Du nouveau en franchise : indivisibilité avec la location-gérance et cession de contrôle du franchiseur sans l’accord du franchisé, malgré l’intuitu personae
La Cour de cassation continue d’exiger l’accord des franchisés pour la réalisation d’opérations portant sur le franchiseur lorsque celles-ci modifient sa personnalité morale. La cession de contrôle n’est donc pas concernée et peut s’opérer sans l’accord des franchisés. La Cour se fonde sur un intuitu personae particulièrement désincarné, logé dans la personne morale du franchiseur (non de ses dirigeants ou actionnaires). Cette conception interroge car déconnectée des préoccupations pratiques des franchisés. L’arrêt invite alors à réfléchir sur ce qu’est l’intuitu personae en franchise. Par ailleurs, l’indivisibilité des contrats de location-gérance et de franchise est retenue. Le non-renouvellement de la location-gérance entraîne donc la caducité de la franchise. Techniquement fondée, la solution fragilise toutefois la situation des franchisés, dont l’engagement peut prendre fin à chaque échéance de la location-gérance.
1. Publié au Bulletin, l’arrêt sous commentaire réussit le tour de force de réunir le droit de la distribution, le droit des sociétés et le droit des contrats. Il s’agit, qui plus est, d’un nouvel épisode de l’affaire Pizza Sprint, largement relayée par la presse économique ou généraliste (Les Échos, 13 oct. 2015 ; Ouest France, 1er juin 2016 et 24 mai 2019). La configuration est connue. En 2016, ce réseau de franchise est cédé à Domino’s par le biais d’une cession de contrôle. Plusieurs contentieux sont liés à ce réseau et à cette cession. Le principal a récemment connu son dénouement : le 28 février 2024, la Cour de cassation a rendu une importante décision relative aux pratiques restrictives de concurrence et à l’action du ministre de l’Économie (Com. 28 févr. 2024, n° 22-10.314, Dalloz actualité, 8 mars 2024, obs. Y. Heyraud ; D. 2024. 420
; JCP 2024. 525, obs. C. Nourissat ; CCC 2024. Comm. 58, note N. Mathey ; LEDICO, avr. 2024, nos DDC202f2 et DDC202f1, note M. Behar-Touchais ; Gaz. Pal. 30 avr. 2024, n° 15, p. 4, obs. D. Houtcieff ; Concurrences 2-2024, art. nos 118297 et 118320, note N. Ferrier ; Lettre distrib. mars 2024, p. 1, obs. Y. Idani ; Lexbase Affaires, 7 mars 2024, n° 787, obs. V. Téchené). Cet arrêt a notamment statué sur l’une des clauses majeures de la franchise : la clause d’intuitu personae pesant sur le franchisé. La nullité a certes, en l’espèce, été retenue. Mais l’enjeu était ailleurs : la pratique redoutait, depuis l’arrêt d’appel, que cette clause soit systématiquement nulle dès lors qu’elle pesait sur le seul franchisé. La solution est rassurante : c’est bien l’imprécision qui est sanctionnée, non son unilatéralité (sur l’ensemble du débat et la solution, Y. Heyraud, préc., §§ 17 s.).
2. L’arrêt du 28 février statuait donc sur l’intuitu personae pesant sur le franchisé. Mais qu’en est-il de celui pesant sur le franchiseur ? L’arrêt sous commentaire peut entrer en scène. Comprendre le litige suppose d’indiquer que la tête de réseau avait passé deux contrats avec ses membres : un contrat de franchise d’une durée de dix ans et un contrat de location-gérance d’une durée d’un an. Fréquent dans la franchise alimentaire de proximité et de restauration rapide, ce montage est aussi intéressant que dangereux. Intéressant car la tête de réseau conserve des emplacements stratégiques et car le candidat peut s’engager dans l’aventure à moindre coût. Dangereux car les redevances sont doublées (location et franchise), l’exploitant ne peut, en outre, pas valoriser, notamment lors de son départ, le fonds de commerce développé grâce à son activité.
