Du rôle de l’accord du cédé en matière de cession de contrat

Dans un arrêt rendu le 24 avril 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une réponse claire à l’hésitation née après la réforme de 2016 sur le rôle de l’accord du cédé dans la cession de contrat et notamment sur la sanction applicable en cas de défaut de cet accord.

Le régime général de l’obligation recèle des questions aussi subtiles que venimeuses à l’intérêt pratique essentiel. Certaines font l’objet d’arrêts publiés au Bulletin de manière assez fréquente comme c’est le cas pour les cessions de créance par bordereau « Dailly » (v. réc., Com. 14 févr. 2024, n° 22-14.784 F-B, Dalloz actualité, 28 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 308 ; 15 mars 2023, n° 21-24.490, Dalloz actualité, 23 mars 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 548 ; RTD civ. 2023. 630, obs. H. Barbier ). D’autres difficultés restent parfois assez vives pendant plusieurs années, notamment en raison de la formulation des textes à la suite de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. La question du rôle de l’accord du contractant cédé en matière de cession de contrat en est une bonne illustration (v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1830, n° 1669 ; M. Julienne, Régime général des obligations, Lextenso, 2020, p. 256, n° 364). Faut-il, lorsque cet accord fait défaut, conclure à la nullité de la cession de contrat entre le cédant et le cessionnaire ?

C’est précisément cette hésitation que l’arrêt rendu le 24 avril 2024 par la chambre commerciale de la Cour de cassation vient dissiper clairement. La décision est promise aux honneurs d’une publication au Bulletin eu égard à son importance.

Les faits débutent autour d’un contrat conclu le 23 juin 2005 entre deux sociétés (que nous appellerons la société H et la société N dans la suite de ce commentaire) pour l’installation de solutions de paiement en ligne auprès de site internet marchands. Le 15 juin 2017, une cession de contrat intervient par le jeu d’un apport partiel d’actifs de la société H au profit d’une troisième société (que nous nommerons la société M). Cet apport d’actifs comprenait le contrat d’installation des solutions de paiement en ligne. La cession est notifiée par lettre recommandée du 26 juillet 2017 à la société N par la société H. Mais voici que notre société cessionnaire se heurte à plusieurs échéances en souffrance de son nouveau partenaire économique. Elle assigne donc la société N en paiement d’une provision en référé, l’affaire étant renvoyée devant le juge du fond. Par la suite, la société H est appelée en intervention forcée en raison d’une discussion autour de l’accord de la société cédée au sein de la cession de contrat conclue. En cause d’appel, les juges du fond retiennent la nullité de la cession de contrat en pensant appliquer correctement la règle issue de l’article 1216 du code civil et, plus précisément, celle de l’alinéa 3 exigeant un écrit à peine de nullité de la convention.

La société M se pourvoit en cassation en avançant que l’accord du cédé à une cession de contrat n’est pas soumis à l’exigence d’un écrit. De plus, elle expose dans son moyen que si l’accord du cédé n’est pas démontré, la cession n’en devient pas pour autant nulle. Cette voie de recours parviendra à aboutir à une cassation pour violation de la loi permettant de donner une leçon de régime général des obligations qui se décline en deux temps comme nous allons l’examiner.

Le problème préliminaire : la forme de l’accord du cédé

Tout le débat repose sur une première interrogation essentielle qui consiste à distinguer l’accord du cédé de l’acte de cession. On sait que l’article 1216, alinéa 3, du code civil impose que la cession de contrat soit passée par écrit, et ce à peine de nullité. Mais ceci ne concerne que la cession elle-même et non l’accord du cédé plus particulièrement. C’est précisément ce qu’avançait la société demanderesse à la cassation qui estimait que les juges du fond avaient confondu ces deux thématiques (validité du contrat d’une part et obtention de l’accord du cédé d’autre part), ce qui avait engendré l’annulation de la cession de contrat conclue.

La lecture de l’arrêt rendu montre très bien que c’est cette question préliminaire qui a causé toute la confusion ayant abouti au pourvoi en cassation. Les juges du fond ont, en effet, déplacé la question posée qui portait sur le rôle de l’accord du cédé vers celle de la constatation de la cession par écrit. Pourtant, ces deux questions sont déconnectées et l’article 1216, alinéa 1er, ne vient pas exiger précisément que l’accord du cédé soit collecté par écrit. Si le législateur avait voulu prévoir une telle exigence, nul doute qu’il l’aurait insérée explicitement puisqu’il opère cette précision dans l’alinéa 3 concernant la cession elle-même.

