Du double délai pour agir en garantie des vices cachés : épilogue

L’action en garantie des vices cachés doit être exercée par l’acquéreur dans un délai de prescription de deux ans, courant à compter de la découverte du vice, ou, en matière d’action récursoire, de l’assignation principale, sans pouvoir excéder un délai butoir de vingt ans suivant la date de la vente conclue par la partie recherchée en garantie.

La réunion en chambre mixte de la Cour de cassation était impatiemment attendue par la doctrine et les praticiens, tant les incertitudes demeuraient nombreuses et les enjeux économiques importants. En effet, les chambres de la Cour de cassation s’opposent, depuis quelques années, sur la nature juridique du délai de deux ans dont dispose l’acquéreur pour exercer l’action en garantie des vices cachés (C. civ., art. 1648, al. 1er) – le qualifiant tantôt de délai de prescription, tantôt de délai de forclusion – ainsi que sur le concours de ce délai avec la prescription de cinq ans du code de commerce (C. com., art. L. 110-4) venant jouer le rôle d’un délai butoir à compter de la vente. Les praticiens étaient alors contraints de composer avec cette divergence d’appréciation des différentes chambres de la Cour, source d’insécurité juridique et dont il devenait impératif de mettre un terme.

C’est désormais chose faite : dans un souci d’unification de sa jurisprudence, la Cour de cassation réunie en chambre mixte s’est prononcée, dans quatre arrêts rendus le 21 juillet 2023, sur la qualification du délai biennal de l’article 1648, alinéa 1er, du code civil ainsi que sur l’existence d’un délai butoir venant enfermer l’exercice de l’action en garantie des vices cachés.

La consécration d’un délai de prescription biennal

L’article 1648, alinéa 1er, du code civil ne précise pas la nature juridique du délai de deux ans offert à l’acquéreur pour agir en garantie des vices cachés. Dans le silence des textes, les différentes chambres de la Cour de cassation se sont opposées sur la qualification du délai biennal : la troisième chambre civile l’a qualifié de « délai de forclusion » insusceptible de suspension (Civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-22.670, Dalloz actualité, 21 mars 2022, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2022. 548 , note M. Mille Delattre  ; AJDI 2022. 310  ; ibid. 471 , obs. F. Cohet  ; RDI 2022. 115, obs. C. Charbonneau et J.-P. Tricoire  ; 10 nov. 2016, n° 15-24.289), tandis que la première chambre civile et la chambre commerciale ont pu considérer qu’il s’agissait d’un délai de prescription pouvant, à ce titre, être suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès (Civ. 1re, 25 nov. 2020, n° 19-10.824, RTD com. 2021. 177, obs. B. Bouloc  ; 20 oct. 2021, n° 20-15.070, RTD com. 2021. 901, obs. B. Bouloc  ; Com. 28 juin 2017, n° 15-29.013).

C’est dans ce contexte que s’inscrit le premier arrêt commenté, dont il convient de rappeler brièvement les faits.

Pourvoi n° 21-15.809 – Un producteur de produits alimentaires longue conservation à destination des professionnels a assigné son fournisseur et l’assureur de ce dernier sur le fondement de la garantie des vices cachés. Les sociétés défenderesses lui ont opposé la forclusion de son action, au motif que le délai de deux ans n’avait pu être suspendu jusqu’au dépôt du rapport d’expertise judiciaire, l’article 2239 du code civil étant inapplicable au délai de forclusion de la garantie des vices cachés.

La chambre mixte de la Cour de cassation, à défaut de pouvoir s’appuyer sur un fondement légal, a été amenée à rechercher la volonté du législateur.

Elle retient, d’une part, que les rapports accompagnant l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 – ayant substitué le bref délai de l’article 1648 du code civil par un délai de deux ans à compter de la découverte du vice – et son projet de loi de ratification mentionnent l’existence d’un délai de prescription.