Quelques mois après la cession du réseau Pizza Sprint, la tête de réseau indique que le contrat de location-gérance ne sera pas renouvelé à son terme. Le locataire-franchisé exige toutefois de rester dans les locaux et le maintien des services liés à son contrat de franchise. La tête de réseau argue alors de l’indivisibilité des deux contrats : si la location-gérance a pris fin, la franchise également, ce par le jeu de la caducité.
3. La cour d’appel retient la caducité du contrat de franchise et condamne le locataire-franchisé à payer diverses sommes liées aux loyers de la location-gérance et à la franchise (Paris, pôle 5 - ch. 4, 29 juin 2022, n° 18/19812, D. 2023. 705, obs. N. Ferrier
). Le pourvoi contestait deux points : l’indivisibilité des contrats ; la possibilité de transmettre un réseau de franchise par le biais d’une cession de contrôle sans l’accord du franchisé.
4. La solution de la Cour de cassation est claire : l’indivisibilité des contrats est reconnue, la cessation de la location-gérance entraîne donc la caducité de la franchise (arrêt, §§ 13 s.) ; l’accord du franchisé à la transmission du réseau par cession de contrôle n’est pas requis, sauf évidemment clause contraire (arrêt, § 18).
5. L’arrêt rendu est particulièrement riche, tant sur un plan pratique que théorique. Le principal enseignement est relatif à la transmission d’un réseau de franchise par cession de contrôle. L’arrêt invite ici à questionner l’intuitu personae pesant sur le franchiseur et les conséquences de celui-ci sur la liberté dont dispose le franchiseur lors de la cession de son réseau. Néanmoins, la question de l’indivisibilité des contrats de location-gérance et de franchise ne doit pas être sous-estimée. La solution est techniquement fondée mais elle conduit à fragiliser la situation des franchisés car leur engagement peut prendre fin à chaque échéance annuelle de la location-gérance, ce sans considération de la durée de la franchise.
Analyse théorique : l’intuitu personae réside dans la personne morale du franchiseur
6. L’arrêt invite, tout d’abord, à réfléchir, d’un point de vue abstrait, à l’intuitu personae pesant sur le franchiseur. La formule sonne comme un principe : « le contrat de franchise est conclu en considération de la personne du franchiseur » (arrêt, § 18). En 2008, une formule similaire était utilisée (Com. 3 juin 2008, n° 06-18.007, Dalloz actualité, 12 juin 2008, obs. A. Lienhard ; Lesage (Mme) c/ Distribution Casino France (Sté), D. 2008. 1623
; ibid. 2009. 2888, obs. D. Ferrier
; Rev. sociétés 2009. 339, note L. Amiel-Cosme
; RTD civ. 2008. 478, obs. B. Fages
; RTD com. 2009. 385, obs. P. Le Cannu et B. Dondero
; JCP E 2008. 2210, note H. Hovasse ; CCC 2008. Comm. 200, obs. M. Malaurie-Vignal). En 2014, un arrêt inédit avait pu semer le doute. Cet arrêt se fondait sur l’appréciation de la cour d’appel qui avait « retenu à bon droit le caractère intuitu personae du contrat de franchise » (Com. 7 janv. 2014, n° 10-18.319, BJS, mai 2014, n° 111x3, p. 335, obs. B. Dondero). On pouvait donc s’interroger sur l’existence systématique d’un intuitu personae pesant sur le franchiseur (B. Dondero, préc., spéc. § 6). En 2024, la formule employée nous semble en faveur d’un intuitu personae qui est inhérent au contrat de franchise. Aucune clause en ce sens ne serait donc requise ; clause qui n’est d’ailleurs jamais stipulée par le franchiseur et dont l’acceptation serait plus que douteuse en cas de proposition par le franchisé.
