Du point de départ de la prescription applicable à l’action en garantie des vices cachés contre le constructeur
Dans un arrêt rendu le 25 septembre 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle les rapports entretenus entre les articles L. 5113-5 du code des transports et 2232 du code civil avec la loi du 17 juin 2008 réformant la prescription extinctive.
Certaines questions sont aussi techniques que redoutables. Parmi celles-ci, la thématique du point de départ de la prescription extinctive fait figure de modèle (v. sur ce sujet, la thèse du professeur Klein, J. Klein, Le point de départ de la prescription, préf. N. Molfessis, Economica, coll. « Recherches juridiques », 2013). Régulièrement, des arrêts viennent compléter la fresque des décisions publiées statuant sur ces difficultés récurrentes en jurisprudence (v. par ex., Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 22-21.366 F-B, Dalloz actualité, 27 sept. 2024, obs. T. Scherer ; D. 2024. 1372
; Civ. 3e, 11 juill. 2024, n° 22-22.058 FS-B, Dalloz actualité, 25 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1324
). Le praticien du droit civil ou du droit des affaires se retrouve nécessairement confronté à de telles difficultés eu égard à l’enjeu fondamental de la question pour tout procès dans lequel un certain temps s’est déjà écoulé avant l’assignation introductive.
Aujourd’hui, nous étudions la fameuse thématique du point de départ de la prescription des vices cachés laquelle a fait l’objet de plusieurs arrêts de chambre mixte en juillet 2023 (Cass., ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809 B+R, n° 21-17.789 B+R, n° 21-19.936 B+R et n° 20-10.763 B+R, Dalloz actualité, 13 sept. 2023, obs. N. De Andrade ; D. 2023. 1728
, note T. Genicon
; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki
; AJDI 2023. 788
, obs. D. Houtcieff
; RTD civ. 2023. 914, obs. P.-Y. Gautier
; RTD com. 2023. 714, obs. B. Bouloc
). Mais cette fois-ci, c’est l’article L. 5113-5 du code des transports qui est au cœur du litige et avec lui sa prescription d’une année à compter de la date de la découverte du vice caché pour l’action en garantie contre le constructeur. À l’origine du litige, on retrouve l’acquisition par une personne physique d’un navire le 9 octobre 2000. Celui-ci est équipé de deux moteurs d’une certaine grande société spécialisée en la matière. Le constructeur desdites pièces organise en juillet 2001 un programme de changement des circuits de refroidissement d’air d’admission sur certains moteurs, dont ceux installés sur le navire acquis une année auparavant. Une société s’occupe donc de changer les circuits de refroidissement le 7 mai 2002. Le 28 juillet suivant, le navire subit toutefois quelques dégâts en raison d’un évènement de mer. Les travaux sont pris en charge par l’assureur du propriétaire.
Le 26 avril 2005, le propriétaire du navire décide de vendre ce dernier à une seconde personne physique. En 2011, ledit navire subit une panne du moteur en raison d’une casse sur défaut de pression d’huile. Après expertise ordonnée en référé, le second acquéreur du navire assigne les différentes sociétés en réparation de son préjudice. Se noue assez rapidement une question de recevabilité de l’action du propriétaire sur le fondement de l’article L. 5113-5 du code des transports. La cour d’appel saisie du dossier décide de déclarer irrecevables les actions ainsi diligentées contre les sociétés dans la mesure où l’expert avait fixé la date d’apparition des vices cachés le 31 juillet 2002. En tout état de cause, les juges du fond considèrent que l’article 2232 du code civil ne pouvait pas s’appliquer à la cause et que le délai décennal de l’ancien article L. 110-4 du code de commerce était intégralement écoulé.
Ce raisonnement est contesté par le demandeur à la cassation. Il estime que son action est recevable puisqu’au jour de la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la prescription de dix ans de l’article L. 110-4 du code de commerce n’était pas encore intégralement consommée. Selon son argumentation, il fallait donc appliquer l’article 2232 nouveau pour déterminer le délai butoir applicable à la cause. Nous allons examiner pourquoi ce raisonnement a pu conduire à une cassation pour violation de la loi dans l’arrêt étudié.
Une combinaison de textes désormais connue
L’arrêt du 25 septembre 2024 procède à un raisonnement en plusieurs étapes centré autour de la combinaison de plusieurs textes issus de différents instruments normatifs. Le litige est, en effet, à la croisée des chemins entre droit commun – avec les textes du code civil sur la prescription – et droit spécial puisqu’il s’agit d’une action en garantie contre un constructeur. On retrouve donc, d’abord, l’article L. 5113-5 du code des transports régissant la prescription d’un an de l’action en garantie contre le constructeur pour vice caché lequel doit être combiné, ensuite, à l’article 2232 du code civil prévoyant le délai butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. Pour déterminer si cette dernière disposition est applicable, encore faut-il enfin se référer à l’article 26, I, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 régissant les aspects transitoires de la réforme de la prescription extinctive. De ces différents textes, la première chambre civile tire un enseignement formulé de la manière suivante : « l’action en garantie des vices cachés contre le constructeur doit être formée dans le délai d’un an à compter de la découverte du vice par l’acquéreur, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, qui est applicable aux ventes conclues avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, si le délai de prescription décennal antérieur de l’article L. 110-4 du code de commerce, qui enserrait le délai d’un an, n’était pas expiré à cette date » (pt n° 9, nous soulignons).