La Cour énonce, d’autre part, que l’objectif poursuivi par le législateur est celui de permettre à l’acquéreur, consommateur ou non, d’agir contre son vendeur en garantie des vices cachés aux fins d’obtenir la réparation en nature, la diminution du prix ou la restitution de la chose vendue et que l’acquéreur doit, à ce titre, être mis en mesure d’agir dans un délai susceptible d’interruption et de suspension.

La chambre mixte en a déduit que le délai de deux ans prévu à l’article 1648, alinéa 1er, du code civil est un délai de prescription qui est donc susceptible de suspension par une mesure d’instruction avant tout procès.

Nous ajouterons également que le législateur fait courir le délai de deux ans à compter de la « découverte du vice ». Or, ce point de départ glissant n’est pas compatible avec la nature juridique du délai de forclusion qui constitue un délai de rigueur et dont le cours débute par l’arrivée d’un évènement préfixé (sur la distinction du délai de prescription et de forclusion, v. N. De Andrade, Les délais d’action en droit de la construction, thèse, [dir.] S. Becqué-Ickowicz, 2020, Montpellier).

La Cour de cassation retient ainsi une solution protectrice des intérêts des acquéreurs, puisque le délai de deux ans ne commence à courir qu’au jour de la découverte du vice, qu’il est ensuite interrompu par l’assignation en référé-expertise (C. civ., art. 2241) et enfin suspendu jusqu’au jour du dépôt du rapport d’expertise judiciaire (C. civ., art. 2239).

Dans l’arrêt commenté, le producteur de produits alimentaires avait assigné son fournisseur au fond selon exploit du 25 novembre 2015, soit moins de deux ans suivant le dépôt du rapport d’expertise judiciaire le 19 décembre 2013, de sorte que son action n’était pas prescrite.

L’éviction du concours de la prescription en matière commerciale

La chambre mixte s’est ensuite interrogée sur le concours de la prescription quinquennale du code de commerce (C. com., art. L. 110-4) avec le délai biennal de l’article 1648, alinéa 1er, du code civil.

Pourvoi n° 21-17.789 – L’acquéreur d’un véhicule, alléguant l’existence de vices cachés affectant son usage, a exercé une action directe à l’encontre du fabricant aux fins d’obtenir la restitution du prix de vente et le paiement de dommages-intérêts.

Pourvoi n° 21-19.936 – Les acquéreurs d’un véhicule d’occasion ont, notamment, assigné en garantie le vendeur intermédiaire qui a exercé une action récursoire contre le fabricant sur le fondement de la garantie des vices cachés.

Pourvoi n° 20-10.763 – Un maître de l’ouvrage a confié à un entrepreneur la réalisation de travaux de charpente, couverture et bardage d’un bâtiment agricole. À la suite de l’apparition d’infiltrations en toiture, le maître de l’ouvrage a assigné le constructeur en référé-expertise puis au fond. Le constructeur a appelé en garantie son fournisseur ainsi que le fabricant des plaques de couverture en fibrociment sur le fondement de l’article 1641 du code civil.

Dans ces trois arrêts, le fabricant a opposé la prescription de l’action (principale ou récursoire) introduite à son encontre au motif que le délai butoir de l’article L. 110-4 du code de commerce était arrivé à expiration, plus de cinq ans s’étant écoulés depuis la vente initiale. En d’autres termes, le fabricant invoquait l’application du double délai d’action consacré par la jurisprudence :

Dans les ventes civiles, avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la jurisprudence considérait que le délai de deux ans était enfermé dans la prescription extinctive de droit commun de l’article 2262 du code civil d’une durée de trente ans à compter de la vente (Civ. 3e, 16 nov. 2005, n° 04-10.824, D. 2006. 971 , note R. Cabrillac ). La réforme de la prescription en matière civile a mis un terme à cette jurisprudence puisque, désormais, le nouvel article 2224 réduit la durée de la prescription de droit commun à cinq ans et la dote d’un point de départ glissant.