7. Le contrat de franchise est conclu en considération de la personne du franchiseur. Mais où se loge exactement cet intuitu personae ? La réponse est immédiatement donnée : l’intuitu personae réside dans la personne morale du franchiseur ; « la personne morale en considération de laquelle le franchisé s’est engagé » (arrêt, § 18). Cette formule mérite d’être précisée. La Cour ne s’attarde pas sur le dirigeant ou l’actionnariat du franchiseur, ces aspects sont sans importance (arrêt, § 18). L’essentiel est la personne morale. Mais attention : une personne morale totalement désincarnée, c’est-à-dire, l’entité bénéficiant de la personnalité juridique. Voilà, selon la Cour de cassation, en considération de quoi un franchisé s’engage lorsqu’il intègre le réseau.
8. L’analyse n’emporte pas notre conviction. Un franchisé peut s’engager pour diverses raisons. La plus essentielle est le concept franchisé. Voilà ce que recherche, avant toute chose, un franchisé. C’est ce qui compte pour lui. Osons la formule : un intuitu conceptae. Un franchisé peut, également, s’engager en considération de la personne du franchiseur. Attention : nous visons ici le dirigeant (voire les actionnaires) de ce franchiseur. Dit autrement : les personnes – évidemment physiques – qui incarnent le franchiseur. Cet engagement en considération des personnes peut exister mais il nous apparaît plus modeste que la considération du concept. Tout au plus peut-on réserver le cas des réseaux de micro-franchise où, en raison de la taille limitée, les relations humaines peuvent être fortes. Mais, en tout état de cause, la considération des personnes sera toujours secondaire. Quel franchisé s’engagerait pour des personnes alors que le concept ne le séduit pas ?
Résumons : le concept, certainement ; les personnes, éventuellement… mais on peine à justifier qu’un franchisé s’engage en considération de la personne morale du franchiseur en tant que telle.
9. Les conceptions de l’intuitu personae sont, finalement, affaire de sensibilité (pour un panorama d’ensemble, A.-S. Barthez, La transmission universelle des obligations, J. Ghestin [dir.], thèse, Univ. Paris 1, 2000, nos 476 s., et les références citées). En matière de franchise, on peut en rendre compte par ces quelques citations. Notre confrère Rémi de Balmann écrit que : « choisir un franchiseur, c’est choisir un concept et une enseigne, alors que choisir un franchisé c’est choisir un homme ou une femme […] Intuitu firmae d’un côté, intuitu personae de l’autre » (R. de Balmann, Le déséquilibre significatif en franchise : Eldorado pour les franchisés ou triangle des Bermudes pour les franchiseurs ?, RLDA 2023, n° 193, p. 28 s., spéc. p. 29). Pour le professeur Nicolas Mathey : « Reconnaître que le contrat de franchise est caractérisé par un intuitu personae bilatéral est juste ; prétendre qu’il doit être symétrique est contestable […] les intérêts du franchisé et du franchiseur ne sont pas les mêmes » (N. Mathey, CCC 2022/3. Comm. 45). Nous écrivions, pour notre part, que : « le franchisé ne s’engage pas en considération de la personne du franchiseur […] Le franchisé s’engage en considération d’un concept et des conditions proposées […] Le franchisé est, en revanche, sur le terrain l’incarnation concrète du concept de la franchise […] on comprend que la personne du franchisé soit déterminante et que le franchiseur se réserve des droits d’information, d’agrément et de résiliation » (Y. Heyraud, Dalloz actualité, 8 mars 2022, note ss. Paris, pôle 5 – ch. 4, 5 janv. 2022, n° 20/00737, Dalloz actualité, 8 mars 2022, obs. Y. Heyraud). Notre consœur Charlotte Bellet et le professeur Nicolas Dissaux ne partagent pas ces analyses et affirment que la personne du franchiseur à autant d’importance que celle du franchisé (N. Dissaux et C. Bellet, Guide de la franchise 2023/2024, 2e éd., Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2023, § 121.134).
Analyse pratique : quelles sont les opérations soumises à l’accord du franchisé ?