C’est la raison pour laquelle la chambre commerciale en vient à préciser que « l’accord du cédé à la cession du contrat peut être donné sans forme, pourvu qu’il soit non équivoque, et peut être prouvé par tout moyen » (nous soulignons). Cette incise préliminaire n’est pas nécessairement la plus importante de l’arrêt car la démarcation entre exigence d’un écrit pour la cession elle-même et indifférence de la forme pour prouver l’accord du cédé était, nous semble-t-il, assez nette. La solution respecte, comme nous l’avons vu, la lettre de l’article 1216 et ce n’est que par une confusion entre les différents alinéas que le nœud a pu se créer à hauteur d’appel. On retiendra la preuve par tout moyen de l’accord du cédé : on ne saurait effectivement pas vraiment justifier que la solution contraire puisse être admise eu égard aux règles du droit probatoire. En somme, en l’espèce, il sera tout à fait possible pour la cour d’appel de renvoi de dégager des échanges de courriels avec la société cédée un accord de celle-ci. Difficile toutefois de déterminer à l’aide des éléments à disposition si un tel accord a été formalisé puisque le contenu desdits courriels n’est pas restitué à hauteur de cassation. Le principal risque est, bien entendu ce caractère dit équivoque de l’accord du cédé et il y a fort à parier que le débat se cristallisera sur ce point précis devant la Cour d’appel de Paris autrement composée.

Le plus intéressant réside, nous l’aurons compris, dans la suite de l’arrêt du 24 avril 2024. Quand l’accord du cédé n’est pas obtenu, quelle sanction appliquer entre la nullité et l’inopposabilité ?

Le problème principal : l’absence de l’accord du cédé et la simple inopposabilité de l’acte

L’article 1216 est formulé d’une manière permettant de distiller un certain doute à ce sujet dans la mesure où il précise explicitement que la cession de la position contractuelle peut être réalisée à un tiers « avec l’accord de son cocontractant, le cédé ». Ceci conduit ainsi certains auteurs à, fort logiquement, écrire que le consentement du cédé est « une condition de validité de l’opération » (F. Chénedé, Droit des obligations 2023/2024, Dalloz, coll. « Dalloz Référence », p. 155, n° 127.22, nous soulignons ; dans le même sens, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, op. cit., p. 1830, n° 1669 ; sur le rôle de condition de l’accord du cédé, Rép. civ.,  cession de contrat, par E. Jeuland et N. Balat, n° 44 ; sur l’importance de ce consentement, S. Porchy-Simon, Droit des obligations, coll. « HyperCours », 16e éd., 2024, p. 588, n° 1183).

La question de l’absence de l’accord du cédé est, dans l’arrêt rendu par la chambre commerciale, déconnectée de la nullité de l’opération. Quand un tel accord n’est pas démontré, la cession en reste parfaitement valable mais elle devient inopposable au cédé (v. pt n° 10, « le défaut d’accord du cédé n’emporte pas la nullité de la cession du contrat, mais son inopposabilité au cédé »). La précision est importante en ce qu’elle vient mettre fin à une hésitation, source d’insécurité au sein du régime général des obligations dans lequel la comparaison avec les droits spéciaux ne donnait pas forcément de réponses très claires au lendemain de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 intégrant le nouvel article 1216 du code civil (v. M. Julienne, op. cit., p. 256, n° 364, note 69).

Désormais, on peut donc affirmer que dans le cadre des cessions de contrat conclues après le 1er octobre 2016 et donc régies par l’article 1216 nouveau, l’absence de l’accord du cédé ne peut conduire qu’à l’inopposabilité de la cession à son endroit et non à l’anéantissement rétroactif de l’acte juridique. On retrouve ici l’idée de la validité d’un acte conclu entre le cessionnaire et le cédant mais qui ne sera, finalement, qu’une coquille vide pour la finalité de l’opération projetée initialement par les parties et qui tire toute son efficacité des futurs rapports entre le cédé et le cessionnaire.  

Tout ceci peut probablement, de nouveau, venir insister sur l’importance cruciale des clauses permettant d’obtenir l’accord du cédé d’une manière dite anticipée (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 645, n° 599). L’absence de telles prévisions contractuelles peut causer bien des tracas comme en témoigne cette affaire.

Voici donc une belle décision au carrefour entre droit des contrats et régime général de l’obligation qui pointe toutes les nuances entre validité de l’opération et opposabilité de celle-ci. En 2022, la chambre commerciale avait d’ailleurs pu commencer à apporter les premières interprétations utiles concernant le même article 1216 du code civil en précisant comment apprécier la notification au cédé ou la prise d’acte de celui-ci dans le cadre d’une cession de contrat consentie par avance sur le fondement de l’article 1216, alinéa 2, du code civil (Com. 9 juin 2022, n° 20-18.490 F-B, Dalloz actualité, 14 juin 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1692 , note J.-D. Pellier ; RTD civ. 2022. 614, obs. H. Barbier ). Gageons que l’interprétation des règles nouvelles continue d’éclairer utilement le chemin.

 

Com. 24 avr. 2024, F-B, n° 22-15.958

© Lefebvre Dalloz