La formulation ne peut évidemment que faire penser aux arrêts de chambre mixte évoqués précédemment dans l’introduction du présent commentaire (Cass., ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 21-15.809, n° 21-17.789, n° 21-19.936 et n° 20-10.763, préc.). L’apport de la décision étudiée se trouve certainement du côté de l’application de cette méthodologie, par effet de calque, à la prescription d’une année de l’article L. 5113-5 du code des transports. Aucune raison ne commandait, en effet, de ne pas appliquer les principes dégagés par la chambre mixte réunie en 2023 à ce cas précis de vices cachés dans la mesure où trois délais restaient en concurrence, à savoir le délai d’une année du code des transports, l’ancien délai de dix ans de l’article L. 110-4 du code de commerce et le nouveau délai butoir de vingt ans, issu de l’article 2232 du code civil.
En résulte une harmonisation aussi utile qu’intéressante des solutions gouvernant les délais spéciaux des vices cachés que ce soit à l’aune de l’article 1648 du code civil – avec un délai de deux ans – ou de l’article L. 5113-5 du code des transports – avec un délai plus court d’une année. La motivation employée par l’arrêt étudié permet de se rendre compte, ou de vérifier du moins, que les arrêts de chambre mixte de 2023 sont venus créer un véritable modèle que la Cour de cassation entend utiliser pour les nombreuses situations où des problèmes similaires de combinaison de prescription sont posés.
Le résultat est en assez nette faveur, en l’espèce, du demandeur qui disposera de certaines facilités devant la cour d’appel de renvoi.
Une extension heureuse de la recevabilité
Dans de nombreuses situations antérieures à la réforme de la prescription de 2008, le délai décennal de l’article L. 110-4 du code de commerce n’était pas intégralement écoulé au moment de l’entrée en vigueur de ladite réforme. En résulte ainsi, selon l’arrêt, une possibilité de se référer au nouveau délai butoir de vingt ans de l’article 2232 du code civil puisque l’article 26, I, de la loi de 2008 permet l’application du texte. La recevabilité de l’action est ainsi sauvegardée en l’espèce puisqu’il fallait prendre en compte la date de découverte du vice par le second acquéreur. Ainsi, le délai d’une année n’a peut-être pas commencé à courir avant un certain moment que la cour d’appel de renvoi devra précisément déterminer.
La cassation intervient donc, en très grande partie, en raison du refus de la cour d’appel de faire bénéficier le demandeur du jeu de l’article 2232 du code civil (pt n° 5, 3e branche du 1er moyen). Ce raisonnement n’est effectivement pas dans la droite lignée des arrêts de chambre mixte de juillet 2023. On ne saurait réellement reprocher aux juges du fond de ne pas avoir fait preuve d’une certaine originalité sur ce point puisque l’arrêt frappé d’appel a été rendu le 16 mars 2023 (pt n° 1 de la décision étudiée), soit seulement quelques mois avant le 21 juillet suivant. Si la date d’apparition des vices avait été fixée par l’expertise au 31 juillet 2002, encore fallait-il que le second acquéreur – qui n’a pris possession du navire qu’en 2005 – ait pu les découvrir. La combinaison des textes ainsi actée permet de mieux mettre en musique la situation factuelle qui comporte différents points de complexité. Il n’en reste pas moins qu’il faudra que le second acquéreur démontre le report du point de départ selon une jurisprudence commentée dans ces colonnes il y a quelques mois (Com. 24 janv. 2024, n° 22-10.492 F-B, Dalloz actualité, 12 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2024. 464, obs. J. Klein
). La charge de la preuve peut devenir ici bien lourde.
Les questions de droit transitoire issues de la réforme de la prescription extinctive du 17 juin 2008 sont loin d’avoir épuisé les stocks qui se trouvent enrôlés au sein des différentes juridictions. Plus de seize ans après cette modification d’ampleur de notre droit commun, des difficultés apparaissent régulièrement puisque la recevabilité est une arme redoutable entre les mains des plaideurs. L’arrêt du 25 septembre 2024 permet probablement d’y voir encore un peu plus clair en utilisant les principes méthodologiques des arrêts de chambre mixte de juillet 2023.
La perte de chance : rappel d’une jurisprudence constante
Étudions beaucoup plus rapidement la question de la responsabilité civile soulevée par la décision.
Le demandeur au pourvoi critiquait l’arrêt d’appel en ce qu’il avait rejeté ses demandes en réparation de son préjudice de perte de chance. Les juges du fond avaient, en effet, constaté ladite perte de chance mais ils avaient refusé, dans le même temps, de faire droit à l’indemnisation dans la mesure où le demandeur ne formulait qu’une prétention sur le coût de réparation des moteurs et sur un préjudice de jouissance. La cour avait donc considéré que la faute identifiée n’était à l’origine que d’une perte de chance de ne pas acquérir le navire ou d’en faire modifier le prix, ce qui ne correspondait pas avec les prétentions élevées en cause d’appel. La cassation est ici la suite logique d’une jurisprudence constante selon laquelle « le juge ne peut refuser d’indemniser une perte de chance de ne pas subir un dommage, dont il constate l’existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée » (pt n° 14 ; v. égal., à propos d’une perte de chance de faire opposition à un jugement, Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 22-18.663, pt n° 6 ; à propos d’une perte de chance de percevoir des intérêts, Civ. 1re, 1er mars 2023, n° 21-25.868, AJDI 2023. 305
; pt n° 6 ; à propos d’une perte de chance de ne pas contracter, Civ. 1re, 6 oct. 2021, n° 20-13.526, pt n° 8). S’il faut porter une attention très précise au dispositif des écritures, cette ligne jurisprudentielle tend toutefois à ne pas exagérer cette prudence. Une demande en responsabilité intégrale porte en son sein, au minimum, une réparation de la perte de chance subie si la juridiction en détecte une parmi les faits présentés par les parties.
Civ. 1re, 25 sept. 2024, F-B, n° 23-15.925
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