10. Si nous ne partageons pas la conception théorique de l’intuitu personae développée par la Cour de cassation, encore faut-il en éprouver les conséquences pratiques. Cette conception conduit à opérer une distinction fondée sur la continuité, ou non, de la personne morale du franchiseur. Concrètement :
- la personne morale du franchiseur est maintenue, par exemple en cas de cession de contrôle ? Le consentement du franchisé à cette opération n’est pas requis (arrêt, § 18) ;
- la personne morale du franchiseur disparaît, par exemple en cas de fusion-absorption ? Le consentement du franchisé devient requis (en ce sens, Com. 3 juin 2008, préc., « le contrat de franchise, conclu en considération de la personne du franchiseur, ne peut être transmis par fusion-absorption à une société tierce, qu’avec l’accord du franchisé »).
11. Mais est-il pertinent de structurer le droit positif autour de la continuité de la personne morale du franchiseur ? On peut en douter. Ce critère peut s’avérer défaillant et ne protéger ni les intérêts du franchisé, ni ceux du franchiseur. Reprenons les deux exemples cités ci-dessus.
Côté franchisé, l’affaire Pizza Sprint a montré qu’une cession de contrôle peut conduire à des changements radicaux, matérialisés par un passage sous enseigne et contrat Domino’s (sur la décision de l’Autorité de la concurrence, refusant de sanctionner l’opération et ses conséquences, Aut. conc. 17 oct. 2018, n° 18-D-22). Certes, la personne morale demeure. Mais est-il pertinent de se passer de l’accord du franchisé ?
Côté franchiseur, la fusion-absorption de celui-ci conduit certes à modifier la personne morale. Mais si le concept, les personnes et le contrat demeurent – bref, que rien ne change – est-il pertinent de requérir l’accord du franchisé ? N’est-ce pas offrir un outil de blocage qui pourrait être instrumentalisé à des fins opportunistes ?
12. Dans un domaine voisin de la franchise, on relèvera encore que ce critère de continuité de la personne morale est également inapproprié lorsqu’on envisage une cession de contrôle du distributeur. Un arrêt a ainsi jugé que le fournisseur ne pouvait rompre un contrat de distribution, motif pris d’une cession de contrôle du distributeur et d’un changement de dirigeant (Com. 29 janv. 2013, n° 11-23.676, Dalloz actualité, 11 févr. 2013, obs. E. Chevrier ; Castes industrie (Sté) c/ Seeb (Sté), D. 2013. 361
; ibid. 2014. 893, obs. D. Ferrier
; Rev. sociétés 2013. 552, note M. Caffin-Moi
; RTD civ. 2013. 397, obs. P.-Y. Gautier
; CCC 2013. Comm. 75, note N. Mathey ; JCP E 2013. 1225, note F. Buy ; Gaz. Pal. 11 avr. 2013, n° 101, obs. D. Houtcieff). Selon la Cour, la personne morale du distributeur n’ayant pas été modifiée, l’accord du fournisseur n’était pas requis et la relation s’est poursuivie. Mais le distributeur n’est-il pas, à l’instar du franchisé, l’incarnation concrète des produits vendus sur le terrain ? À nouveau, on constate que le critère de la continuité de la personne morale ne protège pas nécessairement les intérêts qui mériteraient de l’être.
13. Le constat est donc le suivant : le droit positif repose sur un critère de continuité de la personne morale. L’erreur est, selon nous, de s’être focalisé – à l’excès – sur cette personne morale, ce d’autant que l’orientation n’assure pas la protection des intérêts en présence. Un équilibre, peut-être plus satisfaisant, pourrait être recherché en s’attachant davantage à la force obligatoire des contrats qu’à la continuité de la personne morale. Distinguons, à nouveau.
