation de la loi, finalement obtenue. La chambre commerciale est, en effet, dans une lignée constante à ce sujet en considérant que c’est à l’établissement bancaire de démontrer que son obligation de mise en garde a été respectée. Elle se fonde, pour ce faire, sur le droit commun puisque s’agissant du débiteur d’une obligation, c’est à celui-ci de prouver qu’il en est libéré et que la prestation a été exécutée sur le fondement de l’article 1315 devenu 1353, alinéa 2, du code civil à la suite de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant la preuve des obligations.

C’est donc précisément sur ce point que les choses se corseront devant la cour d’appel de renvoi. Les juges du fond n’auront peut-être pas un résultat bien différent de celui de l’arrêt cassé, si l’établissement bancaire parvient à démontrer qu’il s’est exécuté correctement au titre de l’information de l’emprunteur sur les risques d’une non-adhésion à l’assurance de groupe. Difficile de pouvoir savoir l’issue du litige en pareille situation faute de précisions supplémentaires. Toutefois, bien souvent, les éléments dans le dossier démontrant la bonne exécution du devoir sont assez minces pour une raison simple, celle de la difficulté de rapporter une telle preuve.

Les établissements bancaires doivent conserver à l’esprit la nécessité de s’arroger de telles preuves : production de courriels, par exemple, ou de tout document permettant de justifier que l’emprunteur a été éclairé quant aux risques couverts et surtout ici de ceux du défaut d’adhésion à l’assurance de groupe. Le tout est peut-être, paradoxalement, plus facile quand la banque se heurte à un refus de prime abord d’adhésion. Matérialisant ce refus, la banque peut alors y répondre par écrit et justifier ainsi plus facilement la bonne exécution de son devoir.

Voici donc, en somme, un arrêt pluriel fort instructif sur l’information due au titre des assurances de groupe en matière de crédit. Celui-ci ne vient pas apporter des solutions que l’on ne connaissait pas déjà, sauf à préciser du point de vue d’un premier refus de l’emprunteur de souscrire à l’assurance de groupe comment la banque doit réagir, à savoir en avertissant son client des risques d’un tel comportement.v

 

Com. 2 mai 2024, F-B, n° 22-21.642

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