Du point de départ de la prescription de l’action en nullité de l’héritier tuteur contre un acte conclu à titre onéreux par le défunt
Dans un arrêt rendu le 13 décembre 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation précise le régime applicable à la prescription extinctive de l’action en nullité que diligente un héritier pour insanité d’esprit après avoir été du vivant du défunt son tuteur.
La première chambre civile de la Cour de cassation ne se prononce qu’assez rarement concernant le point de départ de la prescription extinctive d’une action en nullité d’un acte à titre onéreux quand l’héritier intente ladite action et non la partie à l’acte, elle-même, de son vivant. Cette rareté contraste très grandement avec le contentieux économique du point de départ de la prescription de l’article 2224 du code civil qui connaît des développements jurisprudentiels toujours plus importants (en matière de contrefaçon, v. récemment, Civ. 1re, 15 nov. 2023, n° 22-23.266 F-B, Dalloz actualité, 21 nov. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2045
; Dalloz IP/IT 2023. 612, obs. C. Lamy
; Légipresse 2023. 597 et les obs.
; en droit commun et en droit commercial, Com. 4 oct. 2023, n° 22-18.358 F-D, Dalloz actualité, 17 oct. 2023, obs. C. Hélaine ; Civ. 1re, 12 juill. 2023, n° 21-25.587 F-B, Dalloz actualité, 25 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. O. Salati
; Com. 14 juin 2023, n° 21-14.841 F-B, Dalloz actualité, 20 juin 2023, obs. C. Hélaine ; 29 mars 2023, n° 21-23.104 F-B, Dalloz actualité, 7 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2023. 370, obs. H. Barbier
; sur l’art. 2225 c. civ., v. Civ. 1re, 14 juin 2023, n° 22-17.520 FS-B, Dalloz actualité, 19 juin 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1180
; en matière de clauses de forclusion, Com. 11 oct. 2023, F-B, n° 22-10.521, Dalloz actualité, 26 oct. 2023, obs. C. Hélaine). L’arrêt rendu le 13 décembre 2023 doit donc être remarqué en ce qu’il s’intéresse précisément à la prescription applicable à l’action de l’héritier agissant en nullité sur le fondement de l’article 489-1 ancien, désormais 414-2 du code civil. Rappelons ce qui doit l’être à titre liminaire : l’arrêt a été rendu dans une affaire où les textes antérieurs à la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 ayant réformé le droit des majeurs vulnérables étaient applicables. Mais, à dire vrai, l’éclairage de cette décision promise au Rapport annuel notamment est aisément transposable dans le droit positif.
Les faits puisent leur origine dans un banal contentieux en annulation de plusieurs contrats. Une personne est placée sous tutelle par jugement du 3 février 2004 et son tuteur s’avère être l’un de ses deux enfants. Le majeur protégé décède le 13 août 2008 en laissant à sa survivance son fils tuteur ainsi que son second fils, lequel renonce à la succession. L’héritier, seul à recueillir la succession de son père, assigne alors diverses personnes en annulation de plusieurs actes notariés conclus par le de cujus à savoir une vente immobilière en date du 22 novembre 2001, un acte de partage en date du 6 septembre 2002, une vente immobilière du 18 octobre 2002 ainsi qu’une donation consentie le 21 octobre 2002. Eu égard aux dates des actes précédemment cités, l’ombre de la prescription ne tarde pas à se projeter sur le procès. En cause d’appel, les juges du fond déclarent irrecevables les demandes en annulation des différents actes en retenant que la prescription a commencé à courir avant le décès du défunt, à savoir lorsque la mesure de tutelle a été ouverte par jugement du 3 février 2004 puisque le tuteur n’ignorait ni l’état de démence sénile de son père ni les actes faits par celui-ci en sa qualité d’administrateur légal du majeur protégé. L’héritier se pourvoit en cassation. Il avance que la prescription ne peut pas courir contre les majeurs en tutelle et que la décision frappée du pourvoi devrait donc, selon lui, encourir logiquement la cassation.
Toute l’économie de cette décision très fortement publiée – à la fois au Bulletin, aux Lettres de chambre et au Rapport annuel – est résumée dans le paragraphe n°5 : « l’action en nullité d’un acte à titre onéreux pour insanité d’esprit intentée par un héritier sur le fondement du deuxième de ces textes (ndlr : l’art. 489-1 anc. c. civ.) est celle qui existait dans le patrimoine du défunt sur le fondement (ndlr : l’art. 489 anc. c. civ.) et doit être soumise à la même prescription ».
Nous allons examiner pourquoi une telle solution est importante.
Confusion des prescriptions applicables à une action en nullité d’un acte à titre onéreux
La première chambre civile de la Cour de cassation vient appliquer un principe méthodologique simple. Dès lors que l’héritier agit en annulation pour insanité d’esprit sur le fondement de l’article 489-1 ancien du code civil, la prescription applicable est la même que celle que le défunt aurait pu utiliser sur le fondement de l’article 489 ancien du code civil. La confusion des prescriptions que nous venons de rappeler est, en premier lieu, parfaitement compréhensible. L’héritier agissant en nullité pour insanité d’esprit sur le fondement de l’ancien article 489-1 du code civil – aujourd’hui aisément retrouvable à l’article 414-2 nouveau qui s’est enrichi à l’occasion de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant le droit des obligations – ne fait que d’emprunter une action qu’aurait pu (ou qu’aurait dû ?) utiliser le défunt de son vivant. Il est donc normal que le régime de la prescription extinctive se retrouve identique. C’est parce que l’héritier récupère l’actif successoral dans le patrimoine du de cujus qu’il agit en nullité sur ce fondement. L’article 489-1 et le nouvel article 414-2 partagent ce trait commun de ne faire que de restreindre le domaine de la nullité à des situations exhaustivement prévues par le législateur. L’héritier ne peut solliciter la nullité que lorsqu’un acte se trouve concerné par l’un des cas énumérés par la loi.