14. Le franchiseur devrait bénéficier d’une liberté de principe. Il devrait pouvoir librement céder son réseau, ce quelle que soit la modalité (cession de contrôle, fusion-absorption, etc. ; sur cette question, R. de Balmann, La transmission du réseau de franchise : non aux dogmes, oui au pragmatisme !, JCP E 2023. 1128). L’accord du franchisé n’apparaît pas requis car, comme nous le soutenons, l’intuitu personae pesant sur le franchiseur est, si ce n’est minime, à tout le moins secondaire. Répétons. Ce qui compte, pour le franchisé, c’est le concept. Or, le concept et sa continuité sont liés à la force obligatoire du contrat. Si le contrat de franchise est maintenu, la personne morale du franchiseur peut bien évoluer, cela est indolore pour le franchisé. Simple effet de la force obligatoire des contrats. Bien entendu, si la cession du réseau conduit à sa déliquescence, les franchisés seraient en droit d’obtenir réparation (Lyon, 17 févr. 2005, n° 03/01960 ; C. Bellet, La transmission d’un réseau de franchise : point de vue d’un praticien, JCP E 2023. 1127, spéc. § 11).
15. Le franchisé ne peut, quant à lui, bénéficier d’une même liberté. La justification tient au fait que l’intuitu personae est ici beaucoup plus fort. Le franchisé est l’incarnation du concept sur le terrain. Le franchiseur s’engage, lui, en considération du dirigeant portant le projet. Partant, le franchiseur doit pouvoir conserver un droit de regard et la possibilité de résilier le contrat si cet intuitu personae est modifié (changement de dirigeant, cession de contrôle, etc.). Les franchiseurs stipulent, évidemment, des clauses en ce sens. L’important est que ces clauses ne dérivent pas vers un contrôle généralisé du franchisé ou qu’elles offrent au franchiseur un moyen commode de mettre fin au contrat. C’est, précisément, vers cet équilibre que tend l’arrêt du 28 février 2024 déjà évoqué (supra, § 1).
Analyse technique de l’indivisibilité des contrats de franchise et de location-gérance
16. L’arrêt commenté est également intéressant lorsqu’il affirme que les contrats de franchise et de location-gérance sont indivisibles (arrêt, §§ 13-15). La solution est difficile à apprécier tant sa rigueur technique contraste avec la précarisation qu’elle génère pour les franchisés. Commençons par l’aspect technique.
17. Tout d’abord, l’appréciation de l’indivisibilité des contrats mérite d’être analysée. Avant la réforme, l’indivisibilité des contrats a donné lieu à une jurisprudence abondante. L’orientation générale est que les contrats sont indivisibles ou interdépendants quand ils concourent à la même opération économique, poursuivent le même but et n’ont aucun sens indépendamment les uns des autres (parmi plusieurs références, Com. 13 févr. 2007, n° 05-17.407, Dalloz actualité, 5 mars 2007, obs. X. Delpech ; Faurecia sièges d’automobiles (Sté) c/ Oracle France (Sté), D. 2007. 654, obs. X. Delpech
; ibid. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson
; RTD civ. 2007. 567, obs. B. Fages
). On s’interrogeait toutefois sur le critère auquel se référer : un critère subjectif, selon lequel l’indivisibilité devait être voulue, ou un critère objectif reposant sur la seule analyse de l’opération ? L’arrêt commenté, reprenant largement la motivation de la cour d’appel, mobilise les deux critères pour justifier l’indivisibilité. L’opération, dans son ensemble, est évoquée (« le contrat de location gérance constitue le support du contrat de franchise sans lequel celui-ci ne peut s’exécuter et que le sort du contrat de franchise est ainsi lié à celui du contrat de location gérance »). L’existence d’une clause indivisibilité dans le contrat de location-gérance a également été relevée (arrêt, § 13).
À suivre les spécialistes du droit des contrats, on peut penser que la réforme, c’est-à-dire le nouvel article 1186 du code civil, ne modifiera pas cette solution. Le texte est rédigé de façon suffisamment large pour que les deux critères – subjectif et objectif – soient mobilisés (O. Deshayes, T. Génicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., LexisNexis, 2018, p. 401 ; G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, 3e éd., Dalloz, 2024, § 495).
Quoi qu’il en soit, retenir l’indivisibilité est pleinement justifié. Les contrats de location-gérance et de franchise concourent bien à une même opération, à savoir l’exploitation d’un point de vente par le locataire-franchisé.