Dans les ventes commerciales ou mixtes, il a été jugé, y compris postérieurement à la loi du 17 juin 2008, que l’acquéreur doit non seulement agir dans le délai de deux ans de l’article 1648, alinéa 1er, du code civil, à compter de la découverte du vice, mais encore dans le délai de cinq ans de l’article L. 110-4 du code de commerce.

L’existence de ce double délai pour agir est une pure création prétorienne destinée à limiter la garantie du vendeur dans le temps et à empêcher celui-ci d’être condamné, des années suivant la vente, à garantir son acquéreur au titre des vices cachés dont il découvre l’existence.

Ici encore, les chambres de la Cour de cassation s’opposaient sur la computation du double délai pour agir en garantie des vices cachés : selon la première chambre civile et la chambre commerciale, la prescription quinquennale instituée par l’article L. 110-4 du code de commerce commençait à courir compter de la vente initiale (Civ. 1re, 6 juin 2018, n° 17-17.438, Dalloz actualité, 26 juin 2018, obs. N. Kilgus ; D. 2018. 2166 , note C. Grimaldi  ; ibid. 2039, chron. C. Barel, S. Canas, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, S. Gargoullaud, R. Le Cotty, J. Mouty-Tardieu et C. Roth  ; AJ contrat 2018. 377 , obs. D. Mainguy  ; RTD civ. 2018. 919, obs. P. Jourdain  ; ibid. 931, obs. P.-Y. Gautier  ; 11 mars 2020, n° 19-15.972, RTD com. 2020. 442, obs. B. Bouloc ). La troisième chambre civile suspendait quant à elle, en matière d’action récursoire, le délai de cinq ans jusqu’au jour où la responsabilité de l’entrepreneur est recherchée par le maître de l’ouvrage (Civ. 3e, 8 févr. 2023, n° 21-20.271, Dalloz actualité, 7 mars 2023, obs. N. De Andrade ; D. 2023. 342  ; 16 févr. 2022, n° 20-19.047, Dalloz actualité, 21 mars 2022, obs. N. De Andrade ; D. 2022. 589  ; ibid. 585, avis P. Brun  ; ibid. 590, note J.-S. Borghetti ). Cette situation conduisait, finalement, à paralyser le concours de la prescription commerciale puisque le délai de deux ans expirait nécessairement le premier.

Ce concours de délais est néanmoins juridiquement contestable dans la mesure où :

  • l’article L. 110-4 du code de commerce institue un délai de prescription de droit commun applicable aux actions de nature commerciale non soumises à « des prescriptions spéciales plus courtes ». Dès lors, la prescription quinquennale ne peut pas venir jouer cumulativement avec le délai spécial de deux ans de la garantie des vices cachés ;
  • un délai de prescription ne peut pas venir endosser le rôle d’un délai butoir puisqu’ils répondent tous deux à des catégories juridiques distinctes : le délai butoir vient assortir le cours d’un délai d’action d’un terme extinctif, sans prendre en compte les évènements survenant pendant son cours, tandis que la prescription extinctive restreint le temps de l’action judiciaire et demeure susceptible d’être interrompue et suspendue ;
  • l’article L. 110-4 du code de commerce ne vient pas préciser le point de départ du délai de cinq ans. Dans le silence du texte, le point de départ de droit commun de l’article 2224 du code civil retrouve matière à s’appliquer. Ainsi, à admettre le double délai prétorien, le délai de cinq ans et de deux ans commenceraient tous deux à courir au jour de la connaissance du vice par l’acquéreur, privant alors le délai butoir de tout intérêt.

Ce dernier argument est celui retenu par la Cour de cassation dans les arrêts sous étude. La chambre mixte rappelle, à cet égard, que « le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l’article 1648, alinéa premier, du code civil, à savoir la découverte du vice » de sorte que ces délais de prescription de droit commun « ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l’action en garantie des vices cachés ».