Cette identité d’action entre celle que le défunt aurait pu utiliser et celle que l’héritier use effectivement explique sans aucune difficulté cette identité dans la prescription applicable. Il aurait été difficile de justifier la solution inverse mais la généralité de cet attendu ne s’est pas glissée là par hasard. Tout son intérêt réside dans la question qui en découle logiquement : si la prescription applicable est la même, quel est le point de départ de celle-ci ? Or, une telle interrogation aurait été plus difficile d’accès pour le lecteur si la première chambre civile n’avait pas opéré la précision selon laquelle les prescriptions sont identiques.
On appréciera donc cette pédagogie particulièrement claire dans un domaine où la complexité règne. La motivation enrichie de l’arrêt est, sur ce point, digne d’intérêt comme en témoigne d’ailleurs le récent guide de motivation de la Cour de cassation.
Le point de départ de la prescription
L’originalité de l’arrêt repose sur un élément factuel loin d’être aussi original. En l’espèce, l’héritier agissant en nullité n’est nul autre que le tuteur du majeur vulnérable partie aux différents contrats. On comprend ainsi la méprise des juges du fond qui avaient, en raison de cette seconde confusion – cette fois-ci des qualités d’héritier et de tuteur – considéré que le tuteur pouvait parfaitement agir pendant la durée de la tutelle du vivant du majeur protégé. Ce raisonnement, s’il peut être compris, n’est pour autant pas exact. Sur ce point, la motivation utilise comme ancrage au visa l’ancien article 2252 du code civil qui prévoit que la prescription ne court pas contre les majeurs placés sous tutelle. Le texte applicable est cette disposition dans la mesure où la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 abrogeant l’article 2252 n’était pas applicable.
Aujourd’hui, la solution serait exactement la même puisque le nouvel article 2235 prévoit la même orientation de principe. La cassation était, en réalité, quasiment assurée à la lecture de l’ancien article 1304 du code civil qui prévoyait que le point de départ de la prescription de l’action en nullité « ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle ou de la personne faisant l’objet d’une habilitation familiale que du jour du décès, s’il n’a commencé à courir auparavant » (nous soulignons). On aurait pu attendre dans le raisonnement déployé par la Cour de cassation un paragraphe un peu plus fourni sur la distinction entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit qui n’apparaît pas dans les explications de l’arrêt. La mention des actes à titre onéreux suffit, certes, mais elle n’est qu’une reformulation de l’exclusion des actes à titre gratuit opérée par l’article 489-1 ancien. Passons sur ce léger manque qui aurait permis d’y voir un peu plus clair dans l’enchevêtrement des points de départ.
L’arrêt vient nous confirmer plusieurs éléments importants. La confusion entre les qualités de tuteur et d’héritier ne permet pas, d’une part, aux juges du fond de faire débuter le point de départ de la prescription à partir du jugement de tutelle. C’est une solution parfaitement logique car le contentieux en nullité est ainsi bien délié de celui de l’exercice de la tutelle. Il y aurait, en effet, une sorte de sanction implicite à faire peser une prescription aussi sévère sur l’héritier tuteur en jugeant le contraire. Ceci explique le passage sévère mais juste selon lequel « peu important l’action qu’il aurait pu exercer durant la mesure de protection en sa qualité de représentant légal ». La prescription extinctive est, dans cette optique, un outil de sécurité juridique et non une arme comminatoire. La solution doit être accueillie avec bienveillance sur ce volet. D’autre part, l’orientation choisie est la seule respectueuse des textes anciens comme nouveaux.
On notera également les autres points d’intérêt de l’arrêt. Une seconde cassation intervient, en effet, pour défaut de motivation concernant l’action en nullité formulée sur le fondement de l’article 503 ancien du code civil (annulation des actes antérieurs à la tutelle en cas de connaissance notoire de la cause d’ouverture de la mesure de protection) tandis qu’une troisième survient sur le même fondement concernant la responsabilité notariale. Nihil novi sub sole sur ces points : la publication de l’arrêt ne concerne pas ces deux cassations. Si celle sur le fondement de l’ancien article 503 ancien du code civil n’appelle que peu de remarques, la question de la responsabilité du notaire interroge légèrement plus. On perçoit une certaine rigueur de la première chambre civile qui reproche aux juges du fond de ne pas s’être livrés à un examen si ce n’est sommaire, des pièces médicales et autres documents fournis par l’héritier pour démontrer sa prétention. Ce qui justifie la cassation se trouve très certainement dans la généralité de la motivation employée par la cour d’appel selon laquelle « il ne peut être reproché au notaire de ne pas avoir décelé la faiblesse psychique dont celui-ci se trouvait atteint, lors de l’établissement de l’acte de partage du 6 septembre 2002 ». Ce raisonnement prêtait le flanc à la critique sans analyse des pièces pouvant démontrer le contraire.
Voici donc un arrêt particulièrement important. Il permettra de rassurer les conseils des héritiers agissant en nullité. S’il ne faut pas tarder, il ne faut pas se hâter non plus puisque les textes du code civil permettent d’éviter que la prescription ne se referme que trop rapidement dans une situation aussi complexe que celle d’un majeur sous tutelle.
© Lefebvre Dalloz