18. Ensuite, la reconnaissance d’une indivisibilité entre la location-gérance et la franchise doit être soulignée. Une telle indivisibilité est fréquente dans un autre domaine : la location financière, ce malgré les clauses de divisibilité, récemment réputées non écrites sous l’empire du nouvel article 1186 du code civil (Com. 10 janv. 2024, n° 22-20.466, Dalloz actualité, 16 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 342
, note G. Chantepie
; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki
; RTD civ. 2024. 100, obs. H. Barbier
; RTD com. 2024. 147, obs. D. Legeais
; JCP 2024. 277, obs. D. Houtcieff ; ibid. 299, obs. M. Lagelée Heymann ; CCE 2024. Comm. 33, obs. G. Loiseau). La reconnaissance d’une indivisibilité est, à notre connaissance, plus rare en matière de distribution et de franchise. Elle a pu être validée à propos de contrats d’exploitation et d’approvisionnement (Civ. 1re, 4 avr. 2006, n° 02-18.277, Etablissement Gaz de France c/ Elyo (Sté), D. 2006. 2656
, note R. Boffa
; ibid. 2638, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson
; RTD civ. 2007. 105, obs. J. Mestre et B. Fages
; RDC 2006. 700, obs. D. Mazeaud). L’indivisibilité a pu, au contraire, être refusée en matière de franchise, dans une hypothèse toutefois particulière car le franchisé ne l’avait pas invoquée devant les juges du fond (Com. 21 oct. 2020, n° 18-19.702, CCC 2021. Étude 3, obs. J.-B. Gouache et M. Behar-Touchais). Des indivisibilités ont pu être reconnues en matière de franchise par les juridictions du fonds ; soit pour consacrer l’anéantissement de la location-gérance en raison de la nullité de la franchise (Paris, pôle 5 - ch. 4, 7 nov. 2018, n° 16/10209), soit pour consacrer l’extension d’une clause d’arbitrage (Paris, pôle 5 - ch. 3, 21 mars 2018, n° 16/16091 ; en sens contraire, refusant cette extension, Paris, pôle 1 - ch. 1, 3 oct. 2017, n° 16/23621). Ainsi, la reconnaissance par la Cour de cassation d’une indivisibilité entre la location-gérance et la franchise semble être une première.
19. L’indivisibilité étant retenue, et la location-gérance n’ayant pas été renouvelée, la conclusion est automatique : le contrat subsistant, c’est-à-dire la franchise, tombe, par l’effet de la caducité. Cette conclusion est logique : la caducité est, aujourd’hui, la sanction retenue depuis un important revirement (Cass., ch. mixte, 13 avr. 2018, n° 16-21.345, Dalloz actualité, 4 mai 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1185, obs. N. explicative de la Cour de cassation
, note H. Barbier
; ibid. 2106, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki
; AJ contrat 2018. 277, obs. C.-E. Bucher
; RTD civ. 2018. 388, obs. H. Barbier
; RTD com. 2018. 434, obs. D. Legeais
; ibid. 450, obs. B. Bouloc
; CCC 2018. Comm. 126, note L. Leveneur ; JCP 2018. 543, note F. Buy ; Banque et Droit sept.-oct. 2018. 16, note T. Bonneau ; C. civ., art. 1186, al. 2).
20. On relèvera encore que l’existence de personnes morales distinctes ne saurait faire échec à l’indivisibilité et à la caducité. Concrètement, comme l’arrêt l’illustre, le fait que bailleur et franchiseur soient deux personnes morales distinctes (mais appartenant au même groupe) est sans importance. L’indivisibilité et la caducité peuvent être reconnues.
Analyse pratique de l’indivisibilité : la précarisation des franchisés
21. Si la solution se justifie d’un point de vue technique, elle fragilise grandement la situation des franchisés d’un point de vue pratique. Un franchisé a besoin de temps. Du temps pour rembourser son crédit. Du temps pour amortir ses investissements. Du temps pour devenir performant. Bref, du temps. Or, qu’est-ce qu’une franchise de dix ans (pour reprendre les faits d’espèce) si la location-gérance peut s’arrêter à la fin de chaque année et entraîner, avec elle, la fin de la franchise ? En d’autres termes, la clause de durée de la franchise n’a plus aucune signification ou portée en raison de l’indivisibilité des contrats et de la durée réduite de la location-gérance.