En d’autres termes, la chambre mixte reconnaît enfin que les délais de prescription de droit commun (C. civ., art. 2224 en matière civile et C. com., art. L. 110-4 en matière commerciale) ne peuvent pas venir encadrer le délai de deux ans pour agir en garantie des vices cachés, puisqu’ils commencent eux-mêmes à courir à compter du même jour.

L’encadrement de l’action en garantie des vices cachés par le délai butoir vicennal

Poursuivant son analyse, la chambre mixte considère que seul le délai de vingt ans de l’article 2232 du code civil constitue le délai butoir de droit commun des actions civiles et commerciales au-delà duquel elles ne peuvent plus être exercées.

Dès lors, le délai de deux ans est lui-même enfermé dans un délai de vingt ans à compter de la naissance du droit qui correspond, en matière de garantie des vices cachés, au « jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie ».

Trois hypothèses sont donc susceptibles de se présenter :

  • l’action directe de l’acquéreur contre le vendeur initial se prescrit par un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, sans pouvoir dépasser un délai de vingt ans suivant la vente initiale du bien (pourvoi n° 21-17.789, D. 2023. 1405 ) ;
  • l’action récursoire du vendeur intermédiaire contre le fabricant se prescrit par deux ans à compter de l’assignation principale de l’acquéreur, et ne peut excéder un délai de vingt ans suivant la vente à l’origine de la garantie invoquée au soutien de l’action récursoire – soit la vente initiale conclue avec le fabricant (pourvoi n° 21-19.936) ;
  • l’action récursoire du constructeur contre le fournisseur et le fabricant se prescrit par deux ans à compter de l’assignation principale du maître de l’ouvrage, sans que son recours en garantie ne puisse être engagé plus de vingt ans après la date de chacune des ventes conclues avec ceux-ci (pourvoi n° 20-10.763).

En définitive, l’unification par la Cour de cassation de sa jurisprudence concerne aussi bien les ventes simples que les ventes réalisées dans les chaînes de contrat (homogènes et hétérogènes) et qu’elle que soit la nature du bien vendu, mobilier ou immobilier (Communiqué de presse de la Cour de cassation, 21 juill. 2023).

La chambre mixte se prononce, enfin, sur la computation du délai butoir lorsque la vente a été conclue avant le 19 juin 2008, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Dans une telle situation, les dispositions transitoires prévues à l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 – reprises à l’article 2222 du code civil – ont vocation à s’appliquer :

Dans les ventes civiles, le délai de vingt ans est applicable à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008, sans que sa durée totale ne puisse excéder la durée de trente ans prévue par l’ancien article 2262 du code civil ;

Dans les ventes commerciales ou mixtes, le délai de vingt ans s’applique lorsque la prescription anciennement décennale de l’article L. 110-4 du code de commerce n’était pas expirée au 19 juin 2008 et il est alors tenu compte du délai déjà écoulé depuis la vente conclue par la partie recherchée en garantie.

On pourrait néanmoins objecter que le délai butoir de vingt ans a été instauré par la loi du 17 juin 2008 de sorte que, s’agissant d’un nouveau délai, les dispositions transitoires reprises à l’article 2222 du code civil aurait pu être considérées inapplicables, ce que n’a néanmoins pas jugé par la Cour de cassation.

En tout état de cause, la solution consacrée par la Cour assure un meilleur équilibre entre les intérêts du vendeur et du fabricant, qui ne sauraient être indéfiniment tenus à garantir la chose vendue des vices cachés qui l’affecteraient, et ceux de l’acquéreur, qui dispose d’un temps suffisant pour agir à titre principal ou récursoire à leur encontre.

 

Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, B+R, n° 21-15.809

Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, B+R, n° 21-17.789

Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, B+R, n° 21-19.936

Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, B+R, n° 20-10.763

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