22. Le franchisé dispose-t-il, cependant, d’outils pour contester une telle situation ? Certains ne fonctionnent pas. Premièrement, l’indivisibilité est voulue par le bailleur-franchiseur, qui impose systématiquement des clauses comme l’illustre l’arrêt. Plus encore, cette indivisibilité est connue par le locataire-franchisé qui ne pourra invoquer la règle selon laquelle la caducité lui est inopposable car il ignorait l’existence de l’opération d’ensemble (C. civ., art. 1186, al. 3). Deuxièmement, il a été jugé que, en cas d’indivisibilité, la résiliation d’un contrat entraîne la caducité de l’autre mais peut ouvrir droit à indemnisation (Com. 12 juill. 2017, nos 15-23.552 et 15-27.703, Dalloz actualité, 26 juill. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1468
; ibid. 2328, chron. A.-C. Le Bras, F. Jollec, T. Gauthier, S. Barbot et S. Tréard
; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki
; AJ contrat 2017. 429
, obs. S. Bros
; RTD civ. 2017. 846, obs. H. Barbier
; RTD com. 2017. 671, obs. D. Legeais
; JCP 2017. 1523, note N. Dissaux ; ibid. 1021, note F. Buy ; Gaz. Pal. 26 sept. 2017, n° 32, p. 34, obs. D. Houtcieff ; RDC 2017/4. 590, note T. Génicon). Le pourvoi tentait de mobiliser cet arrêt en soutenant que le bailleur-franchiseur avait, via le non-renouvellement de la location-gérance, procédé à une résiliation anticipée de la franchise et, donc, que celle-ci ouvrait droit à indemnisation. L’argument est sèchement rejeté : le non-renouvellement n’est pas assimilable à une résiliation anticipée, aucune faute n’a été commise (arrêt, § 14).
23. Reste, peut-être, les pratiques restrictives de concurrence. Premièrement, la rupture brutale peut être envisagée (C. com., art. L. 442-1, II). La jurisprudence attache une importance aux attentes de la victime, qui pouvait légitiment croire à la stabilité ou à la poursuite de la relation (parmi de nombreux ex., Com. 18 mai 2010, n° 08-21.681, Dalloz actualité, 31 mai 20210, obs. E. Chevrier ; France 2 (Sté) c/ Planète prod (Sté), D. 2010. 1341, obs. E. Chevrier
; ibid. 2011. 472, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson
; ibid. 540, obs. D. Ferrier
; Légipresse 2010. 199 et les obs.
; LPA 13 août 2010, n° 161, p. 16, note O. Roumelian ; RDC 2010. 290, obs. M. Behar-Touchais). Pourrait-on soutenir que le locataire-franchisé, se fondant sur la durée de la franchise (10 ans, en l’espèce), a pu légitimement croire à la stabilité de la relation, dans sa globalité, malgré une location-gérance d’une durée d’un an ? L’argument s’entend. Mais il se renverse : la durée de la location-gérance, combinée à la clause d’indivisibilité, n’ont-elles pas précarisé la relation et ainsi supprimé les croyances de la victime ? Une deuxième piste peut être envisagée. D’un côté, le locataire-franchisé développe le fonds de commerce du bailleur-franchiseur, lui paye des redevances de location et de franchise, et n’a, d’un autre côté, qu’une visibilité très limitée sur la durée de son engagement. Serait-il totalement aberrant de considérer que l’association de la durée de la location-gérance, de l’indivisibilité des contrats et du montant des redevances conduit à générer un déséquilibre significatif, voire un avantage manifestement disproportionné (C. com., art. L. 442-1, I) ? Il y a là une piste qui mériterait d’être explorée.
Com. 15 mai 2024, FS-B, n° 22-20.747
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